Réunions du CSEC : la Cour de cassation valide la modification de l’ordre du jour en début de séance à l’unanimité des élus
1 octobre 2022
Dans un arrêt récent du 13 septembre 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a jugé qu’une modification de l’ordre du jour, adoptée à l’unanimité des membres présents en début d’une réunion du Comité central d’entreprise (désormais le Comité social et économique central), peut valablement autoriser le comité à voter une délibération autorisant son secrétaire à agir en justice pour délit d’entrave (Cass. crim. 13 septembre 2022, n° 21-83914).
L’on ne peut qu’espérer qu’une telle position – retirant clairement tout rôle du Président dans l’élaboration conjointe de l’ordre du jour – ne soit pas reprise par la Chambre sociale de la Haute Cour…
- Les faits de l’affaire
Dans cette affaire, le Comité central d’entreprise (CCE) d’une société avait fait citer celle-ci et la Présidente du Groupe devant le Tribunal correctionnel du chef d’entrave pour avoir « omis d’informer et de consulter le CCE préalablement à la mise en œuvre […] de la revue du personnel au sein de la société ».
En défense, la société soulevait notamment l’irrecevabilité de la constitution de partie civile du comité au motif de l’irrégularité de la délibération autorisant le secrétaire à agir en justice du chef d’entrave (et du mandat confié à son secrétaire en conséquence pour exercer des poursuites correctionnelles du chef d’entrave).
La société soutenait ainsi que la délibération du CCE était irrégulière à deux titres :
- la délibération n’avait pas été préalablement inscrite à l’ordre du jour de la réunion du comité puisque le secrétaire l’avait ajoutée en début de séance ;
- et elle ne présentait aucun lien avec les questions devant être débattues.
Reprenant ainsi la jurisprudence classique en la matière.
Le Tribunal correctionnel, puis la Cour d’appel de Paris vont successivement écarter l’exception d’irrecevabilité de la constitution de partie civile du CCE, les juges d’appel relevant que « lors de la réunion du CCE du 1er octobre 2015, son secrétaire M. [N] est intervenu en début de séance pour solliciter l’ajout d’un point à l’ordre du jour : « vote d’un mandat au secrétaire du CCE pour ester en justice pour entrave » et qu’en outre, « lors de la réunion du CCE du 7 avril 2016, une résolution désignant le cabinet d’avocat en charge de l’action a été inscrite à l’ordre du jour et adoptée à l’unanimité ».
La société, déclarée coupable des faits reprochés, forme alors un pourvoi en cassation.
- La solution : un rejet très surprenant du pourvoi de la société
La chambre criminelle va estimer, aux termes d’une motivation particulièrement contestable, qu’en relevant que le secrétaire était intervenu en début de séance pour solliciter l’ajout d’un point à l’ordre du jour, la Cour d’appel a justifié sa décision.
Une telle position laisse pantois…
Raison pour laquelle la Chambre criminelle tente de s’en justifier en deux temps :
- elle relève dans un premier temps – et pour la 1ère fois à notre connaissance – que le délai légal de communication de l’ordre du jour du CCE de 8 jours est édicté dans l’intérêt de ses membres, afin de leur permettre d’examiner les questions à l’ordre du jour et d’y réfléchir ;
- et ajoute en second lieu que dès lors que la modification avait été adoptée à l’unanimité des membres présents, il en résultait que ces derniers avaient accepté, sans objection, de discuter de la question, manifestant ainsi avoir été avisés en temps utile.
La Chambre criminelle revient ainsi sur sa jurisprudence en la matière (Cass. crim. 5 septembre 2006 n° 05-85895), aux termes de laquelle elle estimait irrecevable la délibération du CCE ayant décidé d’engager, à l’unanimité des membres titulaires présents, des poursuites pénales du chef d’entrave, aux motifs que la question n’était pas inscrite à l’ordre du jour de la réunion du comité et qu’elle ne présentait aucun lien nécessaire avec les sujets inscrits et devant être débattus.
À noter que la nouvelle position de la Chambre criminelle, dont on peut légitimement penser qu’elle n’aurait pas été la même si la modification n’avait pas été acceptée à l’unanimité mais à une simple majorité des membres, tend à rejoindre celle du Conseil d’état selon laquelle le non-respect du délai de communication de l’ordre du jour ne rend la délibération irrégulière que s’il l’a empêché de se prononcer en connaissance de cause.
Si cette décision a été rendue à propos d’un CCE, elle est sans aucun doute transposable au Comité social et économique central (CSEC), l’article L. 2316-17 du Code du travail, relatif à l’ordre du jour du CSEC, étant identique à celui anciennement applicable au CCE.
- Une décision contra legem ?
La position de la Chambre criminelle interpelle néanmoins : qu’en est-il du principe légal d’élaboration conjointe de l’ordre du jour entre le secrétaire et le Président ?
La Chambre criminelle exclut en effet totalement le rôle du Président du comité dans son raisonnement, qui peut donc se voir imposer au pied levé – sans aucun moyen de défense – la modification de l’ordre du jour de la réunion qu’il préside pourtant ( !)
Rappelons que l’article L. 2316-17 du Code du travail (anciennement L. 2327-14 désormais abrogé) prévoit que l’ordre du jour du CSEC est « arrêté par le président et le secrétaire », la Cour de cassation ayant rappelé à de nombreuses reprises le principe de l’élaboration conjointe et de double signature de l’ordre du jour (Cass. crim. 15 mai 2007 n° 06-84318 ; Cass. soc. 12 juillet 2010 n° 08-40821).
Le parallélisme des formes voudrait donc logiquement que la modification de l’ordre du jour ne puisse intervenir qu’avec l’accord de ses deux signataires…et donc de l’employeur.
Or, pour la Chambre criminelle il n’en est rien, l’employeur se voyant ainsi nier tout pouvoir face à la décision de modification unilatérale de l’ordre du jour qui peut donc lui être imposée – au dernier moment – à l’unanimité des membres présents.
L’on ne peut évidemment que regretter une telle décision, qui si elle vise certainement à vouloir simplifier les règles de fonctionnement de l’instance, vient néanmoins créer un déséquilibre manifeste entre ses protagonistes, au détriment de l’employeur…une nouvelle fois.
Il est par ailleurs à craindre, même si cela reste à confirmer, que cette position – limitée en l’espèce aux réunions du CCE/CSEC en pratique moins nombreuses – soit étendue au Comité social et économique d’entreprise (CSE) et au Comité social et économique d’établissement, dès lors que le raisonnement suivi par la Chambre criminelle peut parfaitement être transposé à ces instances.
Reste donc à attendre que la Chambre sociale se prononce sur un tel sujet, et à espérer qu’elle maintienne sa jurisprudence actuelle selon laquelle le comité ne peut délibérer que sur les questions inscrites à l’ordre du jour ou en lien avec celles-ci (Cass. soc. 27 mai 2021 no 19-24.344).