Salarié protégé et harcèlement sexuel

Réintégration d’un salarié harceleur ? (Cass, soc., 8 janvier 2025, n°23-12.574)

La protection des salariés investis d’un mandat syndical est un principe fondamental du droit du travail français. Toutefois, cette protection se heurte parfois à d’autres obligations, notamment celle de l’employeur de garantir la sécurité et la santé de ses salariés.

En effet, gérer une entreprise, c’est parfois jongler entre des obligations légales contradictoires.

D’un côté, les salariés protégés bénéficient d’une sécurité renforcée en cas de licenciement. De l’autre, l’employeur est garant de la sécurité et du bien-être de ses équipes.

Mais que faire si un salarié protégé est accusé de harcèlement sexuel ?

Cette récente décision de la Cour de cassation du 8 janvier 2025 vient clarifier la situation en articulant les principes de protection des salariés protégés et l’obligation de sécurité de l’employeur.

  1. Rappel des faits de l’espèce : un équilibre à trouver entre protection du mandat et protection des salariés

En temps normal, pour licencier un salarié protégé, l’employeur doit nécessairement obtenir l’autorisation de l’inspection du travail.

Si celle-ci refuse, il doit théoriquement réintégrer le salarié. Mais qu’en est-il lorsque ce dernier est accusé de faits graves ?

Dans cette affaire, un aide-soignant d’une association d’accueil pour personnes handicapées mentales, également délégué syndical, était soupçonné de harcèlement sexuel envers une salariée en contrat de professionnalisation. Mis à pied à titre conservatoire, son licenciement fait l’objet d’une demande d’autorisation de licenciement auprès de l’inspection du travail, laquelle refuse de l’accorder.

Face à cette impasse, l’employeur a fait le choix de ne pas le réintégrer, tout en contestant cette décision devant le tribunal administratif, lequel a finalement annulé la décision de l’Inspection du travail. Précisons toutefois que le salarié a été dispensé d’activité avec versement du salaire jusqu’au prononcé du délibéré.

Dans l’intervalle, le salarié a saisi le Conseil de prud’hommes pour faire juger que la prise d’acte de son contrat de travail était justifiée dès lors que l’employeur avait refusé de le réintégrer. En principe, la prise d’acte par un salarié protégé produit les effets d’un licenciement nul lorsque les faits la justifient[1].

La Cour d’appel de Paris a précisément fait droit à ses demandes en considérant que la prise d’acte de la rupture de contrat de travail était justifiée par l’absence de réintégration, et que celle-ci constituait une violation du statut protecteur et un manquement grave de l’employeur à ses obligations.

Dans ce cadre, la Cour de cassation était donc invitée à se prononcer sur la question de savoir si l’obligation de l’employeur de protéger la santé et la sécurité des autres pouvait justifier de l’impossibilité de réintégrer le salarié, ou bien si cette situation justifiait une prise d’acte aux torts de l’employeur ; autrement dit, un employeur est-il tenu de réintégrer un salarié protégé soupçonné de harcèlement sexuel lorsque son licenciement n’a pas été autorisé par l’inspecteur du travail ?

  1. La Cour de cassation tranche en faveur de la prévention : un revirement favorable aux employeurs

La Cour de cassation a donc cassé la position de la Cour d’appel en apportant des directives claires afin de concilier la protection de la santé des salariés et celle liée au statut de salarié protégé.

Elle pose à ce titre un principe clé : l’obligation de sécurité prévaut sur la protection du mandat syndical.

Et pour cause !

L’employeur doit en effet prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de prévenir les faits de harcèlement sexuel, d’y mettre un terme et de les sanctionner[2]. Il est en ce sens tenu d’une obligation de sécurité, dont participe l’obligation de prévention du harcèlement sexuel[3].

En clair, si l’employeur prouve que la présence du salarié accusé met en danger ses collègues, le refus de réintégration peut être justifié.

Cette question était donc déterminante ici puisque la responsabilité de la rupture dépendait du caractère fautif ou non du refus de l’employeur de réintégrer le salarié à la suite de la décision de l’inspection du travail n’autorisant pas le licenciement.

