Loi de finances pour 2024
31 janvier 2024
La loi de finances pour 2024 a été publiée au Journal Officiel le 30 décembre 2023, après examen de ses dispositions par le Conseil Constitutionnel (décision du 28 décembre 2023).
Comme chaque année, la loi de finances prévoit (i) des mesures en matière de fiscalité des entreprises (ii) comme en matière de fiscalité des particuliers, et (iii) certaines mesures transverses.
Les principales mesures sont :
Pour les entreprises :
– Imposition des bénéfices :
- Instauration de l’impôt minimum mondial
- Renforcement des règles relatives au contrôle des prix de transfert
- Création d’un crédit d’impôt pour l’industrie verte (C3IV)
- Modification des règles relatives aux dividendes intragroupe (aménagement)
- Aménagement des règles relatives à l’actionnariat salarié dans l’intégration fiscale (pourcentage de détention)
- Report de la suppression de la CVAE
- Report de la réforme de la facturation électronique
Autres mesures :
- TVA
- Contrôles fiscaux
- Plan de lutte contre les fraudes
- Mesures en faveur de la transition énergétique
- Suppression de niches fiscales
Pour les particuliers :
- Aménagement du dispositif Dutreil
- Actif successoral et quasi-usufruit : nouvelle règle anti-abus
- Renforcement de l’article 155 A du CGI
- Nouvelle mesure anti-optimisation de l’IFI
- Aménagement de l’exit tax.
FISCALITE DES ENTREPRISES
- Imposition des bénéfices
Imposition minimale des grandes entreprises (impôt minimum mondial et impôt complémentaire français)
C’est l’entrée en vigueur de ce que l’on a appelé « l’impôt minimum mondial » => en synthèse, les groupes d’entreprises dont le CA consolidé est supérieur à 750M€ supporteront un impôt sur leurs bénéfices d’au moins 15% dans chaque juridiction.
C’est la transposition de la Directive du 14 décembre 2021 (règles anti-érosion).
Le taux effectif d’imposition devra être calculé, pour chaque exercice et pour chaque juridiction, en faisant le rapport entre (i) la somme des montants corrigés des impôts couverts des entités constitutives situées dans cette juridiction et (ii) le bénéfice qualifié net de celles-ci.
En cas d’insuffisance d’imposition constatée dans la juridiction, un impôt complémentaire devra être acquitté.
En principe cet impôt complémentaire devra être versé par l’entité mère ultime du groupe dans son Etat de résidence. A défaut, cet impôt devra être collecté au prorata dans les juridictions appliquant ces règles dans lesquelles sont établies les autres entités constitutives du groupe. En outre, les Etats peuvent décider de mettre en place un impôt complémentaire national afin de collecter eux-mêmes cet impôt complémentaire au titre des entités établies sur leur territoire.
La loi de finances pour 2024 insère ces règles dans un nouveau chapitre dédié du Code Général des Impôts (« CGI »).
Comme autorisé par la Directive (voir ci-avant), la France met en place un impôt national complémentaire auquel pourront être soumises les entités établies en France d’un groupe entrant dans le champ d’application de l’impôt minimum mondial (règles « Pilier 2 »).
Cet impôt, déterminé au niveau de l’ensemble des entités françaises puis affecté à chacune d’entre elles selon des règles spécifiques, devra en principe être déclaré et payé individuellement par chacune d’entre elles. Il sera cependant possible de désigner une entité chargée de s’acquitter de l’impôt national complémentaire pour toutes les entités françaises, et de déposer le relevé de liquidation pour toutes.
A noter qu’une entité française pourra ainsi être tenue de payer un impôt national complémentaire en France alors même que son TEI (taux effectif d’imposition) individuel est supérieur à 15%, dès lors que d’autres entités françaises du groupe sont insuffisamment imposées.
L’impôt national complémentaire ne sera pas déductible de l’impôt sur les sociétés (« IS »).
Les règles de procédure et de recouvrement seront celles applicables à l’IS, sauf exceptions dont notamment (i) l’absence d’acompte trimestriel, (ii) un délai de reprise étendu courant jusqu’à la cinquième année suivant celle au titre de laquelle l’imposition est due, et (iii) des pénalités particulières en cas de manquements déclaratifs.
Ces nouvelles règles s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 31 décembre 2023.
L’OCDE poursuivant ses travaux à l’origine de la Directive, ces règles ont vocation à être complétées, précisées et commentées notamment dans les commentaires administratifs.
