Faute inexcusable : les mesures prises par l’employeur doivent être efficaces et suffisantes

(Cass. 2e civ. 29 février 2024 n°22-18.868 F-B)

Aux termes d’un arrêt rendu le 29 février 2024, la Cour de cassation rappelle que l’absence de mesures suffisantes ou efficaces prises par un employeur en vue de prévenir le risque d’agression auquel est soumis son personnel constitue une faute inexcusable.

Dès lors, l’insuffisance de la réponse de l’employeur aux problèmes d’agression peut caractériser une faute inexcusable.

Le point sur cette décision qui fournit une nouvelle illustration de ce qui est attendu de l’employeur en matière de mesures protectrices.

 

  1. RAPPEL DES FAITS DE L’ESPÈCE :

Dans cette affaire, une salariée d’un hôpital est victime d’une agression physique par une patiente alors qu’elle se trouvait dans l’espace ambulatoire du service des urgences. L’accident est pris en charge au titre de la législation professionnelle par la CPAM.

La salariée saisit ensuite la juridiction chargée du contentieux de la sécurité sociale aux fins de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur.

La Cour d’appel retient l’existence d’une faute inexcusable en considérant que :

  • L’hôpital ne pouvait ignorer le risque d’agression encouru par son personnel soignant étant donné que la recrudescence d’actes violents au sein de l’hôpital avait été évoquée depuis plusieurs années ;
  • Aucune mesure n’avait été prise, avant l’agression, de nature à prévenir le risque ;
  • Les zones de soins et ambulatoire n’avaient pas été fermées par une vitre ni l’accès limité par des portes ;

de sorte que les mesures de sécurité mises en œuvre par l’employeur étaient « manifestement insuffisantes à prévenir les risques d’agression au sein même de l’hôpital ».

Dans ce cadre, ce dernier forme un pourvoi en cassation en considérant que la reconnaissance d’une faute inexcusable suppose qu’un lien de causalité nécessaire soit établi entre le manquement reproché à son égard et la lésion survenue au temps et au lieu de travail.

Or, selon ce dernier, l’agression de la salariée par une patiente déjà admise aux urgences pour y être soignée, était sans lien de causalité avec l’absence de fermeture de la zone de soins et ambulatoire.

La Cour de cassation n’est pas de l’avis de l’employeur qui confirme l’analyse faite par la Cour d’appel et rejette le pourvoi formé par l’hôpital.

 

  1. LA QUALIFICATION DE FAUTE INEXCUSABLE :

Pour rappel, la loi ne définit pas la faute inexcusable, c’est donc la jurisprudence qui en a fixé les contours.

La définition qui en a été donnée a permis de dégager plusieurs conditions nécessaires à sa reconnaissance, à savoir :

  • Un manquement à une obligation de sécurité ;
  • La conscience du danger ;
  • La faute, cause nécessaire, mais non déterminante de l’accident.

La faute commise par l’employeur ne doit ainsi pas nécessairement être la cause directe et déterminante de l’accident. Il suffit qu’elle ait été une cause nécessaire même si d’autres fautes ont concouru au dommage ; autrement dit, le risque doit être raisonnablement prévisible.

On ne prend donc en compte ni la gravité du manquement à l’obligation de sécurité, ni son caractère volontaire ou involontaire, ni d’éventuelles circonstances atténuantes pouvant exonérer l’employeur de sa responsabilité.

Dans ce cadre, le manquement à l’obligation légale de sécurité et de protection de la santé à laquelle l’employeur est tenu envers le travailleur a le caractère d’une faute inexcusable dès lors que1 :

  • L’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié ;
  • Et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver ;

À la victime, sur qui repose la charge de la preuve de la faute inexcusable, de démontrer que ces deux conditions cumulatives sont remplies2.

S’agissant de la conscience du danger, c’est celle que l’auteur de la faute doit ou aurait dû avoir in abstracto en tant que professionnel averti, c’est-à-dire en l’état des connaissances scientifiques3, et eu égard au sentiment que l’employeur doit « normalement » avoir, compte tenu de son expérience et de ses connaissances professionnelles4.

