Accident du travail et télétravail : une application stricte de la présomption légale d’imputabilité
9 novembre 2023
CA de La Réunion 4-5-2023 n° 22/00884 ; CA Amiens 15-6-2023 n° 22/00474
Depuis la crise sanitaire, le recours au télétravail qui a connu une accélération sans précédent, s’est durablement installé dans nos vies professionnelles.
C’est dans ce contexte que deux arrêts récents ont été rendus sur la question de l’application ou non de la présomption d’imputabilité d’un accident au travail survenu dans le cadre de télétravail effectué pendant la crise sanitaire.
Dans les deux arrêts rendus le 4 mai 2023 et le 15 juin 2023, les cours d’appel de la Réunion et d’Amiens ont décidé que la présomption légale d’imputabilité ne jouait pas puisqu’en l’espèce, l’accident était survenu soit hors du lieu du travail, soit hors du temps du travail.
Pour mémoire, il convient de rappeler qu’est considéré comme un accident du travail, quelle qu’en soit la cause, l’accident survenu par le fait ou à l’occasion du travail à toute personne salariée ou travaillant, à quelque titre ou en quelque lieu que ce soit, pour un ou plusieurs employeurs ou chefs d’entreprise.
En la matière, la loi pose un principe de présomption légale d’imputabilité selon lequel l’accident survenu aux temps et lieu du travail est présumé être un accident de travail.
Ce qui signifie que le salarié n’a pas à apporter la preuve de l’origine professionnelle de l’accident, il lui suffit de démontrer que l’accident est survenu au temps et au lieu du travail.
Cette protection contre les accidents du travail est étendue aux salariés en télétravail puisque la loi prévoit également que l’accident survenu sur le lieu où est exercé le télétravail pendant l’exercice de l’activité professionnelle du télétravailleur est présumé être un accident de travail.
A défaut de présomption d’imputabilité, il appartient au salarié d’apporter la preuve par tous moyens du lien de causalité de l’accident avec son activité professionnelle.
Dans les deux affaires, il a été jugé que cette preuve n’était pas rapportée.
Dans la première affaire jugée par la cour d’appel de la Réunion, le salarié avait commencé à télétravailler quand il a entendu un bruit à l’extérieur de son domicile et que sa connexion internet s’est interrompue. Il s’est alors rendu à l’extérieur pour discuter avec le chauffeur du camion qui venait de heurter un poteau téléphonique lorsqu’un second véhicule a tiré sur des câbles, faisant alors tomber le poteau sur le salarié.
Le salarié soutenait être sorti afin de comprendre l’origine de la panne informatique et permettre un rétablissement de la connexion et la reprise de son activité. Il en a déduit être sorti de son domicile pour les besoins de son activité professionnelle et que l’accident s’était déroulé sur le lieu du travail et dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail.
À l’inverse, la cour d’appel a considéré que le caractère professionnel de l’accident n’était pas établi, car le salarié avait cessé son travail pour un motif personnel et que lors de l’accident, il ne se trouvait pas sous l’autorité de son employeur.
Dans la seconde affaire jugée par la cour d’appel d’Amiens, dans le cadre du télétravail mis en place à la demande de son employeur du fait de la crise sanitaire, une salariée avait aménagé un bureau dans son sous-sol dont l’accès se faisait par un escalier. Celle-ci ayant fini de télétravailler à 16h01, conformément à ses horaires de travail, disait avoir chuté à 16h02, dans l’escalier et s’être fracturée le coude droit et les membres supérieurs.
La salariée soutenait avoir informé très rapidement son employeur de sa chute et que son accident aurait été pris en charge si elle n’avait pas été en télétravail, celui-ci étant survenu dans la minute qui a suivi la fin de sa journée de travail.
La cour d’appel a considéré que la preuve ne pouvait résulter des seules déclarations de la salariée qui affirmait avoir chuté une minute après avoir quitté son poste de télétravail, et que la salariée justifiait uniquement de l’information de l’employeur à 17h33 et de l’hospitalisation à 17h50.
Une application stricte de la présomption d’imputabilité d’un accident au travail :
Les deux décisions retiennent une application stricte des conditions de mise en œuvre de la présomption d’imputabilité.
Pour mémoire, il convient de rappeler que la jurisprudence de la Cour de cassation retient une notion extensive du temps et du lieu de travail.
Ainsi, le caractère professionnel a été retenu pour un accident survenu à un salarié alors qu’il venait de quitter son poste de travail et qu’il se trouvait encore dans les dépendances de l’établissement où il était employé (Cass. ass. plén. 3-7-1987 n° 86-14.914).
Les cours d’appel de la Réunion et d’Amiens ont considéré que cette conception extensive n’était pas transposable en matière de télétravail.
La question se pose toutefois de savoir si, eu égard au développement du télétravail, d’autres cours d’appel adopteront la même position ou une conception plus extensive du temps et du lieu de travail.
La position de la Cour de cassation est attendue en la matière puisqu’un pourvoi va être formé contre l’arrêt de la cour d’appel de La Réunion.
Vers une législation européenne en matière de télétravail :
Au sein de l’Union Européenne, le télétravail est régi par l’accord cadre européen de 2002. Cet accord n’est pas contraignant, ce qui permet à chaque État membre de disposer de sa propre législation, de sorte que l’on constate une véritable hétérogénéité des réglementations (cf. le rapport rendu en mars 2023 par l’organisme EUROGIP, en matière de reconnaissance des accidents du travail en télétravail).
Cependant, en 2022, une négociation européenne a officiellement débuté entre les partenaires sociaux européens en vue de préparer une proposition de directive relative au télétravail, afin d’harmoniser son encadrement.
En outre, des concertations entre États européens ont donné naissance à un Accord-cadre portant sur le télétravail transfrontalier prenant effet au 1er juillet 2023.
Cet Accord-cadre permet de maintenir la législation de la sécurité sociale de leur État d’emploi, aux salariés frontaliers qui télétravaillent moins de 50 % de leur temps de travail dans leur État de résidence.
Le texte ne s’applique toutefois qu’aux relations entre deux États signataires, soit au 1er juillet 2023, 18 pays dont la France.