Droit de la vente : un vice caché 20 ans après

La garantie des vices cachés prévue par les articles 1641 et suivants du Code civil oblige le vendeur professionnel ou occasionnel à livrer un bien sans défaut susceptible de compromettre l’utilisation prévue au contrat.

 

L’action doit être engagée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice.

Dans la pratique, la « découverte » (au sens juridique) du vice découle souvent d’un rapport d’expertise judiciaire, même si l’acheteur en soupçonnait l’origine et la nature bien avant l’expertise.

La Cour de cassation a tranché récemment un débat sur le délai encadrant la mise en œuvre de cette action depuis la vente.

Les positions antérieures et antagonistes de deux chambres de la Cour de cassation :

– Position de la 1ère chambre civile et de la Chambre commerciale : Délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, inclus dans le délai de 5 ans à compter de la vente (article L. 110-4 du Code de commerce).

– Position de la 3ème chambre civile et de plusieurs juges du fond : Délai de 2 ans à compter de la découverte du vice, inclus dans le délai de 20 ans à compter de la vente (article 2232 du Code de commerce).

La raison du débat repose sur le fait que la loi du 17 juin 2008, codifiée au sein de l’article L.110-4 du Code de commerce, réduisant le délai de prescription de 10 à 5 ans en droit commun, n’a pas précisé le point de départ de ce délai. Il revenait donc au juge de le fixer.

La 1ère chambre civile et la chambre commerciale de la Cour de cassation s’accordèrent sur un point de départ au jour de la conclusion du contrat de vente, ce qui enfermait le délai pour agir, à compter de la vente, au sein du délai de prescription de 5 ans de droit commun.

La 3ème chambre civile raisonnait autrement, souhaitant protéger davantage le vendeur intermédiaire. Elle insérait le délai de la garantie des vices cachés de 2 ans au sein du délai butoir de 20 ans prévu par l’article 2232 du Code civil, permettant le report du point de départ de la prescription à 20 ans « à compter du jour de la naissance du droit », soit de la vente initiale.

Les arrêts du 21 juillet 2023 :

Une chambre mixte, présidée par le premier président, réunissant les trois chambres de la Cour concernées par la question, a été réunie pour l’occasion et a rendu 4 arrêts tranchant cette problématique : dans quelles conditions se combine un délai dont le point de départ est variable ou glissant (la découverte du vice) avec un délai dont le point de départ est fixe et déterminable (la date de la vente) ?

Les différents délais fixes possibles étaient les suivants :

– Le délai de 20 ans prévu à l’article 2232 du Code civil

– Le délai de cinq ans prévus à l’article L.110-4 du Code de commerce

La réponse de la Cour :

L’action en garantie des vices cachés doit être initiée dans un délai de 2 ans à compter de la découverte du vice et dans un délai de 20 ans à compter de la vente.

Les incidences de cet allongement du délai butoir sont très différentes selon si l’on se place du côté du vendeur ou de l’acheteur bien entendu, mais plus généralement selon le bien concerné par la vente.

Si remettre en cause la vente d’un appartement ou d’une maison 19 ans plus tard ne semble pas démesuré, il en va tout autrement lorsqu’un bien meuble est concerné, a fortiori lorsqu’il s’agit de la vente d’un animal.

Nous avons pu constater que des expertises judiciaires sur des ventes de chevaux de sport conclues plus de 7 ans auparavant venaient d’être ordonnées. L’influence de l’acheteur sur l’animal et les répercussions de son milieu de vie pendant toutes ces années sont telles que la datation du vice ne sera pas aisée.

Malgré l’allongement du délai, il incombe en effet toujours à l’acheteur de prouver que le vice existait antérieurement à la vente.

L’insécurité juridique pour les vendeurs de ces biens devient colossale. À noter que l’action en vices cachés étant un accessoire du bien vendu, elle se transmet aux acquéreurs successifs de ce bien, de sorte que tous les vendeurs successifs peuvent être mis en cause pendant cette même durée.

La réforme des contrats spéciaux apportera peut-être un nouveau changement de délai puisque l’avant-projet de réforme prévoit deux rédactions alternatives de l’article 1648 du Code civil :

– « L’action résultant des vices se prescrit par deux ans. Ce délai commence à courir à compter du moment où l’acheteur a découvert ou aurait dû découvrir le vice, sans que l’action puisse être exercée au-delà du délai fixé à l’article 2232. Toute clause contraire est réputée non écrite »,

– Ou « L’action résultant des vices se prescrit par deux ans. Ce délai commence à courir à compter du moment où l’acheteur a découvert ou aurait dû découvrir le vice, sans que l’action puisse être exercée plus de dix ans après la délivrance. Toute clause contraire est réputée non écrite ».

Le délai butoir pourrait alors être réduit à 10 ans.

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