Harcèlement moral : Les syndicats obtiennent le droit d’agir pour protéger leurs représentants

Cass. soc. 10 juillet 2024 n°22-22.803

Un syndicat peut agir en justice en réparation du préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession en cas de harcèlement moral lorsque : 1° la victime est représentant du personnel 2° et qu’il y a un lien avec le mandat.

Dans un arrêt publié au Bulletin du 10 juillet 2024, la Cour de cassation a ouvert la voie à une nouvelle forme de défense syndicale : l’action en réparation d’un préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession lié au harcèlement moral subi par un salarié détenteur d’un mandat syndical ou représentatif. Cette décision marque un tournant dans la protection des représentants du personnel et dans la défense de l’intérêt collectif de la profession par les syndicats.

UNE POSSIBILITE DE CONTRE-VISITE M2DICALE DILIGENTEE PAR L’EMPLOYEUR EXISTANT DE LONGUE DATE
Pour mémoire, l’article L. 1226-1 du Code du travail prévoit depuis le 1er mai 2008 la possibilité, pour les salariés ayant au moins un an d’ancienneté, de bénéficier, en cas d’arrêt de travail pour maladie, d’un complément de salaire en sus des indemnités journalières.
En contrepartie de ce maintien de salaire obligatoire pour l’employeur, le législateur a permis à l’employeur de faire procéder à une contre-visite médicale de contrôle, et ce dès le 1er jour d’absence.

RAPPEL DU CADRE JURIDIQUE
Selon l’article L.2132-3 du Code du travail, les syndicats professionnels ont le droit d’agir en justice pour défendre l’intérêt collectif de la profession qu’ils représentent.
Cependant, jusqu’à cet arrêt, l’idée que le harcèlement moral d’un représentant syndical pouvait justifier une action syndicale pour l’intérêt collectif de la profession n’était pas encore clarifiée.

CONDITIONS DE LA RECEVABILITE DE L’ACTION SYNDICALE
La Cour de cassation fixe des critères précis et cumulatifs pour que l’action syndicale en réparation du préjudice soit recevable :
Il faut que le harcèlement moral vise un salarié titulaire d’un mandat représentatif ou syndical
Il doit exister un lien entre le harcèlement et le mandat : les faits allégués par le salarié doivent montrer que le harcèlement est en lien direct avec l’exercice de ses fonctions syndicales ou représentatives.
► Exemple : un salarié membre d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (ex CHSCT), puis représentant syndical au comité d’entreprise, avait subi une exclusion des plannings de travail ou une mise à l’écart accentuée après l’obtention de son mandat. Ces faits ont été reconnus comme étant liés à ses fonctions représentatives.

UNE DECISION NOUVELLE
Avant cet arrêt, la jurisprudence était plus réservée quant à l’extension du droit des syndicats d’agir dans des cas de harcèlement moral. Voici les points clés de cette évolution :
Les syndicats ne pouvaient agir que pour défendre l’intérêt collectif de la profession et non les intérêts strictement individuels de leurs membres. Le flou persistait sur la frontière entre ces deux types d’intérêts.
Désormais, le harcèlement moral d’un représentant syndical est reconnu comme portant atteinte à l’intérêt collectif, car il impacterait directement l’efficacité de la représentation et du syndicalisme au sein de l’entreprise.
La Cour de cassation se base sur le fait que lorsque le harcèlement est lié à l’exercice du mandat syndical, il affecte le collectif de travail et justifie l’intervention d’un syndicat pour réparer le préjudice subi par la profession dans son ensemble.

EXEMPLE CONCRET : LE CAS JUGE PAR LA COUR DE CASSATION
Dans cette affaire, un salarié, également représentant syndical, avait engagé une procédure pour faire reconnaître une situation de harcèlement moral. Un syndicat avait volontairement rejoint cette instance pour demander des dommages-intérêts pour le préjudice causé à l’intérêt collectif de la profession.
Les condamnations prononcées furent les suivantes :
– 15 000 € de dommages-intérêts au salarié pour harcèlement moral.
– 1 000 € de dommages-intérêts au syndicat pour le préjudice porté à l’intérêt collectif de la profession.
L’employeur, en contestant la décision, soutenait que le harcèlement d’un seul salarié ne pouvait pas affecter l’intérêt collectif d’une profession.
Cependant, la Cour de cassation a rejeté cette position, estimant que l’atteinte aux droits d’un représentant du personnel porte atteinte à l’ensemble des salariés représentés.

IMPACT DE CETTE DECISION : CE QU’IL FAUT RETENIR
Cet arrêt ouvre la porte à de nouvelles formes d’actions pour les syndicats, avec des implications importantes pour les relations sociales en entreprise. Voici les points clés à retenir pour les employeurs :
Renforcement des obligations envers les représentants du personnel : désormais, tout comportement assimilable à du harcèlement moral visant un représentant du personnel peut entraîner non seulement des actions individuelles, mais aussi une action syndicale pour défendre l’intérêt collectif. Cela impose une vigilance accrue pour éviter toute situation qui pourrait être interprétée comme une entrave à l’exercice du mandat syndical.
Risque de double contentieux : en cas de harcèlement moral d’un représentant syndical, l’employeur pourrait se voir poursuivi à la fois par le salarié à titre individuel et par le syndicat au titre de l’atteinte à l’intérêt collectif. Les employeurs doivent donc être conscients du risque de sanctions financières cumulées.
Impact sur les relations sociales en entreprise : cette décision pourrait modifier les dynamiques entre employeurs et représentants du personnel. Il devient crucial de renforcer le dialogue social pour éviter les conflits qui pourraient dégénérer en actions syndicales, en particulier en lien avec le respect des droits syndicaux et représentatifs.
Importance de la prévention : les employeurs doivent mettre en place des mesures concrètes pour prévenir toute forme de harcèlement moral, en particulier envers les salariés titulaires de mandats. Une politique de prévention claire et des mécanismes de gestion des conflits efficaces seront des atouts majeurs pour éviter des actions en justice coûteuses et nuisibles à l’image de l’entreprise.

EN CONCLUSION, La décision de la Cour de cassation du 10 juillet 2024 marque un tournant pour la défense des droits syndicaux en cas de harcèlement moral. En reconnaissant que ce type de situation peut porter atteinte à l’intérêt collectif de la profession, elle ouvre une nouvelle voie pour les syndicats qui pourront désormais agir avec plus d’ampleur pour défendre leurs membres et protéger l’ensemble des salariés représentés.
Cet arrêt incite les employeurs à redoubler de vigilance quant à la gestion des représentants du personnel et à prévenir activement toute situation susceptible de dégénérer en conflit judiciaire.

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