Renforcement des règles relatives au contrôle des prix de transfert
Ce renforcement passe par quatre mesures :
- Le seuil de CA ou d’actif brut au bilan à partir duquel une société est tenue de présenter une documentation complète de la politique de prix de transfert du groupe est rabaissé de 400M€ à 150M€ pour les exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024 ;
- Le contenu de leur documentation prix de transfert devient opposable aux entreprises : une présomption de transfert de bénéfice est instituée en cas d’écart entre le résultat déclaré et le résultat qui aurait été atteint si les règles prévues par la documentation avaient été respectées. Cette présomption sera réfragable (il faudra démontrer l’absence de transfert de bénéfice à l’étranger). Cette nouvelle règle s’applique aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024 ;
- Le montant minimal de l’amende pour défaut de présentation de la documentation prix de transfert ou défaut de réponse aux demandes d’informations de l’administration fiscale est relevé de 10K€ à 50K€ ;
- Le délai de reprise de l’administration est aménagé et élargi concernant les actifs incorporels difficiles à évaluer: (i) l’administration peut rectifier le prix de cession de ces actifs sur la base des résultats postérieurs à l’exercice au cours duquel a eu lieu la transaction; (ii) pour ces cessions d’actifs, le délai de reprise court jusqu’à la fin de la sixième année suivant celle au cours de laquelle l’imposition est due; (iii) l’administration pourra contrôler ces cessions dans que cela ne constitue la réitération d’une vérification de comptabilité; ces nouvelles règles s’appliquent aux exercices ouverts à compter du 1er janvier 2024.
Création d’un crédit d’impôt au titre des investissements dans l’industrie verte («C3IV»)
Ce nouveau dispositif concernera les entreprises qui réaliseront sur le territoire national des dépenses d’investissement en lien avec des activités contribuant à la production de batteries, de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes et de pompes à chaleur.
Les dépenses d’investissement couvrent (i) les acquisitions d’actifs corporels (terrains et constructions compris) et (ii) les acquisitions d’actifs incorporels nécessaires à l’activité (brevets, licences, etc…).
Les dépenses d’acquisitions entre entreprises liées (au sens de l’article 39-12 du CGI) ne seront pas éligibles.
Le taux du crédit d’impôt est de 20%, porté à 25% pour les investissements réalisés dans une ZAFR ou à 40% pour ceux effectués en RUP. Ces taux seraient majorés de 10% pour les moyennes entreprises et de 20% pour les petites entreprises. Le montant de l’aide sera plafonné à 150M€ (200M€ pour les ZAFR et 350M€ pour les RUP).
Le crédit d’impôt sera calculé sur la base des dépenses de l’exercice ; il sera imputable sur l’IS ou l’IR (impôt sur le revenu) et l’excédent pourra être immédiatement restitué au contribuable. Ce crédit d’impôt constituera une aide d’Etat (respect des plafonds) et sera conditionné à l’obtention d’un agrément.
Des mécanismes anti-abus sont prévus (pas de transfert d’activités déjà exercées dans l’UE ou l’EEE au cours des deux derniers exercices, respect par l’entreprise de ses obligations fiscales, sociales et environnementales, engagement d’exploitation en France desdits investissements pendant 5 ans, pas de transfert hors de France des actifs concernés pendant
5 ans).
Ce dispositif sera applicable aux projets agréés jusqu’au 31 décembre 2025 et déposés depuis le 27 septembre 2023. Cependant, l’entrée en vigueur est subordonnée à la validation par la Commission européenne.
Dividendes intragroupes : aménagement des conditions d’application de la quote-part de frais et charges de 1% et de l’exonération à 99%
Prenant acte de la jurisprudence Manitou, la loi de finances pour 2024 étend l’application du taux réduit de 1% ou de l’exonération de 99% aux dividendes distribués par une société établie dans l’UE ou l’EEE intégrable, sans qu’il y ait lieu de vérifier si la société récipiendaire est ou non intégrée ou si elle peut ou non l’être. A noter que la condition d’appartenance effective à un groupe intégré est maintenue pour les distributions entre sociétés établies en France (ce qui ne paraît pas juste).
Par ailleurs, le bénéfice du taux réduit de 1% ou de l’exonération de 99% est désormais limité aux distributions effectuées par des sociétés intégrées, ou intégrables pour celles établies dans l’UE ou l’EEE, depuis plus d’un exercice.
Ces modifications s’appliquent aux exercices clos à compter du 31 décembre 2023 (donc une application rétroactive sur l’exercice 2023 pour la majorité des entreprises).