S’agissant des mesures, l’employeur ne méconnaît pas l’obligation légale s’il justifie avoir pris toutes les mesures de prévention de risques prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail5.

Pour autant, la Cour de cassation rappelle ici qu’il ne peut pas se contenter de mettre en place des dispositifs de protection des salariés : il doit surtout s’assurer de leur efficacité6.

 

3. L’APPRÉCIATION DES MESURES PRISES PAR L’EMPLOYEUR :

Dans le cas d’espèce, les juges ont estimé que les mesures prises n’avaient pas été suffisantes ou suffisamment efficaces.

En effet, ils ont estimé que :

  • Le recrutement d’un agent de sécurité et la fermeture de la zone de soins par des portes coulissantes, qui lui avaient été demandés par certains salariés pour sécuriser les locaux, avaient été postérieurs à l’accident du travail, ;
  • Le contrat de sécurité cynophile était manifestement insuffisant à prévenir les risques d’agression au sein même de l’hôpital, ce, même si l’employeur avait recruté un maître-chien et fait appel à une prestation de sécurité de niveau 2 de 20h à 7h ;
  • L’organisation de formations sur la gestion de la violence constituait une réponse sous-dimensionnée par rapport à la réalité et la gravité du risque encouru ;

De sorte que, selon la Cour de cassation, les mesures de protection mises en œuvre étaient insuffisantes ou inefficaces à prévenir le risque d’agression auquel était soumis son personnel.

Cette décision peut paraître contestable.

En effet, toute la difficulté de ce genre de situation réside justement dans l’imprévisibilité de l’agression.

à ce titre, le fait que les accès aux urgences aient été ouverts 24 heures sur 24 est indifférent dans la mesure où le patient, une fois pris en charge, peut-être l’auteur d’une agression, peu important que l’employeur ait mis en place des agents de sécurité dédiés à la protection, ou des portes fermant la zone de soins puisque cela n’aurait pas été en mesure d’empêcher l’accident.

Cette appréciation des juges du fond, confirmée par les Hauts magistrats, est dès lors surprenante dans la mesure où le risque zéro n’existe pas et qu’aucun dispositif de sécurité supplémentaire n’aurait pu empêcher l’agression, ce qui avait été d’ailleurs mis en avant par l’employeur.

Ceci est d’autant plus vrai que la jurisprudence a pu écarter la faute inexcusable lorsque l’accident apparaît comme
« non prévisible »7
; ce qui était le cas en l’espèce.

Cela étant rappelé, cette décision doit toutefois être considérée avec attention.

En effet, si le risque d’agression dont il est ici question est propre aux hôpitaux, il n’en demeure pas moins que la problématique des agressions par des personnes tierces à l’entreprise existe également dans d’autres secteurs, dans les cas où les salariés se retrouvent confrontés au quotidien avec des clients ou des usagers.

Dès lors, nous recommandons d’être particulièrement vigilant lorsque des agressions se sont déjà produites, ou dans des contextes de tension, afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour que la sécurité des salariés soit effectivement assurée ; et ainsi éviter une condamnation pour faute inexcusable, lourde de conséquences.

 

1Cass. soc., 28 février 2002, n° 00-13.172, n° 99-18.389, n° 99-17.201 FP – P + B + R + I ;Cass. ass. plén., 24 juin 2005, n° 03-30.038 ;Cass. 2e civ. 8 octobre 2020 n°18-25.021 FS-PBI et 18-26.677 FS-PBI

2Cass. 2e civ. 8 juillet 2004 n°1233 FS-PBRI : RJS 10/04 n°1092 ; Cass. 2e civ. 5 juillet 2005 n°1029 F-D : RJS 10/05 n°1039

3Cass. soc., 28 février 2002, n° 99-17.221

4Cass. soc., 7 février 1962, n° 61-10.139 : Bull. civ. IV, n° 158

5Cass. soc., 25 novembre 2015, n° 14-24.444

6Cass. 2e civ., 7 avril 2022, n° 20-22.920

7Cass. 2e civ., 10 juin 2003, n° 01-21.20

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