Avis d’inaptitude et reclassement : attention à la rédaction de l’avis

Cass., soc., 13 septembre 2023, n° 22-12.970

Aux termes d’un arrêt rendu le 13 septembre 2023, la Cour de cassation est venue préciser que lorsque l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé, et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé, l’employeur n’est pas dispensé de son obligation de procéder à des recherches de reclassement.

La vigilance est donc de mise : explications.

***

1. Rappel des faits de l’espèce

Dans cette affaire, le salarié, après avoir été placé en arrêt de travail pour maladie non professionnelle à compter du 5 janvier 2015, était déclaré inapte suivant avis du médecin du travail du 23 août 2017.

L’avis était rédigé de la manière suivante : « Inapte. Étude de poste, étude des conditions de travail et échanges entre le médecin du travail et l’employeur réalisés le 16 août 2017. Tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Dès lors, la formulation retenue par le Médecin du travail n’était pas exactement celle exigée par l’article L.1226-2-1 du Code du travail[1] en cas d’inaptitude d’origine non professionnelle.

L’employeur considérait toutefois que le texte précité concernait « le maintien du salarié dans un emploi au sein de l’entreprise employeur et n’implique pas que le médecin du travail fasse mention de ce que le maintien du salarié dans un emploi, quel qu’il soit, même en dehors de l’entreprise, serait gravement préjudiciable à sa santé ».

Dans ce cadre, il estimait pouvoir bénéficier de la dispense de reclassement légalement prévue.

Le salarié était donc licencié sans qu’aucune recherche de reclassement n’ait été préalablement entreprise, sans avoir reçu notification des motifs s’opposant au reclassement et sans que l’avis des représentants du personnel n’ait été recueilli.

La Cour d’appel avait considéré que, dans la mesure où les termes employés par le médecin du travail n’impliquaient pas l’éloignement du salarié de toute situation de travail, ils ne dispensaient pas l’employeur de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel (en place à l’époque), et que, par suite, le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse.

La Cour de cassation a suivi le raisonnement des juges du fond en indiquant que :

« L’arrêt constate que l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne que tout maintien du salarié dans un emploi dans cette entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé et non pas que tout maintien dans un emploi serait gravement préjudiciable à santé. 

La cour d’appel en a exactement déduit que l’employeur n’était pas dispensé de procéder à des recherches de reclassement et de consulter les délégués du personnel et qu’il avait ainsi manqué à son obligation de reclassement. »

[1] « L’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L. 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi. »

Article L.1226-12 du Code du travail si l’inaptitude du salarié à une origine professionnelle et L.1226-20 si le salarié inapte est en CDD.

 

2. Le rappel des dispositions prévues par le Code du travail

La loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 a modifié la procédure d’inaptitude, ce qui a fait émerger toute une série d’interrogations. La Cour de cassation est donc amenée à se prononcer régulièrement sur des problématiques intéressant la procédure d’inaptitude, dont cet arrêt récent.

Pour mémoire, le médecin du travail peut désormais indiquer dans l’avis d’inaptitude physique que l’état de santé de l’intéressé fait obstacle à son reclassement.

Dans ce cas, l’employeur peut se prévaloir d’une dispense de reclassement à condition que l’avis comporte expressément l’une des mentions suivantes :

  • tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ;
  • l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Précédemment, les Hauts magistrats ont déjà apporté des réponses quant à cette obligation de reclassement. En effet, ils ont pu juger que si l’une des mentions précitées figure expressément dans l’avis d’inaptitude du médecin du travail, l’employeur est dispensé de chercher un reclassement au salarié et de lui proposer un emploi (Cass. soc. 8 février 2023 n°21-19.232) ; précision qui était largement attendue depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle procédure, tout comme le fait de pouvoir engager immédiatement la procédure de rupture du contrat de travail sans avoir à consulter le comité social et économique sur le reclassement (Cass. soc. 8 juin 2022 n°20-22.500 ; Cass. soc. 16 novembre 2022 n°21-17.255).

Par cette décision, la Cour de cassation vient donc compléter sa jurisprudence relative à l’obligation de reclassement, et tout particulièrement, celle relative à la dispense de reclassement.

 

3. La dispense de reclassement interprétée de façon stricte par la Cour de cassation

Pour la Cour de cassation, l’exclusion d’un emploi dans l’entreprise n’est pas synonyme d’une dispense de mise en œuvre de l’obligation au niveau d’une entité du groupe de reclassement. C’était d’ailleurs l’argument soulevé par le salarié.

En réalité, cette dernière s’était déjà prononcée sur la question dans un cas où la société appartenait à un groupe (Cass. soc. 8 février 2023, n°21-11.356). La question qui pourrait donc se poser est de savoir si cette solution serait la même dans le cas où la société n’appartiendrait pas à un groupe.

Les termes très généraux employés par la Cour de cassation dans l’arrêt du 13 septembre 2023 nous amène à considérer que l’employeur devrait quand même engager une recherche de reclassement en pareille circonstance.

En clair, les Hauts magistrats viennent ici rappeler que l’obligation de rechercher une solution de reclassement est d’ordre public et qu’il n’est donc possible d’y déroger que dans les cas strictement fixés par le législateur.

La loi, rien que la loi.

En pratique, le formulaire à remplir par le médecin du travail en matière d’inaptitude physique[1] doit comporter, à l’intérieur d’un encart relatif aux conclusions et indications en matière de reclassement, deux cases à cocher comportant les mentions visées ci-dessus[2].

Dès lors, l’employeur ne peut pas selon nous considérer être dispensé de reclassement si l’une de ces deux cases n’est pas cochée.

Ce dernier doit donc demeurer particulièrement prudent dans l’analyse des avis d’inaptitude et ne doit pas hésiter à se rapprocher du médecin du travail afin de l’interroger si l’avis rendu laisse planer le moindre doute, notamment si ce dernier n’a pas utilisé le formulaire ou n’a pas repris les termes exacts de celui-ci.

Enfin, en cas de dispense de reclassement dans les conditions visées ci-dessus, il convient à notre sens de continuer à informer le salarié par écrit de cette impossibilité de reclassement.

Pour rappel, lorsqu’il est impossible à l’employeur de proposer un autre emploi au salarié, il lui fait connaître par écrit les motifs qui s’opposent à son reclassement (C. trav. art. L 1226-2-1, al. 1 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle et C. trav. art. L 1226-12, al. 1 en cas d’inaptitude d’origine professionnelle).

Cette obligation qui ne devrait plus avoir de sens selon nous en cas de dispense de reclassement par le médecin du travail, devrait toutefois continuer à être pratiquée, par prudence, en l’absence de décision rendue par la Cour de cassation, et ce, afin d’éviter toute difficulté en cas de contentieux (même si nous ne voyons pas comment la Cour de cassation pourrait imposer cette contrainte, comme nous le défendions d’ailleurs concernant l’avis du CSE qui n’était plus nécessaire selon nous, ce qu’un arrêt a par la suite confirmé).

Plusieurs Cours d’appel ont déjà eu à se prononcer sur cette question[3] mais une décision claire, qui viendrait confirmer la position des juges du fond, serait plus que bienvenue.

[1] Modèle diffusé par l’arrêté MTRT1716161A du 16 octobre 2017

[2] « Tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé » et « l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi »

[3] CA Dijon, 30 juin 2022, 20/00413 ; CA, Aix-en-Provence, 26 novembre 2021, 21/02302 ; CA Nancy, 30 juin 2022, 21/00186

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