Participer à des compétitions sportives durant un arrêt maladie […]

Dans un arrêt récent du 1er février 2023, la chambre sociale de la Cour de cassation revient sur les contours de l’obligation de loyauté subsistant à l’égard du salarié dont le contrat de travail est suspendu pour cause de maladie.

Elle juge à cette occasion que la participation à des compétitions sportives pendant des arrêts de travail ne caractérise pas un manquement à l’obligation de loyauté – et ne constitue de facto pas une faute grave – dès lors qu’il n’est pas démontré que cette participation aurait aggravé l’état de santé du salarié ou prolongé ses arrêts de travail, ne causant dès lors pas de préjudice à l’employeur (Cass. soc. 1er février 2023, n° 21-20526).

Si cette décision s’inscrit dans la continuité de la jurisprudence de la Haute Cour, sa motivation peut néanmoins heurter les employeurs.

  • Le manquement à l’obligation de loyauté conditionné à l’existence d’un préjudice causé à l’employeur

Rappelons que si pendant un arrêt de travail le salarié reste tenu à une obligation de loyauté envers son employeur, l’exercice d’une activité – qu’elle soit professionnelle, bénévole ou de loisirs – pendant cet arrêt de travail n’est pas nécessairement constitutif d’un manquement à cette obligation.

La Cour de cassation juge en effet traditionnellement que le manquement ne sera caractérisé que si cette activité a causé un préjudice à l’employeur (Cass. soc. 12 octobre 2011 n° 10-16649 ; Cass. soc. 21 novembre 2018 n° 16-28513).

Ainsi, l’exercice d’une activité même rémunérée au sein d’une société exerçant une activité non concurrente de l’employeur ne constitue pas un manquement à l’obligation de loyauté…

La Cour exige en effet – ce qui est critiquable – que l’activité à laquelle s’est livré le salarié soit concurrente de celle de son employeur pour que le préjudice soit établi (Cass. soc. 23 novembre 2010 n° 09-67249).

  • Les faits de l’affaire

Dans cette affaire, un opérateur de contrôle de la RATP ayant participé à 14 compétitions de badminton pendant ses 5 arrêts de travail prescrits entre octobre 2016 et novembre 2017 a été  révoqué pour faute grave en raison d’un manquement à son obligation de loyauté envers son employeur.

Estimant ne pas avoir manqué à cette obligation pendant ses arrêts de travail, il saisit la juridiction prud’homale afin de contester le bien-fondé de sa révocation.

Il est débouté de l’ensemble de ses demandes, et le salarié fait appel.

La Cour d’appel, dans un arrêt du 9 juin 2021, infirme le jugement de 1ère instance et juge la révocation sans cause réelle ni sérieuse au motif que la RATP ne démontrait pas que cette participation aurait eu pour conséquence d’aggraver l’état de santé du salarié et de prolonger ses arrêts de travail (CA Paris, Pôle 6 – chambre 10, 9 juin 2021 n° 19/10260).

La RATP forme alors un pourvoi en cassation.

  • La solution : la nécessité de démontrer l’aggravation de l’état de santé du salarié

La Cour de cassation va néanmoins valider la décision des juges d’appel.

À l’appui de son pourvoi, l’employeur se prévalait notamment du préjudice économique et financier engendré lorsque c’est l’employeur qui assure par lui-même la couverture des risques maladie, accident du travail et maladie professionnelle de son personnel dans le cadre d’un régime spécial de sécurité sociale. Il soutenait ainsi que la participation du salarié, pendant un arrêt de travail intégralement rémunéré par l’employeur, à des activités non autorisées et manifestement incompatibles avec l’incapacité de travail à l’origine de son arrêt de travail, constitue un manquement du salarié à son obligation de loyauté, de sorte que le préjudice économique et financier en résultant pour l’employeur pourrait ainsi justifier son licenciement.

La Cour de cassation va toutefois – sans surprise – rejeter cet argument. Après avoir rappelé le  principe sur la condition tenant à l’existence d’un préjudice, la Haute Cour précise que :

« Ce préjudice ne saurait résulter du seul maintien intégral du salaire, en conséquence de l’arrêt de travail, assumé par l’employeur qui assure lui-même le risque maladie de ses salariés. »

Restant ainsi en cohérence avec sa jurisprudence concernant le secteur privé selon laquelle le préjudice causé ne peut pas résulter du seul versement par l’employeur d’un complément de salaire durant l’arrêt maladie (Cass. soc. 26 février 2020 no 18-10.017 ; Cass. soc. 7 décembre 2022 no 21-19.132).

