Contestation d’un avis médical et pénurie de médecins inspecteurs du travail
3 juillet 2024
Les conseils de prud’hommes peuvent désigner un médecin expert près la Cour d’appel.
En droit, rappelons que le Code du travail offre la possibilité pour un salarié ou un employeur de saisir le conseil de prud’hommes selon la procédure accélérée au fond d’une contestation portant sur les avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail (article L. 4624-7 du Code du travail).
Dans le cadre d’une telle procédure, la juridiction prud’homale peut ainsi confier toute mesure d’instruction au médecin inspecteur du travail territorialement compétent pour l’éclairer sur les questions de fait relevant de sa compétence.
En cas d’indisponibilité du médecin-inspecteur du travail ou en cas de récusation de celui-ci, le conseil de prud’hommes statuant selon la procédure accélérée au fond peut désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui qui est territorialement compétent (article R. 4624-45-2 du Code du travail).
En fait, et en pratique, les conseillers prud’hommaux sont souvent réticents à se prononcer sur la validité d’un avis médical, jugeant qu’ils n’ont pas l’expertise nécessaire pour statuer sur l’état de santé d’un salarié.
Ainsi, dans la plupart des cas, ils désignent un médecin inspecteur du travail afin de les éclairer.
Cependant, la pénurie de médecins-inspecteurs, surchargés, met grandement à mal cette procédure. Par conséquent, possibilité leur a été donnée de désigner un expert médical auprès de la Cour d’appel, dont les honoraires sont nettement plus élevés (200 € pour un médecin-inspecteur contre 1.200 € ou plus pour un médecin expert près la Cour d’appel).
Cela peut donc représenter un coût significatif pour un employeur confronté à de nombreux avis médicaux incohérents, comme par exemple la préconisation du télétravail pour un conducteur-receveur…
Dans une affaire qui est allée jusque devant la Cour de cassation, le conseil de prud’hommes de Moulins s’est précisément trouvé confronté à une telle difficulté ; difficulté qu’il a contournée en désignant un médecin expert près la Cour d’appel (Cass. Soc. 22 mai 2024, n°22-22.321 – décision publiée au bulletin).
En l’espèce, un salarié exerçant les fonctions d’assistant clientèle au sein d’une agence bancaire avait été déclaré inapte à son poste par le médecin du travail à l’issue d’une visite de reprise. L’avis précisait que son état de santé faisait obstacle à tout reclassement dans un emploi et visait donc à ce titre la mention relative aux cas de dispense de l’obligation prévus par le Code du travail.
Huit jours après l’avis rendu, le salarié saisissait le conseil de prud’hommes de Moulins aux fins notamment de voir annuler cet avis d’inaptitude.
Le conseil de prud’hommes avait alors désigné un médecin inspecteur régional du travail afin de rendre un rapport pour éclairer les juges. Par une nouvelle ordonnance, la juridiction a été contrainte de désigner un nouveau médecin en lieu et place de celui-ci, étant précisé qu’il s’agissait d’un médecin expert près la Cour d’appel.
Ce médecin n’était pas inscrit comme expert en médecine de la santé ou médecine du travail, n’avait pas le titre de médecin du travail, ni d’habilitation, de diplôme ou de qualification particulière en matière de santé ou médecine du travail.
Il a rendu un rapport aux termes duquel il a constaté que les éléments de nature médicale ne justifiaient pas l’avis d’inaptitude du salarié.
Le Conseil de prud’hommes a donc suivi cet avis et jugé que l’avis du médecin expert ainsi désigné se substituait à l’avis d’inaptitude du médecin du travail.
La société a alors interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Riom, estimant que la désignation du nouveau médecin était parfaitement contestable en ce que ce dernier avait été désigné en qualité de médecin généraliste et n’était pas légalement compétent ou habilité pour effectuer l’expertise sollicitée par la juridiction prud’homale. La société appelante ajoutait également que cette dernière ne pouvait légalement que désigner un autre médecin inspecteur du travail que celui territorialement compétent.
La Cour d’appel de Riom relève très justement que « comme cela arrive malheureusement de façon récurrente désormais, le conseil de prud’hommes n’a trouvé aucun médecin inspecteur du travail qui accepte la mesure d’instruction prévue par l’article L. 4624-7 du code du travail […] Face à cette situation de blocage, le juge chargé du suivi de « l’expertise » ordonnée le 29 septembre 2020 a décidé, par ordonnance du 31 mars 2021, de désigner le docteur [H] [R] comme expert ».
