Consommation d’alcool et dépistage : pour la jurisprudence, les faits s’apprécient sous le prisme du bon sens
31 janvier 2024
Il est acquis que l’employeur est libre, pour des motifs de santé/sécurité, de prévoir une clause « tolérance zéro alcool » au sein du règlement intérieur, notamment pour des activités présentant des risques particuliers pour le salarié ou pour des tiers.
Seul le règlement intérieur de l’entreprise peut encadrer ce type de système, et la jurisprudence a ainsi eu très souvent à se prononcer en la matière.
À titre d’exemple, elle a pu estimer qu’un contrôle d’alcoolémie doit pouvoir être contesté par le salarié.
À ce sujet, la Cour de cassation a pu juger le 6 décembre dernier que le refus par l’employeur de procéder à une contre-expertise prévue par le règlement intérieur, mais demandée tardivement, n’est pas de nature à rendre le licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Cet arrêt est par ailleurs à mettre en perspective avec une autre décision, rendue par la Cour d’appel d’Orléans (30 novembre 2023, n°22/00063), qui a quant à elle jugé que le refus d’un salarié de se soumettre à un tel test constitue une faute grave, dès lors que la pratique est dûment encadrée en interne.
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Au travers de l’espèce soumise à la Cour de cassation, un salarié, conducteur de bus, fait l’objet d’un dépistage d’alcoolémie antérieurement à sa prise de service, lequel s’avère positif à hauteur de 0,14 mg/l. d’air expiré, soit 0,28g/l. de sang.
L’employeur le licencie pour faute grave considérant que le salarié a enfreint :
- les dispositions du règlement intérieur, qui prévoit une interdiction totale d’accomplir son activité sous l’influence d’alcool ;
- l’article R 234-1 du Code de la route, interdisant la conduite d’un véhicule de transport en commun avec une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,20g/l., s’agissant d’une contravention de la quatrième classe.
Le conducteur conteste la rupture, l’estimant dépourvue de cause réelle et sérieuse.
Il évoque, outre un motif d’une mauvaise foi certaine, à savoir la consommation d’un sirop pour la toux (argument écarté très rapidement par les juges au regard de sa grossièreté), que la faute ne peut être retenue contre lui, dès lors que :
- le règlement intérieur de l’entreprise permet de solliciter une contre-expertise ;
- ce dont il a demandé le bénéfice, mais qui lui a été refusé par son employeur,
caractérisant un non-respect du processus conventionnel viciant, selon lui, la procédure.
La Cour d’appel ne suit absolument pas ce raisonnement, relevant, à très juste titre, que c’est à bon droit que la société n’a pas donné suite à sa demande, puisqu’elle a été formulée plus de 15 jours après les faits, et qu’aucune preuve n’est apportée par le salarié pour établir qu’il aurait « dans les suites immédiates du contrôle » demandé un tel examen complémentaire.
À relever : la Cour d’appel considère également que de tels faits caractérisent une cause réelle et sérieuse de licenciement, et non une faute grave, puisque le salarié a, le jour des faits, pu travailler à compter du moment où il a réalisé un test s’étant avéré négatif, si bien qu’il ne pouvait être considéré que son maintien dans l’emploi même durant le préavis était impossible.
En tout état de cause, le conducteur saisit la Cour de cassation.
Cette dernière valide toutefois la position retenue par la Cour d’appel de Paris, et opte pour un argumentaire en 2 temps :
- de première part, elle précise que les faits sont établis, et qu’il ne peut être reproché à l’employeur d’avoir refusé de procéder à un contre-examen médical, la demande ayant été formulée tardivement, allant ainsi à l’encontre de l’objectif poursuivi par un tel système ;
- de deuxième part, elle insiste sur le fait que si la société n’avait pas mis en place un tel contrôle le jour des faits, l’intéressé aurait conduit son bus sous l’emprise d’un état alcoolique, fait susceptible de qualification pénale, constituant une cause réelle et sérieuse de licenciement.
Elle se retranche donc derrière le bon sens, ne se laissant pas duper par les explications du demandeur au pourvoi, position qui doit bien évidemment être saluée.
Une telle décision est également rassurante, puisqu’à l’appui du pourvoi, il était soutenu qu’il ne pouvait être reproché à l’employé d’avoir tardé pour formuler une demande de contre-expertise, en ce que le règlement intérieur ne prévoyait pas qu’il devait être demandé « dans les suites immédiates du contrôle », de sorte que les juridictions auraient « ajouté au texte une condition qu’il ne prévoit pas ».
Argument absurde selon la Haute Cour au regard de l’objet de cette mesure : le règlement intérieur prévoyant la possibilité de soumettre un salarié à un éthylotest doit être jugé licite si les modalités de ce contrôle en permettent la contestation, sans qu’il ne soit nécessaire d’encadrer le délai dans lequel un éventuel contre-examen doit être sollicité, puisqu’il est évident que celui-ci doit être réalisé « dans le plus court délai possible », pour des raisons de fiabilité.
Ceci étant dit, revenons maintenant sur l’affaire jugée par la Cour d’appel d’Orléans, évoquée plus haut.
Les faits sont simples : un accident du travail a eu lieu dans une entreprise, impliquant un chariot élévateur conduit par un gestionnaire de stock, et un piéton.
L’employeur a souhaité procéder à un dépistage d’alcool et de drogue sur son salarié, mais ce dernier, une fois arrivé dans le bureau de son responsable et comprenant la situation, prend la fuite et se réfugie à l’infirmerie.
Son supérieur le suit, et lui indique qu’en application des dispositions du règlement intérieur, le refus de se soumettre à de tels tests est susceptible de caractériser une faute disciplinaire, cette précision lui étant également confirmée par d’autres interlocuteurs.
Le salarié finit par quitter son lieu de travail sans se soumettre au dépistage.
Il est par la suite licencié pour faute grave, ce qu’il conteste, évoquant notamment que le règlement intérieur ne lui était pas opposable, en ce que ce document ne précise pas sa date d’entrée en vigueur.
S’il est avéré que ledit règlement intérieur est muet à ce sujet, alors même que l’article L 1321-4 du Code du travail prévoit qu’une telle mention doit y figurer, les juges ne l’écartent pas pour autant, considérant que dans la mesure où toutes les formalités administratives ont été effectuées, il est entré en vigueur 1 mois après son dépôt au greffe du Conseil de prud’hommes, conformément à la loi.
Une telle position est à nouveau empreinte de bon sens.
En outre, la juridiction valide le licenciement pour faute grave, retenant que la société démontre que le salarié avait pleinement conscience que son employeur entendait procéder à un dépistage tant de drogue que d’alcool, mais qu’il a refusé de s’y soumettre, caractérisant une insubordination, et ne laissant aucun doute quant aux raisons pour lesquelles il a opposé un refus.
Le règlement intérieur étant limpide, et au regard des conséquences des actes de l’employé, son maintien dans l’entreprise, même durant le préavis, était manifestement impossible.
Deux décisions qu’il convient donc de saluer, notamment la seconde aux termes de laquelle la Haute Cour est parvenue à se « rattraper aux branches » pour conserver une validité au règlement intérieur. Mais qui permet néanmoins de s’interroger sur une autre question de bon sens : même en cas d’invalidité de ce document, comment peut-on légitimement considérer qu’un salarié sous l’emprise d’un état alcoolique avancé ne soit pas sanctionnable ?
Un règlement (qu’aucun salarié ne lit) qui serait donc plus fort que le droit à la sécurité quand les règles minimales à ce sujet n’auraient pas été respectées ?
Il y a là débat.