Surtout, cette décision rappelle que l’employeur a un devoir de vigilance accru en matière de harcèlement sexuel.

Il ne peut pas se contenter de décisions administratives et doit, en toute circonstance, évaluer les risques pour ses salariés. La prudence et la proactivité sont dès lors essentielles.

Cette jurisprudence s’inscrit clairement dans une tendance amorcée dès 2021 puisque la Cour de cassation s’était déjà prononcée sur les causes pouvant justifier l’impossibilité de réintégration.

En effet, elle avait admis à ce titre que cette impossibilité pouvait se justifier en cas de harcèlement moral[4].

Toutefois, les Hauts magistrats étaient par le passé plus restrictifs et n’admettaient que des impossibilités matérielles, telles que la fermeture de l’entreprise. En effet, ils ne l’avaient pas admis à l’inverse en cas de suppression du poste du salarié protégé[5] ou encore en cas d’hostilité de tout ou partie du personnel à la réintégration du salarié.[6]

Désormais, les employeurs ont un argument juridique fort pour préserver un climat de travail serein.

Il convient toutefois de rester vigilant puisqu’ils doivent apporter des preuves concrètes que la réintégration constitue un véritable risque.

En effet, la Cour d’appel de renvoi devra examiner si le refus opposé était justifié par l’obligation de sécurité en lien avec la situation de harcèlement sexuel. Si tel est le cas, la prise d’acte de la rupture produira les effets d’une démission.

A défaut, elle produira les effets d’un licenciement nul ouvrant droit à des indemnités spécifiques pour violation du statut protecteur, ainsi qu’à des indemnités en raison de la nullité.

  1. Quels enseignements pour votre entreprise ?

Pris dans un maillage de règles contradictoires, l’employeur pouvait se croire contraint à l’inaction.

La Cour de cassation lui offre désormais une marge de manœuvre en assouplissant certaines obligations, mais cela implique aussi une responsabilité accrue de sa part.

À l’avenir, il faudra redoubler de vigilance pour assurer la sécurité de ses salariés, que ce soit aujourd’hui face aux cas de harcèlement ou demain face à tout comportement présentant un risque.

On peut donc retenir quelques enseignements de cette décision, et notamment :

  • Anticiper et documenter : si un salarié protégé est accusé de harcèlement, rassemblez des preuves et consultez votre conseil avant toute décision.

 

  • Privilégier l’obligation de sécurité : la protection de vos salariés passe avant tout. Ne prenez pas de risque qui pourrait compromettre la santé et la sécurité de l’équipe.

 

  • Agir stratégiquement : en cas de refus d’autorisation de licenciement, explorez les recours possibles avant d’envisager une réintégration forcée.

 

  • Renforcer la prévention : mettez en place des actions concrètes pour limiter ces situations, notamment par des formations obligatoires, des procédures de signalement plus accessibles et une meilleure collaboration avec les instances représentatives du personnel.

Cet arrêt marque donc une évolution jurisprudentielle permettant aux employeurs de mieux concilier leurs obligations légales avec la nécessité d’assurer un environnement de travail sécurisé.

***

 

 

En conclusion, la Cour de cassation invite les juges à examiner chaque situation au cas par cas, en tenant compte des risques réels pour la sécurité des salariés.

Cette décision constitue donc une étape importante dans l’articulation entre la position des salariés investis d’un mandat et la lutte contre le harcèlement en entreprise.

En d’autres termes, elle était nécessaire.

Elle rappelle également l’importance de documenter précisément les faits et de prendre des mesures préventives pour éviter les situations de harcèlement.

N’hésitez pas à contacter notre équipe face à de telles situations.

 

[1] Cass. soc. 10 juillet 2019, n° 17-22.319 D ; Cass. soc. 12 novembre 2015, n° 14-16.369

[2] C. trav. Art. L.1153-5

[3] C. trav. Art. L.2411-1

[4] Cass. soc. 1er décembre 2021, n°19-25.715 FP-B

[5] Cass. soc. 13-7-1993 n°2967 F-D

[6] Cass. soc. 7-7-1988 no 85-45.967 P ; Cass. crim. 29-11-1988 no 86-95.884 ; Cass. crim. 5-3-1991 no 90-81.886

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