Annulation d’une expertise « risque grave » : il revient au CSE de prendre en charge ses frais de procédure liés à l’annulation de l’expertise

(Cass. soc., 19 octobre 2022 n° 21-15.165)

Dans le cadre de ses différentes attributions, le Comité Social et Economique (CSE) peut décider de recourir à un expert. C’est notamment le cas dans le cadre de ses consultations permanentes, en cas de projet important modifiant les conditions de travail, ou encore en cas de risque grave.

Cependant, une telle désignation n’est pas sans incidence pour l’employeur qui, pour rappel, finance majoritairement ces expertises, et en conséquence, dispose de la possibilité de les contester.

Or, lorsqu’une expertise contestée par l’employeur est finalement annulée par le juge judiciaire, à qui revient-il de prendre en charge les frais de procédure liées à cette annulation ?

C’est la question à laquelle a répondu la Cour de cassation dans un arrêt du 19 octobre 2022 (II).

Avant de s’intéresser plus précisément à cette décision, il apparait important de rappeler les règles relatives au financement des expertises (I) qui présentent un lien avec la solution retenue par la Cour de cassation.

 

I. Rappel des règles relatives au financement des expertises

Si auparavant, exception faite de la consultation annuelle sur les orientations stratégiques de l’entreprise financée à 20% par le comité d’entreprise, il revenait à l’employeur de prendre en charge intégralement le coût des expertises votées par les élus -notamment par le CHSCT-, ces règles ont évolué.

En effet, depuis la suppression des anciennes institutions représentatives du personnel et la mise en place du CSE, le législateur a souhaité développer le cofinancement des expertises. Ainsi, désormais, selon leur nature, les expertises sont financées soit intégralement par l’employeur, soit conjointement par l’employeur et le CSE, ou bien uniquement par ce dernier.

Doivent donc être distinguées (C. trav. art. L. 2315-80) :

  • les expertises financées intégralement par l’employeur.

Il s’agit des expertises votées :

  • dans le cadre de la consultation du CSE sur la situation économique et financière de l’entreprise ;
  • dans le cadre de la consultation du CSE sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi ;
  • en cas de licenciements collectifs pour motif économique ;
  • en cas de risque grave ;
  • dans les entreprises de plus de 300 salariés, dans le cadre de la préparation de la négociation sur l’égalité professionnelle, en l’absence de tout indicateur relatif à l’égalité professionnelle.
  • les expertises pour lesquelles l’employeur doit prendre en charge à hauteur de 80 % les frais de l’expert, les 20 % restants étant financés par le CSE sur son budget de fonctionnement, sauf si celui-ci est insuffisant ( C. trav. art. L. 2315-80 3°).

Il s’agit notamment de l’expertise votée dans le cadre de la consultation du CSE sur les orientations stratégiques de l’entreprise, mais aussi des expertises votées dans le cadre des consultations ponctuelles du CSE, hormis celles déjà mentionnées supra.

  • les expertises « libres » dont les frais sont pris en charge intégralement par le CSE.

Enfin, lorsque le juge judiciaire procède à l’annulation de la délibération ayant décidé le recours à une expertise, l’expert doit rembourser à l’employeur les sommes qu’il a pu d’ores et déjà percevoir, à moins que le CSE ne décide de les prendre en charge (C. trav. art. L. 2315-86).

 

II. Sur la prise en charge des frais de procédure dans le cadre de la contestation d’une expertise risque grave

Si la question de la prise en charge des frais de l’expert désigné par le CSE a été réglée par le Code du travail, tel n’est pas le cas des frais de procédure de l’instance dans le cadre d’une contestation d’expertise, particulièrement lorsqu’il s’agit d’une expertise risque grave.

En l’absence de texte sur ce point, la jurisprudence avait donc tranché cette question.

La Haute juridiction jugeait ainsi qu’il revenait à l’employeur de supporter, outre les frais d’expertise, les frais de la procédure de contestation éventuelle, en l’absence d’abus du CHSCT (Cass. soc. 12 janv. 1999, no 97-12.794 ; Cass. soc. 8 déc. 2004, no 03-15.535 ; Cass. soc. 6 avr. 2005, no 02-19.414), puisque cette ancienne instance ne disposait pas d’un budget de fonctionnement.

Se posait toutefois la question de savoir si, à la suite de la disparition du CHSCT remplacé par le CSE, une telle solution pouvait être maintenue.

C’est dans ce cadre qu’à travers un arrêt du 19 octobre 2022, la Haute juridiction a jugé qu’il revenait au CSE de prendre en charge ses frais de procédure découlant de l’annulation d’une expertise risque grave.

Plus précisément, dans cette affaire, le CSE d’établissement d’une entreprise avait voté le recours à une telle expertise, suite au suicide d’un salarié.

L’employeur, remettant en cause la nécessité de celle-ci, avait alors contesté la délibération prise par le CSE d’établissement devant le Président du Tribunal judiciaire de Nantes.

Dans un jugement du 18 mars 2021, le Tribunal judiciaire avait donné raison à l’employeur, précisant que l’événement en question était isolé et intervenu en dehors du lieu et du temps de travail, de sorte qu’il ne caractérisait pas un risque grave au sens de l’article L.2315-94 du Code du travail.

La juridiction avait ainsi annulé la délibération du CSE ayant voté le recours à une expertise pour risque grave, tout en condamnant la société aux dépens ainsi qu’à 3.600 euros TTC au titre des frais d’expertise.

Le CSE avait alors formé un pourvoi contre cette décision. La Cour avait néanmoins rejeté ce pourvoi dans un arrêt du 1er juin 2022 aux termes duquel la Cour avait à nouveau condamné l’employeur aux dépens.

Cependant, à la suite d’une requête formée par le Président de l’instance, la Cour, prenant la pleine mesure du fait que le CSE dispose d’un budget de fonctionnement et est donc en mesure de faire face aux frais de procédure découlant de l’annulation de l’expertise, a de manière exceptionnelle, décidé de rabattre partiellement la décision du 1er juin 2022.

Rappelant que l’annulation de la délibération du CSE décidant le recours à un expert pour risque grave ne donne lieu à aucun frais d’expertise, la Cour a rectifié son dispositif et :

  • Condamné le CSE aux dépens,
  • Rejeté sa demande en application de l’article 700 du code de procédure civile.

Ainsi, la Cour de cassation prend le contrepied des précédents arrêts rendus en la matière et concernant le CHSCT.

A travers ce revirement plein de bon sens, la Haute juridiction vient donc mettre le CSE face à ses responsabilités, comme a pu le faire le législateur en instaurant un cofinancement de certaines expertises (I).

Il ne reste désormais plus qu’à espérer que cette décision inédite soit prochainement confirmée et que les juridictions aillent encore plus loin, en condamnant systématiquement à un article 700 les CSE abusant de leur droit de diligenter une expertise pour risque grave.

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