Qui remporte l’enchère doit payer… et peut y être condamné !

Le Président du Tribunal Judiciaire de Paris1 s’est récemment prononcé, en référé, sur la possibilité pour un opérateur de ventes volontaires (OVV) d’agir en justice pour obtenir une condamnation en paiement de l’acquéreur défaillant.

Une procédure en référé est une procédure accélérée et simplifiée, souvent justifiée par un caractère d’urgence, qui doit permettre au justiciable d’obtenir une décision de justice dans des délais plus courts.

L’article 835 alinéa 2 du Code de procédure civile prévoit que créancier peut demander, en référé, de se voir accorder une provision dès lors que l’obligation pécuniaire n’est pas sérieusement contestable.

C’est sur le fondement de cet article que le Président du Tribunal judiciaire de Paris avait été saisi dans notre affaire. Les faits étaient les suivants.

À la fin de l’année 2021, la société Piasa, opératrice de ventes volontaires, organise deux ventes aux enchères : la première vente avait pour thématique le design français, la seconde le design italien.

Au cours de ces ventes, un acheteur s’était porté acquéreur de cinq des lots de la première vente, pour un montant de 65 390 euros, et de sept autres lots lors de la seconde vente, pour un montant de 80 340 euros.

Malgré de multiples échanges entre le représentant de la société Piasa et l’acquéreur, celui-ci n’a jamais réglé les sommes qui étaient dues pour l’achat de ces pièces malgré son engagement à procéder au paiement à la mi-février 2022. Une mise en demeure lui a finalement été adressée le 30 mars 2022.

Cette dernière ayant été infructueuse, la société a assigné l’acheteur en référé le 29 juin 2023.

Pour statuer sur la recevabilité et le bien-fondé de l’action portée devant lui, le tribunal devait examiner deux points :

L’Opérateur de Ventes Volontaires (OVV) peut-il agir en justice pour obtenir de l’acquéreur défaillant qu’il s’acquitte des sommes dues ?

En un tel cas de figure, la créance d’enchère est-elle non sérieusement contestable ?

 

  1. L’action directe de l’OVV contre l’adjudicataire

Aux termes de l’article L.321-14 alinéa 1er du Code de commerce :

« Les opérateurs de ventes volontaires de meubles aux enchères publiques mentionnés à l’article L.321-4 sont responsables à l’égard du vendeur et de l’acheteur de la représentation du prix et de la délivrance dont ils ont effectué la vente ».

Le juge déduit de cet alinéa que les OVV sont recevables à agir à l’encontre des acheteurs en recouvrement du prix et des frais, sans aucune autre condition.

Ce n’est pourtant pas cette interprétation qui avait été retenue par la Cour de cassation quelques jours avant le rendu de cette décision, le 27 mars 20242.

En effet, la Haute cour avait confirmé un arrêt de la Cour d’appel de Paris3 dans lequel elle estimait que si l’OVV était bien le mandataire légal du vendeur, l’action en paiement du prix à l’encontre de l’acquéreur défaillant n’entrait pas dans le périmètre de ce mandat. L’opérateur de ventes ne peut donc pas agir directement contre l’acheteur, sauf à ce qu’il ait accordé au vendeur une avance sur le prix d’adjudication du bien vendu ce qui l’autoriserait à se subroger dans les droits du vendeur ou à ce qu’il justifie d’un mandat spécial de représentation en justice.

La décision commentée ne précise pas s’il y a eu une avance du prix des biens mis en vente par l’OVV au vendeur.

Mais il est notable que les demandes en paiement par la société Piasa ne portaient que sur six des douze lots achetés et nous pouvons supposer que l’acquéreur avait en réalité réglé une partie des sommes dues.

Il en résulterait que l’OVV aurait transmis ces sommes aux vendeurs, constituant ainsi une avance.

L’opérateur de ventes volontaire ayant qualité à agir contre l’acquéreur, reste à savoir s’il existait une créance non sérieusement contestable.

 

  1. L’absence de créance sérieusement contestable

Deux obligations de l’acheteur défaillant étaient en cause en l’espèce.

L’article 321-14 alinéa 3 du Code de commerce dispose qu’en cas de défaut de paiement par l’adjudicataire après une mise en demeure restée vaine,

  • Soit le bien concerné est remis en vente dans le cas où le vendeur en aurait formulé la demande dans les 3 mois de la vente initiale ;
  • Soit la vente est résolue de plein droit.

Et lorsque le vendeur décide de remettre à la vente ses biens, l’acquéreur initial lui doit la différence de prix qui résulterait d’une revente à un prix moindre que celui de l’adjudication initiale, et ce, sans qu’il ne puisse prétendre au remboursement des sommes qu’il aurait déjà versées4.

De sorte que la législation est particulièrement protectrice des vendeurs puisque, contrairement aux effets en principe rétroactifs de la résolution, le vendeur peut conserver les sommes déjà acquittées par l’acheteur défaillant et ce dernier reste tenu du paiement du prix d’adjudication quand bien même, il aurait été mis fin à la vente.

En l’occurrence, la société Piasa demandait ainsi au juge de condamner l’acheteur à payer, à titre de provision :

  • La somme de 56 555€ correspondant au prix d’adjudication et aux frais d’acheteur de trois des lots issus de la vente portant sur le design italien, ainsi que les intérêts légaux courant à compter de la date de la mise en demeure (soit le 30 mars 2022) ; et
  • La somme de 36 400€ correspondant à la différence de prix résultant de la réitération des enchères pour les trois lots remis en vente.

 

Pour retenir qu’il existait une créance ni sérieusement contestable, ni contestée par l’acheteur, le Président s’est fondé sur une multitude d’éléments produits au débat, à savoir :

> les procès-verbaux des ventes,

> les bordereaux d’adjudication,

> les conditions générales de la société Piasa,

> le procès-verbal constant

> les échanges de SMS entre les deux parties

> et l’engagement de l’acheteur à payer sa dette, et la mise en demeure adressée en mars 2022.

La maison de ventes Piasa fondait donc sérieusement sa demande sur de nombreux éléments de preuve, ceci permettant au Président de recevoir en intégralité les demandes.

 

Cette décision est donc particulièrement intéressante pour les OVV puisqu’elle reconnaît la possibilité pour eux d’agir vite (moins d’un an s’est écoulé entre la date de l’assignation et celle de l’ordonnance) et efficacement (puisqu’elle permet un paiement de la créance) contre les acheteurs défaillants.

Il reste qu’il faudra être attentif aux prochaines évolutions jurisprudentielles relatives à la qualité à agir des OVV pour le compte de leurs acheteurs et des éventuelles conditions auxquelles serait soumise leur action directe.

 

1 – TJ Paris, service des référés, 18 avril 2024, RG n°23/55358. La décision, très pédagogique, a été signalée dans le fil d’actualités Linkedin de Marine Le Bihan, fil d’informations quotidien riche et passionnant sur le marché de l’art.

2 – Cass., 1e civ., 27 mars 2024, n°21-22.016

3 – CA Paris, Pôle 4 – ch. 13, 1er juin 2021, n°18/28483

4 – Article L.322-12 du code des procédures civiles d’exécution

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