Obligation de reclassement en cas d’inaptitude

LES PRÉCISIONS BIENVENUES DE LA COUR DE CASSATION

Par deux arrêts rendus au mois de mars dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation a apporté des précisions aux implications pratiques non négligeables, s’agissant des modalités d’application de l’obligation de reclassement pesant sur l’employeur lorsqu’un salarié se voit déclaré inapte à son poste par le médecin du travail.

À titre liminaire et pour mémoire :

  • En vertu de l’article L.1226-2 du Code du travail, lorsqu’un salarié est déclaré inapte à son emploi, il appartient à l’employeur d’effectuer des recherches de reclassement afin de lui en proposer un autre, adapté à ses capacités, et ce, au sein de l’entreprise ou de l’une des entités du groupe auquel celle-ci appartient, le cas échéant, sur le territoire national.

Ce même article précise que :

  • La ou les propositions de postes doivent prendre en compte les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu’il formule sur les capacités du salarié à exercer l’une des tâches existantes dans l’entreprise (ou le groupe, le cas échéant) ;
  • L’emploi proposé doit être aussi comparable que possible à l’emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en œuvre de mesures telles que mutations, aménagements, adaptations ou transformations de postes existants ou aménagement du temps de travail.

 

  • L’article L.1226-2-1 du même Code ajoute quant à lui que l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L.1226-2 précité ou du refus du salarié de l’emploi proposé dans ces mêmes conditions : il s’agit là, in fine, d’une présomption de respect de l’obligation de reclassement dès lors que l’employeur propose un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, à charge pour le salarié de renverser ladite présomption en démontrant la « non-conformité » du poste proposé, ou le manque de sérieux/la déloyauté de l’employeur dans la conduite de la recherche de reclassement.

 

  1. LE REFUS PAR UN SALARIÉ INAPTE D’UNE PROPOSITION DE POSTE DE RECLASSEMENT, CONFORME AUX PRÉCONISATIONS DU MÉDECIN DU TRAVAIL ET IMPLIQUANT UNE BAISSE DE RÉMUNÉRATION, JUSTIFIE SON LICENCIEMENT (CASS. SOC. 13 MARS 2024, N°22-18.758 – PUBLIE AU BULLETIN)

Dans cette espèce, une salariée occupant un poste d’employée commerciale avait été placée en arrêt de travail de manière discontinue à compter du 15 mars 2016, puis déclarée inapte à son poste de travail par un avis du médecin du travail rédigé en ces termes :

« Inapte à son poste de travail et à tout poste à temps complet. Possibilité de reclassement à un poste à mi-temps sans station debout prolongée ni manutention manuelle de charges ».

Ainsi, au mois de février suivant, l’employeur avait – avec l’accord de principe du médecin du travail et après avis des délégués du personnel (à l’époque) — proposé à cette salariée un poste de caissière à mi-temps, tel que préconisé par le médecin du travail, que l’intéressée avait pourtant refusé en raison de la baisse de rémunération associée à ce reclassement.

L’employeur s’était alors vu contraint de rompre le contrat de travail en raison de l’inaptitude de la salariée et de l’impossibilité de la reclasser (du fait de son refus du poste proposé), ce que cette dernière avait alors contesté devant la juridiction prud’homale.

À rebours du Conseil de prud’hommes, la Cour d’appel avait jugé le licenciement comme dénué de cause réelle et sérieuse, au motif de l’absence de recherche de postes de reclassement supplémentaires après le refus opposé par la salariée. Les juges d’appel avaient ainsi estimé que la proposition d’un poste à mi-temps (en l’occurrence 17h30 hebdomadaires), avec maintien du taux horaire initialement appliqué au poste à temps complet précédemment occupé par la salariée, impliquait une diminution substantielle de sa rémunération, et, partant, une modification de son contrat de travail qu’elle était donc légitime à refuser.

Saisie par l’employeur, la chambre sociale de la Cour de cassation a cassé et annulé cet arrêt d’appel, en jugeant que l’employeur avait proposé à la salariée un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, comme prévu par les articles L.1226-2 et L.1226-2-1 précités, que cette dernière avait fait le choix de refuser.

Aussi, en exigeant de l’employeur qu’il fasse d’autres propositions de reclassement alors qu’il avait déjà proposé un poste conforme aux préconisations du médecin du travail, la Cour d’appel avait violé les textes légaux, en mettant à la charge de l’employeur une obligation supplémentaire non légalement prévue.

Cette décision est à saluer en ce qu’elle autorise le licenciement immédiat du salarié inapte qui viendrait à refuser un poste de reclassement conforme à l’avis rendu par le médecin du travail, et ce quand bien même, comme c’était le cas en l’espèce, ce reclassement implique, du fait d’une modification de la durée du travail, une baisse importante de rémunération, laquelle ne suffit pas à renverser la présomption d’obligation de reclassement accomplie sus évoquée.