Intégration fiscale : aménagement des règles relatives à la prise en compte de l’actionnariat salarié
Afin d’éviter que l’actionnariat salarié n’empêche l’intégration fiscale de sociétés, des dérogations au calcul du pourcentage de détention de 95% existent, i.e. les titres émis au profit de salariés ne sont pas pris en compte pour le calcul (dans certaines conditions et dans la limite de 10% du capital).
La loi de finances pour 2024 précise et aménage ces règles existantes, notamment pour les cas de mobilité du salarié au sein du groupe, toujours dans l’optique de favoriser l’actionnariat salarié sans empêcher l’intégration.
2. Report de la suppression de la CVAE
La loi de finances pour 2023 (du 30 décembre 2022) avait prévu la suppression sur deux ans de la CVAE, dont le montant avait été divisé par deux au titre de 2023 et qui devait disparaître à compter de 2024.
Conformément aux annonces du Gouvernement, la loi de finances pour 2024 reporte la suppression jusqu’en 2027 : les taux de la CVAE seront diminués de 25% par an entre 2024 et 2026, la CVAE étant totalement abrogée en 2027.
A titre de « dédommagement » à destination des PME, la cotisation minimale de 63€ à laquelle étaient soumises les entreprises réalisant un CA supérieur à 500K€ est supprimée.
3. Report de la réforme de la facturation électronique
La loi de finances pour 2024 reporte l’entrée en vigueur des obligations de facturation électronique (e-invoicing) et de transmission à ‘administration de certaines données de facturation (e-reporting).
Selon le nouveau calendrier :
- L’obligation de recevoir des factures électroniques s’appliquerait au 1er septembre 2026 pour toutes les entreprises,
- Les obligations de e-invoicing et de e-reporting s’appliqueraient à compter du 1er septembre 2026 pour les grandes entreprises et ETI (entreprises de taille intermédiaire), et à compter du 1er septembre 2027 pour les PME et TPE qui ne sont pas membres d’un groupe TVA.
AUTRES MESURES
- Taxe sur la valeur ajoutée
La loi renforce les mesures de lutte contre la fraude par le biais de plusieurs mesures :
- Application de la TVA à l’importation pour les “dropshippers” (opérateurs achetant des biens situés en dehors de l’UE et les revendant en ligne sans jamais en disposer physiquement), sous conditions ;
- Autoliquidation de la TVA sur de nouvelles cessions de certificats de garanties d’origine et certificats prévus par le code de l’énergie ;
- Mise en place d’une procédure de mise en conformité fiscale pour les assujettis fournissant des services par voie électronique par l’intermédiaire d’une interface en ligne, avec l’instauration de sanctions pouvant aller jusqu’au déréférencement ou à la restriction d’accès.
Sont également prévus :
- Le remplacement de l’accréditation d’un représentant fiscal par un dispositif simplifié, pour les assujettis non établis dans l’UE et pour certaines opérations ;
- La modification du régime des opérateurs de détaxe de TVA ;
- L’assujettissement à la TVA française des locations de biens meubles corporels, autres que des moyens de transport, fournies à un preneur hors UE (exemple : location de skis à
- Méribel à un résident fiscal américain : il y aura dorénavant de la TVA française) ;
- L’aménagement des modalités d’application de la TVA aux activités de location meublée afin de se conformer à la directive TVA.
Enfin, la directive 2022/542 relative aux taux de TVA est transposée, emportant plusieurs modifications (notamment, les centres équestres et activités liées au cheval repassent au taux réduit de 5,5%).
2. Contrôles fiscaux
La loi aménage les modalités de réalisation des contrôles fiscaux sur place (chez le contribuable). En principe, une vérification de comptabilité doit se dérouler dans les locaux de l’entreprise, mais la jurisprudence admet qu’elle puisse être effectuée dans un lieu distinct (chez l’avocat ou le comptable) sur demande du contribuable.
Pour les contrôles engagés à compter du 1er janvier 2024 ainsi que pour ceux en cours à cette date, il est prévu que les opérations pourront se dérouler dans un lieu déterminé d’un commun accord entre le contribuable et l’administration ; à défaut d’accord, l’administration pourra décider unilatéralement de tenir la vérification dans ses locaux.
3. Plan de lutte contre les fraudes
Sont prévues de nouvelles mesures :
- Extension de l’expérimentation permettant aux administrations fiscales et douanières de collecter des informations sur les plateformes en ligne ;
- Autorisation de créer des comptes sur ces plateformes et d’échanger anonymement avec les auteurs de manquements présumés ;
- Extension des règles applicables aux visites domiciliaires aux crédits d’impôt : l’administration pourra notamment saisir des informations sur des serveurs se trouvant à l’extérieur de l’entreprise ;
- Pérennisation du dispositif d’indemnisation des aviseurs fiscaux ;
- Nouvelle obligation pour les personnes morales de déclarer la liste des comptes d’actifs numériques détenus à l’étranger (cette obligation existait déjà pour les personnes physiques) ;
- Création d’un nouveau délit de mise à disposition d’instruments de fraude fiscale ;
- Création d’une peine complémentaire de privation des droits à réduction et crédits d’impôt (hors crédits d’impôt conventionnels) et d’IFI pour les personnes physiques reconnues coupables du délit de fraude fiscale aggravée, de recel de ce délit ou de son blanchiment.
