L’inextricable problématique des conventions de forfait annuel en jours
4 novembre 2024
Cour de cassation, Chambre sociale, 2 octobre 2024, n° 22-16.519
Dans un arrêt du 2 octobre 2024 (pourvoi n° 22-16.519), la Chambre sociale de la Cour de cassation persiste et signe dans son appréhension très stricte des conditions de mise en œuvre des conventions de forfait annuel en jours.
En l’espèce, un salarié en forfait jours avait saisi la juridiction prud’homale pour contester la validité de sa convention de forfait, en invoquant une surcharge de travail et donc une absence de suivi efficient par son employeur. Ce salarié estimait que ce dernier avait manqué à son obligation de protection de la santé et de sécurité en ne respectant pas les mécanismes de contrôle, notamment l’entretien annuel destiné à évaluer la charge de travail prévu par l’avenant n° 52 à la convention collective du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.
Plus précisément, le salarié mettait en avant le fait que cet entretien n’avait pas été organisé à temps, et que malgré des alertes récurrentes sur la surcharge de travail et des dépassements significatifs des jours travaillés par rapport au forfait prévu, aucune mesure corrective n’avait été mise en place.
Tout en validant l’application de l’avenant à la convention collective, la cour d’appel a débouté le salarié et validé la convention de forfait en considérant que les retards dans la tenue de l’entretien annuel étaient justifiés par des contraintes internes de l’entreprise et que les tableaux de suivi des jours de travail mis en place par l’employeur, bien qu’imparfaits, permettaient de compenser les dépassements de jours de travail.
La Cour de cassation, tout en approuvant également les dispositions conventionnelles en ce qu’elles sont de nature à assurer la garantie du respect de la durée raisonnable de travail ainsi que des repos, censure ainsi la cour d’appel faute pour elle d’avoir recherché si ces dispositions avaient été effectivement mises en œuvre par l’employeur.
Ainsi, elle considère que l’application pratique des garanties conventionnelles par l’employeur n’était pas suffisante pour assurer un suivi effectif de la charge de travail et protéger la santé du salarié et que de fait, le simple respect formel des dispositions conventionnelles, sans mise en œuvre concrète de mesures de protection adaptées, ne permet pas de valider la convention de forfait dont on rappelle qu’elle peut être sanctionnée par la nullité ou l’inopposabilité.
La Cour sanctionne donc l’employeur de ne pas avoir mis en place, de manière concrète, les mesures de suivi adéquates prévues par cet avenant. Autrement dit, bien que l’avenant fournisse un cadre conforme, il n’est pas suffisant en lui-même : l’employeur doit veiller à ce que les mesures soient appliquées de manière effective et rigoureuse. Cela inclut notamment l’organisation d’entretiens réguliers pour discuter de la charge de travail, l’amplitude des journées et l’articulation entre la vie professionnelle et personnelle, ainsi que la vérification du respect des temps de repos.
Elle réitère également une tolérance zéro quant aux justifications, quand bien même réelles et légitimes, alléguées par l’employeur, en l’occurrence un retard dans la tenue des entretiens et l’existence de tableaux de suivi perfectibles.
Pour la Cour de cassation, toute défaillance de l’employeur en la matière est de nature à remettre en cause la validité des conventions de forfait annuel en jours. Ce rejet de toutes les justifications internes pouvant être avancées telles encore que des contraintes organisationnelles ou des absences prolongées au sein de la direction de l’entreprise, fait écho aux arrêts rendus le 10 janvier 2024 (pourvois n° 22-15.782 et n° 22-13.200).
Cet arrêt s’inscrit donc dans la continuité de la jurisprudence stricte en la matière tout en renforçant encore davantage les exigences imposées à l’employeur quant à l’obligation de suivi effectif du temps de travail et de la santé des salariés en forfait jours.
Nous recommandons donc aux employeurs d’être particulièrement vigilants à la fois lors de la mise en place des conventions de forfait en jours pour s’assurer de la validité du support conventionnel mais également durant la mise en œuvre de celles-ci en assurant, au moyen d’outils concrets, un suivi irréprochable de la charge de travail, car aucune excuse même légitime ne sera visiblement admise !