Est nulle la transaction conclue après un licenciement abusif
29 novembre 2023
(Cour de cassation, Chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 21-25.481)
Nous le savons, il est désormais acquis que l’insuffisance professionnelle d’un salarié ne peut donner lieu à un licenciement disciplinaire sauf à démontrer que celle-ci résulte d’une volonté délibérée du salarié.
Lorsqu’il décide de rompre disciplinairement le contrat d’un salarié en raison de ce type de carences professionnelles, l’employeur doit donc se montrer particulièrement vigilant.
Il doit, en outre, veiller à faire mention, au sein de la lettre de licenciement, de ce que cette insuffisance relève d’une volonté délibérée du salarié. A défaut, il risque de voir la rupture requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse et, potentiellement, la transaction intervenue annulée.
C’est ici tout l’apport de la décision commentée.
En effet, par cette dernière, la Cour de cassation juge qu’en présence d’un licenciement disciplinaire fondé sur une insuffisance dépourvue de caractère fautif, le juge peut restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification et ainsi, anéantir la transaction signée entre les parties.
Revenons-y :
1. Les faits de l’espèce
Le 14 octobre 2016, un salarié occupant les fonctions d’agent technico-commercial a été licencié pour faute grave.
Son employeur lui reprochait notamment une absence de réalisation fautive de ses objectifs, un défaut de réalisation d’un plan d’action, un désintéressement total dans le démarchage et la prospection de la clientèle, l’ensemble caractérisant la mauvaise volonté délibérée de ce salarié dans l’exécution de son contrat de travail.
Or, dans la rédaction de la lettre de licenciement l’employeur invoquait l’absence d’objectifs atteints et son refus de changer de poste au regard de ses carences sans toutefois préciser que l’insuffisance constatée était en réalité « intentionnelle ».
Le salarié contestait dès lors son licenciement et proposait un accord transactionnel, lequel a été conclu le 28 octobre suivant.
C’est ainsi que, sans avoir renoncé au qualificatif de la faute grave, la Société acceptait de prendre en considération le préjudice que le salarié estimait avoir subi en raison de la perte de son emploi et de de lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.
De son côté, le salarié renonçait à son action devant la juridiction prud’homale.
Pourtant, le 21 novembre 2016, près d’un mois après la signature de cet accord, le salarié décidait d’en contester les termes et sollicitait le versement d’une indemnité légale de licenciement, ce à quoi la Société refusait de faire droit.
Il saisissait alors le Conseil de prud’hommes aux fins de voir déclarer nulle la transaction conclue et obtenir la requalification de la rupture intervenue en licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les premiers juges ont fait droit aux demandes du salarié.
Toutefois, estimant le licenciement bienfondé et la transaction parfaitement valable, l’employeur interjetait appel de cette décision.
Par la suite, la Cour d’appel confirmait les termes du jugement entrepris, générant la décision présentement commentée, laquelle s’avère être lourde de sens.
2. La décision de la Cour de cassation
La Haute Cour a validé en tous points le raisonnement de la juridiction de second degré, laquelle avait relevé que :
« Si la juridiction appelée à statuer sur la validité d’une transaction réglant les conséquences d’un licenciement n’a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, elle doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l’employeur n’est pas dérisoire, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales. Pour déterminer le caractère réel ou non des concessions contenues dans la transaction, le juge peut, sans heurter l’autorité de chose jugée attachée à la transaction, restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification. »
En effet, selon la Cour d’appel, si les motifs du licenciement du salarié tels que présentés dans la lettre de licenciement afféraient à des insuffisances de résultats commerciaux, une insuffisance de prospection et un refus de nouveau poste, à aucun moment l’employeur n’indiquait que ces insuffisances résultaient d’une volonté délibérée du salarié.
Elle en a alors déduit que les faits reprochés caractérisaient une insuffisance professionnelle et n’étaient pas susceptibles de recevoir la qualification de faute grave, outre que le refus des nouveaux postes proposés par l’employeur ne pouvait, non plus, être qualifié de la sorte.
De ce postulat, la Cour en a déduit que le versement d’une indemnité transactionnelle de 10.000,00€, en contrepartie de l’engagement du salarié à ne plus contester son licenciement, était pour le moins dérisoire, dès lors que l’existence de la faute grave à l’origine du licenciement avait succombé et l’avait privé de son indemnité de préavis et de son indemnité conventionnelle de licenciement.
En d’autres termes, ces deux dernières devant être considérées comme dues, la transaction conclue ici était d’un montant qui ne les compensait pas.
En conséquence, relevant une absence de concession réciproque entre les parties, la Cour de cassation a validé la nullité de la transaction conclue.
3. La portée de cette décision
Il convient de tirer trois enseignements majeurs de cet arrêt :
- l’impérieuse nécessité pour l’employeur de procéder à une rédaction minutieuse de la lettre de licenciement, et ce notamment, quand il entend se prévaloir d’une insuffisance de résultats résultant d’une volonté délibérée du salarié (et donc d’un comportement qualifiant la faute grave, privatif d’indemnités, en dehors des congés payés).
C’est bien cette mention qui, faisant défaut, a généré de lourdes condamnations pécuniaires pour l’employeur alors même que le comportement fautif du salarié était avéré.
- le rappel du rôle des juges qui, pour déterminer le caractère réel ou non des concessions contenues dans une transaction, sans se heurter à l’autorité de chose jugée attachée à cet accord, peuvent néanmoins restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification.
- L’incertitude répétée dans laquelle se retrouvent les entreprises au travers de jurisprudences évolutives qui, sous couvert de théories strictes, ne visent qu’à rechercher coûte que coûte l’indemnisation d’un salarié
Cette décision a également le mérite de mettre en exergue le rôle essentiel du conseil de l’employeur, lequel a notamment pour mission, lorsqu’il est saisi, de veiller à la rédaction rigoureuse de la lettre de licenciement qui est bien trop souvent considérée comme une formalité sans difficultés … Hélas bien à tort !