Faire prévaloir, dans de telles circonstances, les règles jurisprudentielles applicables en matière de modification du contrat de travail comme l’avait fait la Cour d’appel censurée reviendrait à rendre caduque ladite présomption, ce à quoi la Cour de cassation s’est justement opposée.

Vigilance toutefois :

  • Il convient d’explorer toutes les pistes de reclassement visées dans l’avis du médecin du travail, et non exclusivement celles qui entraineraient une modification du contrat de travail (et dont l’employeur supposerait qu’elles seraient refusées par le salarié) ;
  • cet arrêt a été rendu s’agissant d’une modification du contrat de travail touchant, par ricochet, à la rémunération du salarié du fait d’une réduction du temps de travail (appliquée à un taux horaire maintenu à l’identique) ; il ne peut pas, en l’état, être affirmé avec certitude que la Cour de cassation aurait adopté la même position s’il avait s’agit d’une baisse de la rémunération en lien, par exemple, avec la proposition d’un poste de qualification inférieure avec un taux horaire, lui aussi et logiquement, inférieur à celui du poste précédemment occupé (pour un temps de travail identique).

 

  1. L’EMPLOYEUR PEUT DÉBUTER LES RECHERCHES DE RECLASSEMENT DU SALARIE DÉCLARE INAPTE DÈS LORS QU’IL A CONNAISSANCE DE L’AVIS DU MÉDECIN DU TRAVAIL, SANS ATTENDRE LES PRÉCISIONS SOLLICITÉES AUPRÈS DE CE DERNIER (CASS. SOC. 27 MARS 2024, N°22-16.096 – INEDIT)

Dans l’affaire ayant donné lieu à cet arrêt, un salarié occupant le poste de chef de sécurité incendie avait été déclaré inapte à son poste le 27 novembre 2017 par le médecin du travail, lequel avait précisé que ledit salarié pouvait être affecté à un autre poste comportant des horaires fixes en journée.

Dès le 4 décembre suivant, l’employeur avait sollicité le médecin du travail pour obtenir des précisions sur les possibilités de reclassement et avait, ce même jour – et donc sans attendre sa réponse -, entamé des recherches de reclassement auprès du service des ressources humaines, notamment par le biais de l’envoi d’un email « type » diffusé auprès des entreprises appartenant au même groupe les 12 et 15 décembre suivants, par lequel elle indiquait être « à la recherche d’une solution de reclassement pour le salarié, chef d’équipe des services de sécurité incendie SSIAP 2. Il bénéficie à ce jour d’une ancienneté en date du 2 juin 1999 et est âgé de 40 ans.  Suite à une visite médicale de reprise en date du 27 novembre 2017, le médecin du travail a déclaré à son égard :

‘’À la suite du premier examen du 11 octobre 2017, de l’étude de poste et des conditions de travail du 15 septembre 2017 et de l’entretien du 14 novembre 2017, le salarié est inapte définitivement à son poste d’agent SSIAP. Il pourrait être affecté à un poste comportant des horaires fixes en journée’’.

Nous avons sollicité le médecin du travail pour avoir des précisions sur les possibilités de reclassement pour le salarié. Je ne manquerai pas de revenir vers vous dès que j’aurai reçu plus d’informations de sa part. La recherche de reclassement devant s’étendre à l’ensemble du groupe, je vous remercie de vouloir vous enquérir de rechercher par tout moyen un poste pouvant lui convenir en termes d’aptitude physique. ».

Le salarié avait finalement été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

Les juges du fond avaient arbitré en faveur du salarié et considéré que le licenciement ainsi notifié était sans cause réelle et sérieuse, en raison du manquement de l’employeur à son obligation de reclassement.

L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt d’appel d’avoir jugé qu’il avait « donné à ses recherches une délimitation trop vague pour ne pas avoir attendu les préconisations sollicitées auprès du médecin du travail », et en ne procédant ainsi pas à « une recherche loyale et complète en ne tenant compte que de manière partielle de l’avis du médecin du travail ».

La chambre sociale de la Cour de cassation a censuré les juges du fond : elle retient, au visa de l’article L.1226-2 précité, que « l’employeur n’a pas l’obligation d’attendre les précisions du médecin du travail pour engager ses recherches de reclassement ».

Aussi, la recherche de reclassement peut régulièrement débuter au jour de la réception par l’employeur de l’avis d’inaptitude du salarié à son poste ; étant entendu, que dans l’hypothèse où le médecin du travail apporte les précisions sollicitées par l’employeur, ce qui n’avait pas été le cas en l’espèce, il appartient alors à ce dernier d’en tenir compte et d’adapter sa recherche de reclassement (et donc de communiquer lesdites précisions aux entités du groupe initialement sollicitées).

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