Autre moyen soulevé par l’employeur, celui-ci soutenait, à l’appui de son pourvoi, que :

  • l’arrêt de travail provoqué par la maladie, l’accident du travail ou la maladie professionnelle, a pour seul objet de permettre au salarié de recouvrer la santé et d’être en capacité de reprendre son poste de travail ;
  • que l’absence d’un salarié placé en arrêt de travail cause nécessairement un préjudice à l’employeur qui est tenu, pendant toute la durée de cette absence, d’engager des frais pour maintenir la rémunération du salarié, pour réorganiser son activité et/ou pour procéder au remplacement de l’intéressé ;
  • qu’il en résulte que l’exercice par le salarié, pendant un arrêt de travail, d’une activité manifestement incompatible avec l’incapacité de travail à l’origine de cet arrêt de travail, susceptible d’aggraver son état de santé ou laissant présumer qu’il a en réalité recouvert la santé, constitue un acte de déloyauté du salarié qui cause à l’employeur un préjudice fonctionnel et économique

L’argument semblait imparable, puisque l’on découvre à la lecture de l’arrêt que le salarié avait subi plusieurs arrêts de travail suite à des blessures au coude et au bras, lesquelles l’empêchaient donc d’exercer ses fonctions d’opérateur de contrôle. La pratique du badminton, a fortiori en compétition, ne semblait de facto pas indiquée pour un rétablissement rapide…

La Cour de cassation ne partage toutefois pas totalement cette analyse, et rejette le moyen au motif qu’il n’était pas démontré  que cette participation aurait aggravé l’état de santé du salarié ou prolongé ses arrêts de travail :

« La cour d’appel a constaté que, pendant les cinq arrêts de travail prescrits entre octobre 2016 et novembre 2017, le salarié a participé à 14 compétitions de badminton et a relevé qu’il n’est pas démontré que cette participation aurait aggravé l’état de santé du salarié ou prolongé ses arrêts de travail, de sorte qu’il n’était pas établi que cette activité aurait causé un préjudice à l’employeur. Elle en a exactement déduit que ces faits ne caractérisaient pas un manquement à l’obligation de loyauté qui subsiste pendant la durée de l’arrêt de travail et n’étaient pas constitutifs d’une faute grave. »

  • Des difficultés pratiques soulevées par cette décision

Si cette motivation laisse entendre que si l’employeur avait été en mesure de prouver une aggravation de l’état de santé du salarié en raison de sa pratique sportive ou une prolongation de ses arrêts en raison de celle-ci, la Cour aurait alors estimé que le préjudice était établi et la rupture du contrat de travail justifiée, elle n’est toutefois pas sans poser quelques interrogations.

En effet, en pratique, comment l’employeur pourrait-il rapporter une telle preuve ? A fortiori s’il découvre les faits plusieurs mois après, l’arrêt de travail pouvant même être fini. Est-ce à dire qu’il appartiendrait à l’employeur de solliciter, en cours d’instance, une expertise médicale ? Le médecin du travail n’apparaissant en effet pas compétent pour se prononcer sur une telle question.

On attend donc avec intérêt de prochaines décisions qui viendraient illustrer les modalités de la preuve à rapporter par l’employeur.

En attendant, si l’employeur ne peut pas agir sur le terrain disciplinaire, il convient de rappeler qu’il peut demander à la Caisse de sécurité sociale de diligenter un contrôle au domicile du salarié. Si elle constate à cette occasion que le salarié s’adonne à une activité, professionnelle ou de loisirs, non autorisée expressément par son médecin traitant, elle peut alors ordonner la suppression des indemnités journalières de maladie (Cass. 2ème civ. 9 décembre 2010 n° 09-14575).

De même, si du fait de l’activité du salarié, la contre-visite médicale diligentée par l’employeur ne peut avoir lieu, ce dernier peut alors suspendre le versement des indemnités complémentaires de maladie qu’il verse au salarié (Cass. soc. 9 décembre 1992 n° 89-42547).

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