Elle poursuit son raisonnement en ces termes :
« Les conseils de prud’hommes comme les chambres sociales de cour d’appel constatent régulièrement qu’il est parfois impossible de trouver sur le territoire national, notamment par suite des carences affectant les services de l’État, un médecin inspecteur du travail qui accepte de réaliser la mesure d’instruction prévue par l’article L. 4624-7 du code du travail. En l’espèce, il n’est pas contesté que le conseil de prud’hommes s’est heurté au refus, ou au silence valant refus, de tous les médecins inspecteurs du travail recherchés.
Il est impossible pour un juge judiciaire de justifier un déni de justice du fait d’un manque de moyens, même si celui-ci ne lui est en rien imputable. En conséquence, nonobstant les dispositions du code du travail, qui n’interdisent pas toutefois expressément le recours à un expert non médecin inspecteur du travail, le juge prud’homal qui constate l’impossibilité de pouvoir désigner un médecin inspecteur du travail pour réaliser la mesure d’instruction prévue par l’article L. 4624-7 du code du travail, doit statuer sur la contestation de l’avis du médecin du travail qui lui est soumise, que ce soit sans mesure d’instruction ou après réalisation d’une expertise confiée à un médecin non qualifié ou habilité en médecine du travail ou santé au travail afin de l’éclairer sur la question de fait que constitue l’état de santé du salarié.
En outre, le recours prévu l’article L. 4624-7 du code du travail est conçu comme appelant une réponse judiciaire rapide (procédure accélérée au fond) à un litige portant sur la contestation des avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail reposant sur des éléments de nature médicale. En l’espèce, l’avis d’inaptitude a été émis le 1er juillet 2020, un licenciement pour inaptitude ayant été ensuite notifié le 4 août 2020, et, du fait du manque de moyens des services de l’État et de l’absence de prévisibilité du législateur quant aux moyens pouvant être affectés aux nombreuses réformes en droit social qui se succèdent à un rythme toujours plus rapide, le conseil de prud’hommes de MOULINS, saisi depuis le 9 juillet 2020, se trouvait toujours en mars 2021 dans l’impossibilité de désigner un médecin inspecteur du travail. Ainsi le juge prud’homal est souvent confronté en cette matière à la question du délai raisonnable. »
Dans ces conditions, la Cour d’appel estime qu’il n’y a pas lieu d’annuler le rapport d’expertise du second médecin pour violation de la loi.
La chambre sociale de la Cour de cassation – saisie sur pourvoi de la société – confirme ce raisonnement estimant qu’ « en l’état de ses constatations caractérisant l’indisponibilité des médecins inspecteurs du travail, la cour d’appel en a exactement déduit qu’un autre médecin pouvait être désigné » après avoir rappelé le droit d’être jugé dans un délai raisonnable ainsi que la nécessité pour le juge d’assurer la conduite rapide du procès (CEDH, 8 juin 2006, n°75529/01).
La décision de la Haute juridiction est à l’évidence motivée par la nécessité d’assurer la célérité de la justice.
Cette position tranche avec celle adoptée par le ministère du travail qui estime qu’en cas de nouveau refus ou d’indisponibilité, le juge peut désigner un expert sur la liste des experts de la cour d’appel à condition qu’il dispose d’une qualification en médecine du travail (sans qu’il soit nécessaire qu’il figure dans la rubrique « médecine du travail » de la liste) (https://travail-emploi.gouv.fr/sante-au-travail/suivi-de-la-sante-au-travail-10727/article/recours-contre-un-avis-d-inaptitude).
En conclusion, même s’il est indéniablement préférable qu’un médecin qualifié en médecine du travail intervienne, la position de la Cour de cassation a l’avantage de prévenir une situation de blocage en cas de pénurie de médecins-inspecteurs.
Elle permet également d’obtenir rapidement une décision de la juridiction prud’homale, ce qui est crucial, surtout lorsque l’employeur fait face à des avis médicaux temporaires valables seulement pour quelques mois, nécessitant donc d’autant plus une réponse judiciaire rapide.