4. Mesures en faveur de la transition énergétique
En plus de la création du C3IV, la loi prévoit de nouvelles mesures favorisant la transition énergétique :
- Réduction de dépenses fiscales défavorables à l’environnement (“niches brunes”) : augmentation du taux réduit de l’accise sur le gazole agricole et non routier, suppression des tarifs réduits d’accise sur certains produits pétroliers et sur les charbons ;
- Durcissement de plusieurs malus, taxes et contributions sur les véhicules de tourisme des particuliers et des entreprises (4×4 et SUV).
5. Suppression de niches fiscales
La loi supprime plusieurs niches fiscales devenues obsolètes ou sans incidence budgétaire.
FISCALITE DES PARTICULIERS
1. Recentrage du dispositif Dutreil
Afin de faire échec aux jurisprudences récentes favorables de la Cour de cassation et du Conseil d’Etat , qui ont permis l’application du pacte Dutreil à certaines activités de location meublées, la loi de finances modifie la définition des activités éligibles pour exclure les activités de location meublées du champ d’application du dispositif.
Par ailleurs, légalisant cette fois-ci la jurisprudence et la doctrine, la loi précise désormais que les titres d’une holding animatrice et les titres d’une société dont l’activité « principale » est éligible peuvent bénéficier du dispositif.
Ces modifications sont d’application rétroactives et s’appliquent aux transmissions réalisées à compter du 17 octobre 2023.
2. Non déductibilité de l’actif successoral des dettes de restitution liées à un quasi-usufruit
Afin de faire échec à la pratique consistant à donner une somme d’argent sous réserve d’usufruit (quasi-usufruit) afin d’éviter son imposition lors de la succession, la loi de finances introduit un mécanisme anti-abus interdisant la déduction de ce passif de l’actif successoral.
Cette mesure s’applique aux successions ouvertes à compter du 29 décembre 2023 (quelle que soit la date de constitution du quasi-usufruit).
3. Extension du dispositif anti-abus de l’article 155 A du CGI
L’article 155 A du CGI permet, dans certaines conditions, d’imposer en France les revenus de prestations effectuées par une personne physique malgré l’interposition d’une société étrangère (en tout ou en partie, selon que la personne physique qui effectue les prestations est résidente fiscale française ou non).
A nouveau en réaction à une jurisprudence favorable du Conseil d’Etat, la loi de finances modifie l’article 155 A pour inclure dans son champ d’application les redevances de concession de droits de propriété intellectuelle apportés par une personne physique à une société étrangère.
Ces dispositions s’appliquent aux revenus perçus à compter du 1er janvier 2024.
4. Impôt sur la Fortune Immobilière (IFI) : nouvelle mesure anti-optimisation
La loi complexifie le calcul de la base imposable de l’IFI en cas d’actifs immobiliers détenus via des sociétés interposées endettées. Les dettes n’étant pas directement ou indirectement afférentes à un actif imposable ne seront pas prises en compte, avec cependant l’instauration d’un double mécanisme de plafond et/ou de prorata en fonction de la valeur vénale des actifs et du pourcentage de détention du capital desdites sociétés par le contribuable.
Cette nouvelle mesure est applicable dès l’IFI 2024 (dont le fait générateur était au 1er janvier 2024 …).
5. Aménagement de l’exit tax
Le texte prévoit une exigibilité immédiate de l’impôt en sursis de paiement (pour les départs à l’étranger effectués depuis le 1er janvier 2019) en cas de défaut de dépôt de la déclaration relative aux évènements dont la survenance donne lieu à un dégrèvement ou une restitution de l’impôt.
Le texte est également corrigé concernant le dégrèvement des prélèvements sociaux de certains contribuables.
MESURES SECTORIELLES
Pour mémoire :
- Création d’une taxe sur les bénéfices excédentaires liés à l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance ; cette nouvelle taxe devrait essentiellement concerner les grandes concessions autoroutières et les grands aéroports ;
- Création d’une taxe sur le streaming ;
- Encadrement de l’IFER “fixe” ou “télécom”.