La clause intuitu personae à l’épreuve du changement de contrôle ou de direction de l’une des sociétés contractantes
31 mai 2023
Intuitu personae est une locution latine signifiant « en considération de la personne. »
En droit commercial, il est fréquent que la qualité du contractant soit déterminante de la signature du contrat.
Le contrat conclu intuitu personae ne pourra être transféré ou cédé à un tiers qu’avec l’accord du co-contractant. Puisque le contrat est conclu en fonction de la personne qui contracte, il cessera d’être valide si cette personne change.
Le caractère intuitu personae de certains contrat est présumé : c’est le cas notamment du contrat de franchise ou encore du contrat d’agent commercial.
Il est cependant toujours opportun, lorsque le contrat est conclu intuitu personae, d’insérer une clause en ce sens afin d’en déterminer la portée.
La clause intuitu personae se limite souvent à indiquer que le contrat a été conclu en considération de la personne même du cocontractant sans plus de détails et à interdire le transfert du contrat à un tiers sans autorisation de l’autre partie.
La clause intuitu personae s’applique-t-elle en cas de changement de contrôle ou de direction de l’une des sociétés contractante ? En d’autres termes, l’intuitu personae est-il attaché à la personne morale et donc à la société ou à ses associés ou gérant ?
1. Le principe de l’autonomie de la personne morale prévaut en l’absence de dispositions spécifiques
Par un arrêt de principe daté du 29 janvier 2013, la Cour de cassation a répondu comme suit :
« En raison du principe d’autonomie de la personne morale, cette dernière reste inchangée en cas de cession de la totalité des parts ou actions d’une société ou de changement de ses dirigeants et [en] l’absence de stipulation contractuelle autorisant la rupture avant échéance dans de telles hypothèses, la cour d’appel, qui a ainsi fait ressortir qu’il n’était pas établi que la convention de distribution exclusive ait été conclue en considération de la personne du dirigeant, en a déduit à bon droit, sans écarter le caractère intuitu personae du contrat, qu’en l’absence d’une stipulation particulière, la convention était maintenue en dépit des changements survenus » (Cass., com., 29 janvier 2013, n° 11-23.676, Publié au bulletin)
En cas de changement de contrôle ou de direction d’une société contractante, la Cour de cassation considère ainsi que la personne du cocontractant ne change pas et consacre ainsi le principe d’autonomie de la personne morale dont l’identité est distincte de celle de ses associées ou actionnaires, ou de son dirigeant.
La société dont le contrôle a été modifié, par exemple lors d’une cession de parts ou d’actions, est donc considéré comme étant toujours la même société.
Elle restera titulaire du contrat.
Une clause intuitu personae ne couvre donc pas nécessairement le changement de contrôle ou de direction.
Le contrat peut en revanche valablement prévoir que le changement de contrôle de la société, et/ou le changement de dirigeant, constitue une cause de rupture du contrat.
En résumé :
- Le principe d’autonomie de la personne morale prévalant, la rupture d’un contrat avant échéance ne peut être justifiée par la cession de la totalité des parts ou actions d’une société, ou le changement de ses dirigeants, faute de stipulation particulière du contrat l’autorisant.
Il faut donc apporter une vigilance particulière à la rédaction des clauses intuitu personae.
2. La rédaction de la clause intuitu personae
La clause intuitu personae doit être proportionnée et adaptée à l’intention des parties d’une part, pour éviter de créer un déséquilibre significatif et encourir ainsi la nullité et d’autre part, pour éviter des situations de blocage.
Lors de la rédaction d’une clause intuitu personae, il sera d’abord nécessaire de déterminer à quelle(s) partie(s) au contrat la clause s’applique.
La clause est, en principe, bilatérale.
Si les parties optent pour une clause unilatérale, la clause sera valide uniquement en cas de valables motifs car elle peut être considérée comme constitutive d’un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au sens de l’article L 442-1, 2° du code de commerce (CA Paris, 5 janvier 2022, n° 20/00737).
Il conviendra ensuite de déterminer ce que l’on entend par changement de contrôle.
- De quel contrôle parle-t-on ?
S’agit-il d’un changement d’associé, de gérant, de structure juridique, d’interlocuteur privilégié ?
Si le contrôle est celui de l’article L 233-3 du code de commerce, il est important de le préciser expressément, pour éviter toute autre interprétation.
- De quel changement parle-t-on ?
Il est conseillé de déterminer si le changement doit être direct ou indirect ou encore quels types d’opération il recouvre (restructuration, cession impliquant un tiers, un concurrent, etc.)
Si le contrôle renvoi à un changement d’associé ou d’actionnaire, il peut également être opportun d’indiquer si ce changement doit être significatif ou non et de déterminer à partir de quel pourcentage de cession des parts ou actions on doit considérer que la clause intuitu personae peut être activée.
Enfin, il conviendra de fixer les conséquences du non-respect de la clause intuitu personae.
L’absence d’accord du cocontractant sur le changement de contrôle ou de direction implique-t-elle une résiliation automatique du contrat, avec ou sans préavis, une renégociation des termes ?
La liberté contractuelle pour la rédaction de cette clause est très large.
Une précision dans sa rédaction est toutefois essentiel compte tenu des enjeux attachés.
Une clause intuitu personae pourra bloquer, ou à tout le moins, rendre plus difficile une cession de parts, une fusion-acquisition de société ou encore un changement de gouvernance.
Elle pourra également être utilisée pour mettre fin à une relation commerciale établie et être un point d’entrée pour renégocier un contrat.
En outre, cette clause pourra être rejetée ou dépourvu de tout effet si elle est trop large.
La clause intuitu personae doit donc faire l’objet d’une rédaction personnalisée et adaptée afin de s’assurer de sa portée et de n’imposer que des contraintes strictement nécessaires et proportionnées à l’objectif choisi.