Aucune faute grave ne peut être retenue à l’encontre d’un directeur dont l’employeur avait cautionné « le harcèlement managérial »
1 septembre 2022
Cass. soc. 12 juillet 2022, n° 20-22.857
Afin d’appréhender au mieux la problématique mise en exergue par cette décision, il convient de se remémorer le sens précis de la notion de « harcèlement managérial ».
La jurisprudence retient qu’il s’agit de méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique, sur un ou plusieurs salariés déterminés, se traduisant par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité du ou des salariés concernés, d’altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel (Cour de cassation, 10 novembre 2009, n° 07-45.321).
Dès lors, le harcèlement managérial est nécessairement fautif et peut/doit conduire à une sanction disciplinaire à l’encontre de son auteur.
Mais qu’en est-il quand ce comportement est né de la volonté de l’employeur, cautionné par ce dernier, et encouragé au fil du temps par lui ?
Telle est la question à laquelle la Haute Cour vient d’apporter une réponse des plus limpide !
Revenons-y …
- Les faits de l’espèce
Un directeur des systèmes d’information a fait l’objet d’un licenciement pour faute grave au motif principal de faits de harcèlement managérial.
En effet, ce dernier avait instauré au sein de l’entreprise un climat de tension et de peur. Aux termes de la lettre de licenciement son employeur lui reprochait notamment :
- d’avoir, par son comportement, placé une salariée au bord de la dépression ;
- d’avoir exercé une pression sur un collaborateur en se rendant à son domicile alors que ce dernier était en arrêt de travail, et ce afin de lui faire passer son évaluation annuelle ;
- d’être l’auteur de harcèlement à l’encontre d’une salariée, d’avoir été à l’origine de l’accident de travail de cette dernière et du contentieux prud’homal qu’elle a introduit par la suite à l’encontre de son employeur ;
- d’avoir adopté un comportement irrespectueux à l’égard de nombreux collaborateurs de l’entreprise, notamment envers les femmes avec lesquelles son attitude mêlait ambigüité sexuelle et tyrannie.
Or, il s’avérait que ce salarié échangeait régulièrement avec sa hiérarchie et notamment son DRH sur les méthodes employées à l’égard des collaborateurs de l’entreprise, de sorte que la société n’ignorait rien de la gravité de son comportement.
D’ailleurs, l’employeur avait même eu l’occasion de prendre parti en faveur de son directeur face à l’époux de la salariée harcelée.
Malgré cela, et comme rappelé ci-avant, il décidait de licencier ce salarié pour faute grave. Ce dernier ne manquait alors pas de contester cette rupture devant la juridiction prud’homale.
Tant en première instance, qu’en cause d’appel, le licenciement de ce directeur se voyait jugé sans cause réelle et sérieuse, amenant ainsi l’employeur à saisir la Haute Cour.
- La position de la Cour de cassation
A l’instar des premiers juges, la Cour de cassation a considéré que la faute grave est exclue dans cette affaire dès lors qu’il est patent que l’employeur avait non seulement connaissances des pratiques managériales de son collaborateur, mais les avait également approuvées.
Elle a ainsi validé la position de la Cour d’Appel qui, dans sa motivation, avait à bon droit :
- mis en avant le fait que les méthodes managériales de ce directeur envers une autre salariée n’étaient ni inconnues, ni réprouvées par sa hiérarchie avec laquelle il avait « régulièrement partagé ses constats relatifs à l’insuffisance de sa collègue et avait conduit en lien étroit avec elle un processus de changement et de réorganisation au sein de la direction dont il avait la charge».
- relevé que le salarié avait agi en concertation avec son supérieur hiérarchique et le directeur des ressources humaines et que l’employeur avait d’ailleurs, comme évoqué ci-avant : « pris fait et cause pour lui en défendant les décisions prises en réponse aux doléances de l’époux de la salariée qui se plaignait de harcèlement».
- déduit que : « le comportement du salarié, qui était le résultat d’une position managériale partagée et encouragée par l’ensemble de ses supérieurs hiérarchiques, ne rendait pas impossible son maintien dans l’entreprise »
- décidé «que ces faits ne constituaient pas une cause réelle et sérieuse de licenciement. »
C’est donc bien de manière claire et non équivoque que la Haute Cour a, à son tour, jugé ce licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
- La portée de cet arrêt
Nous le savons, au visa des dispositions légales, l’employeur est évidement tenu de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la santé physique et mentale de ses salariés ; ceci relevant indubitablement de l’obligation de sécurité qui lui incombe.
Plus particulièrement, en matière de harcèlement moral il lui appartient de prévenir tout risque, mais également de sanctionner le salarié auteur de tels faits.
Dans sa décision, la Cour de cassation ne remet aucunement en cause les obligations pesant sur l’employeur à ce titre ; elle précise seulement que la faute du salarié qui se livre à de tels agissements est atténuée, voire disparait, si sa méthode est approuvée par sa hiérarchie.
En termes clairs, cela veut dire que le salarié qui a agi avec l’aval et l’encouragement de son employeur ne peut voir son comportement qualifié de fautif.
Bien que d’apparence légitime, cette décision laisse tout de même perplexe puisqu’elle énonce que l’employeur lié à un salarié potentiellement dangereux pour l’ensemble de la collectivité de travail ne peut rompre la relation sur le terrain disciplinaire sans en supporter le risque financier qui en résulte en cas de contestation ultérieure.
Il semble qu’il faille y voir une forme de sanction de l’employeur pour avoir cautionné l’inacceptable.
A contrario, cela revient tout de même à dire que le salarié n’était donc pas licenciable, nonobstant ses agissements condamnables, auraient-ils été tolérés. Un écueil juridique que la Haute Cour écarte un peu trop facilement d’un revers de main, elle qui ne cesse de clamer qu’elle ne juge que le droit.
Par ailleurs, voilà donc un salarié coupable d’actes répréhensibles mais qui perçoit une indemnisation du fait d’un licenciement qui demeure, en lui-même, justifié (dès lors, à tout le moins, que l’entreprise ne pouvait vraisemblablement pas le conserver dans ses effectifs).
Une décision in fine quelque peu curieuse.