Au lendemain d’un transfert, le nouvel employeur ne saurait être tenu pour responsable […]

Au lendemain d’un transfert, le nouvel employeur ne saurait être tenu pour responsable des retards de carrière subis antérieurement à l’opération par les salariés transférés.

Cour de cassation, Chambre sociale, 20 décembre 2023, n° 22-12.381

 

Nous le savons, le régime de la preuve d’une discrimination syndicale nécessite une comparaison, qui peut être effectuée dans le temps, entre la situation du salarié avant et après le début de ses activités syndicales et l’évolution de ses collègues placés dans une situation similaire. Ainsi, l’échantillon de comparaison doit inclure tous les salariés embauchés à la même époque, au même niveau, dans la même filière professionnelle, avec les mêmes diplômes ou des diplômes équivalents.

Mais quid en cas de transfert d’entreprise ? Des salariés placés, dans une situation comparable au jour de leur embauche mais se trouvant dans une situation différente au jour du transfert, peuvent-ils être pris en compte dans un panel de comparaison, chez le nouvel employeur, afin de prouver l’existence d’une discrimination ? En clair, le nouvel employeur est-il responsable des évolutions de carrière ayant eu lieu chez ses prédécesseurs ?

C’est bien là tout l’apport de la décision présentement commentée.

Il convient d’y revenir :

 

1. Les faits de l’espèce

Un salarié a été embauché en qualité d’employé polyvalent de station-service. Ce dernier a été investi de divers mandats électifs et représentatifs au cours de la relation de travail. Par application des dispositions de l’article L.1224-1 du Code du travail, son contrat de travail a été transféré auprès d’un nouvel employeur en 2002 puis, de nouveau en 2015. Depuis ce dernier transfert, le salarié a cessé d’exercer des mandats représentatifs ou syndicaux.

Or, le 18 novembre 2016, ce dernier a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir le paiement de diverses sommes en invoquant notamment être victime de discrimination syndicale dans le cadre de son évolution de carrière.

Afin d’en établir la réalité, le salarié a produit un panel de comparaison incluant d’autres salariés qui, à la date du premier transfert, étaient déjà managers au statut cadre ou agents de maîtrise chez leurs précédents employeurs, tandis qu’il était, lui, employé de station-service chez son précédent employeur.

Il arguait notamment qu’en cas de transfert légal d’entreprise, la comparaison d’un salarié victime d’une discrimination en termes d’évolution et de progression de carrière avec les autres salariés de l’entreprise s’effectue au jour de son embauche, et non pas au jour du transfert de son contrat de travail. Selon lui, devaient donc être considérés dans une situation comparable, « les salariés qui, engagés à la même époque [que lui] et à un même niveau de qualification, ont évolué plus rapidement, peu important l’existence d’un transfert d’entreprise ayant emporté transfert des contrats de travail et le fait qu’au jour du transfert, les salariés mis en comparaison n’avaient plus le même statut que le salarié demandeur ».

Par un arrêt confirmatif, la cour d’appel saisie du litige le déboute de ses demandes. Les juges écartent le panel de comparaison produit en retenant que les salariés figurant dans cet échantillon de comparaison n’étaient pas dans une situation comparable au jour du transfert des contrats de travail et que le repreneur ne pouvait être tenu pour responsable des évolutions de carrière et de rémunération des collaborateurs intervenues antérieurement au transfert, c’est-à-dire à une date où l’entreprise n’était pas l’employeur.

En outre, au regard des autres éléments apportés par le salarié, la Cour d’appel a considéré que ce dernier ne présentait aucun élément de fait laissant supposer l’existence d’une discrimination directe ou indirecte.

Le salarié forme, dès lors, un pourvoi en cassation.

 

2. La décision de la Cour de cassation

La Cour de cassation va adopter le même raisonnement que la Cour d’appel, à juste titre.

Ainsi, pour motiver sa décision, la Haute Cour rappelle :

  • d’une part, qu’en cas de transfert légal, le nouvel employeur est tenu de respecter, à l’égard des salariés dont le contrat de travail subsiste, les obligations qui incombaient à l’ancien employeur ;
  • d’autre part, la prohibition de toute discrimination en raison de l’exercice d’une activité syndicale ainsi que le régime de preuve applicable en matière de discrimination.

Par suite, elle précise son raisonnement en considérant que « si le nouvel employeur est tenu, en cas de transfert en application des dispositions de l’article L. 1224-1 du Code du travail, de vérifier que le principe d’égalité de traitement en matière de rémunération ou de non-discrimination en raison des activités syndicales du salarié transféré est respecté, au regard de la situation des salariés exerçant un travail égal ou de valeur égale, en tenant compte de l’ancienneté acquise au titre du même contrat de travail auprès des précédents employeurs du salarié transféré, et, le cas échéant, d’accorder à ce salarié un indice de rémunération supérieur à celui dont il bénéficiait avant le transfert de son contrat de travail, l’existence d’une discrimination quant aux conditions de l’évolution de carrière du salarié transféré chez ses précédents employeurs ne saurait être présumée ».

En l’occurrence, la Cour de cassation constate que pour les salariés ayant la même ancienneté et la même qualification professionnelle que le demandeur au moment du transfert d’entreprise, « sept sur huit salariés étaient moins bien ou aussi bien classés que le salarié et que l’évolution de carrière de celui-ci avait été identique à celle des salariés non-syndiqués » de sorte que « la cour d’appel a ainsi pu en déduire que le salarié n’apportait pas d’éléments laissant supposer l’existence d’une discrimination syndicale ».

Autrement dit, si, au jour du transfert, le repreneur doit s’assurer que, parmi les salariés transférés, ceux qui effectuent un travail égal ou de valeur égale perçoivent une rémunération comparable, compte tenu de leur ancienneté, ce dernier n’a pas à rechercher une possible discrimination dans l’évolution de carrière de ces salariés avant leur transfert.

 

3. La portée de cette décision

Cette décision fait sens compte tenu du régime de preuve instauré en matière de discrimination, lequel prévoit que le salarié doit présenter des éléments de faits laissant supposer l’existence d’une discrimination, à charge pour l’employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs qui en sont étrangers.

Ainsi, le repreneur d’une entreprise, devenu nouvel employeur après le transfert, ne peut subir les conséquences d’une discrimination à laquelle il n’a pu prendre part puisque ce dernier n’était pas partie à la relation de travail antérieure.

On louera également le caractère pragmatique d’une telle décision : dès lors que le repreneur était étranger à la relation de travail antérieure au transfert, ce dernier ne pouvait aucunement disposer d’élément lui permettant de démontrer l’absence de toute discrimination dans l’évolution de carrière du salarié avant son transfert…

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