Direction de société par actions simplifiée : les actes extras-statutaires peuvent compléter les statuts mais pas y déroger

Écrit le
1 novembre 2022

Cour de cassation, Chambre commerciale, 12 octobre 2022, n° 21-15.382

Dans un arrêt du 12 octobre 2022, la Cour de cassation rappelle, au visa des articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce, que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général.

Elle précise par ailleurs que si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger.

 

I. Les dispositions du Code de commerce 

L’article L. 227-1 du Code de commerce dispose que :

« Une société par actions simplifiée peut être instituée par une ou plusieurs personnes qui ne supportent les pertes qu’à concurrence de leur apport.

Lorsque cette société ne comporte qu’une seule personne, celle-ci est dénommée  » associé unique « . L’associé unique exerce les pouvoirs dévolus aux associés lorsque le présent chapitre prévoit une prise de décision collective.

Dans la mesure où elles sont compatibles avec les dispositions particulières prévues par le présent chapitre, les règles concernant les sociétés anonymes, à l’exception de l’article L. 224-2, du second alinéa de l’article L. 225-14, des articles L. 225-17 à L. 225-102-2, L. 225-103 à L. 225-126, L. 225-243, du I de l’article L. 233-8 et du troisième alinéa de l’article L. 236-6, sont applicables à la société par actions simplifiée. Pour l’application de ces règles, les attributions du conseil d’administration ou de son président sont exercées par le président de la société par actions simplifiée ou celui ou ceux de ses dirigeants que les statuts désignent à cet effet. […] »

L’article L. 227-5 dispose quant à lui que :

« Les statuts fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée. »

 

II. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter des statuts, ils ne peuvent y déroger

1. Les faits

En l’espèce, une personne physique est nommée directeur général (DG) d’une SAS unipersonnelle, par décision de son associé unique.

Quelques années plus tard, le DG est révoqué de ses fonctions.

La problématique centrale de cette affaire repose sur la contradiction entre deux documents prévoyant les modalités de révocation du dirigeant.

D’un côté, les statuts de la SASU stipulent que le DG est révocable ad nutum et que « la cessation, pour quelque cause que ce soit et quelle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit ».

De l’autre, la décision de l’associé unique ayant nommé le DG précise que « les modalités de sa rémunération et de sa collaboration de manière générale avec la société seront celles figurant dans un courrier […] adressé » à l’intéressé, lequel courrier précisant quant à lui, qu’en : « en cas de révocation de [ses] fonctions de directeur général de la société sans juste motif, [ce dernier] bénéficier[a] d’une indemnité forfaitaire égale à six mois de [sa] rémunération brute fixe ».

Soutenant que sa révocation est intervenue sans juste motif, le DG assigne la société en paiement d’une indemnité sur le fondement du courrier d’engagement qui lui avait été adressé juste avant sa nomination.

La Cour d’appel de Paris confirme le jugement de première instance en ce qu’il a débouté le DG de sa demande d’indemnisation. Il s’appuie pour cela sur les dispositions de l’article L. 227-5 du code de commerce qui prévoient que « seuls les statuts d’une société par action simplifiée peuvent fixer les conditions dans lesquelles la société est dirigée, parmi lesquelles figurent les modalités de révocation de son directeur général. »

Ainsi, si le procès-verbal de décision de l’associé unique se réfère au courrier d’engagement s’agissant des « les modalités de sa rémunération et de sa collaboration de manière générale avec la société », cette référence ne peut s’analyser en une modification des statuts.

En conséquence, il convient d’appliquer l’article des statuts en vigueur au moment de la nomination du DG, par ailleurs non modifiés par la suite, lequel indique que « le directeur général peut être révoqué à tout moment et sans qu’aucun motif soit nécessaire, par décision de la collectivité des associés ou de l’associé unique. La cessation, pour quelque cause que ce soit et quelle qu’en soit la forme, des fonctions de directeur général, ne donnera droit au directeur général révoqué à aucune indemnité de quelque nature que ce soit ».

Par suite, le courrier d’engagement, prévoyant en cas de révocation pour juste motif une indemnité forfaitaire égale à six mois de la rémunération brute fixe, n’a pu valablement venir déroger à cette « disposition statutaire claire ».

Il en résulte que le DG pouvait être révoqué à tout moment sans qu’aucun motif ne soit nécessaire.

Le DG, débouté en appel, forme un pourvoi en cassation au motif que la Cour d’appel aurait méconnu l’engagement extra-statutaire pris par l’associé unique et violé les dispositions précitées.

En effet, ce dernier considère que la Cour d’appel a commis une erreur de droit en considérant que seuls les statuts d’une société par actions simplifiée fixent les modalités de révocation de son directeur général, empêchant ainsi l’associé unique de déroger aux dispositions statutaires par un acte extra-statutaire, pourtant valable.

2. L’avis de la Cour de cassation

Selon la Cour de cassation, « il résulte de la combinaison des articles L. 227-1 et L. 227-5 du code de commerce que les statuts de la société par actions simplifiée fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, notamment les modalités de révocation de son directeur général. Si les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts, ils ne peuvent y déroger. »

En conséquence, elle confirme le raisonnement développé par la Cour d’appel de Paris et déboute le DG de son pourvoi.

La Cour de cassation affirme donc la compétence de principe des statuts dans l’établissement des conditions de direction d’une SAS.

Sur ce point, la solution n’est pas nouvelle.

Aux termes d’un arrêt récent et que nous avions eu l’occasion de commenter dans l’Actu by NMCG du mois de mars 2022, la Cour de cassation a considéré que les conditions de la révocation des dirigeants de SAS relèvent, dans le silence de la loi, de la compétence des statuts, « qu’il s’agisse de ses causes ou de ses modalités ».

Il en résulte que sauf prévision contraire des statuts, le principe est la révocation ad nutum, sans juste motif, des dirigeants (Com. 9 mars 2022, n° 19-25.795).

Au cas particulier, la Cour de cassation pousse encore plus loin son raisonnement puisque sans exclure le recours à des règles extra-statutaires pour l’organisation de la direction de la SAS, elle limite leur contenu.

En effet, elle considère que si « les actes extra-statutaires peuvent compléter ces statuts », ils ne peuvent pas s’y substituer.

Cette solution trouve donc son application dans l’hypothèse où la clause des statuts et celle de l’acte extra-statutaire ont le même objet, et que ces clauses retiennent des solutions contradictoires.

Il est également important de noter que le raisonnement appliqué ne semble pas exiger que les parties aux deux actes en cause soient rigoureusement identiques. Combiné au terme « extra-statutaire », cela confère à la solution une portée potentiellement très étendue, englobant ainsi probablement les pactes d’actionnaires.

En interdisant à un acte extra-statutaire de déroger aux clauses des statuts d’une SAS qui fixent les conditions dans lesquelles la société est dirigée, la Cour de cassation semble en outre considérer que la seule voie ouverte à l’associé unique (ou aux associés) est celle de la modification statutaire, dans le respect des processus applicables au droit des sociétés.

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