Employeurs français, veillez à ne pas négliger la langue de Molière…

Cass. soc. 7 juin 2023, n°21-20.322

Do you speak english ?

Dans un monde où les échanges commerciaux transcendent les frontières, l’anglais s’impose comme la langue de prédilection pour la communication au sein de nombreuses entreprises.

Toutefois, il convient de garder en tête les dispositions de l’article L.1321-6 du Code du travail : tout document comportant des obligations pour le salarié ou des informations indispensables à l’exécution de son travail doit être rédigé en français.

Ces dispositions ont pu être récemment rappelées par la Cour de cassation.

Il s’agissait d’un dossier concernant une entreprise française – qui appartient à un Groupe dont la société mère est située aux États-Unis – et un responsable des ventes.

Ce dernier a signé un plan de commission, en anglais, qui prévoit qu’il percevra une avance de 1.000 dollars par mois, soit 12.000 euros par an.

Il est prévu qu’en cas de résiliation du contrat de travail, une déduction sera appliquée par la Société.

Le salarié est licencié pour insuffisance professionnelle et, au moment de la rupture, la société procède à une reprise sur commissions.

Le salarié estime que le plan de commission, parce qu’il est rédigé en anglais, ne lui est pas opposable et conteste donc la reprise effectuée sur sa paie.

La société s’offusque d’un tel argumentaire puisque, comme le salarié le sait parfaitement, la langue de travail est l’anglais et les échanges de mails produits entre les parties sont pour la plupart en anglais, y compris les documents de travail établis par ce dernier…

Si la Cour d’appel de Toulouse a suivi l’employeur, ce n’est pas le cas de la Haute Juridiction.

Elle rappelle la règle édictée à l’article L. 1321-6 du Code du travail :

  • Principe : tout document comportant des obligations pour le salarié ou des dispositions dont la connaissance est nécessaire pour l’exécution de son travail doit être rédigé en français.
  • Exception : cette règle n’est pas applicable aux documents reçus de l’étranger, destinés à des étrangers ou encore si le salarié est lui-même étranger (Cass. soc. 24 juin 2015, n°14-13.826).

Mais comment savoir si un document est vraiment étranger ?

Pour vérifier l’origine du document, il convient de se référer aux conditions de rédaction et de transfert initial du document.

Lorsque le document n’est pas rédigé en français, les juges vont vérifier l’origine du document en question pour savoir si ce document provenait de l’étranger ou s’il était destiné à des employés étrangers. Si tel est le cas, la règle du français ne s’applique pas.

Dans le cas d’espèce, le document fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable contractuelle du salarié (le plan de commission), n’avait pas été rédigé en français et n’avait pas été reçu de l’étranger : le salarié était donc bien fondé dans ses demandes.

Ce n’est pas la première fois que la francophonie est à l’honneur en droit du travail :

  • Il a pu être jugé que les documents fixant les objectifs nécessaires à la détermination de la rémunération variable du salarié doivent être rédigés en français, peu important que l’activité de l’entreprise ait un caractère international (Cass. soc. 3 mai 2018, n° 16-13.736).
  • La Cour de cassation admet que les objectifs soient fixés dans une langue étrangère si une traduction française des documents est, par ailleurs, accessible au salarié via une diffusion rapide sur le site intranet de l’entreprise (Cass. soc. 21 septembre 2017, n° 16-20.426).

Il convient donc d’être vigilants concernant les documents qui comportent des obligations à l’égard du salarié (par exemple un contrat de travail, une offre d’emploi, une convention et accords collectifs) puisque les conséquences peuvent être majeures.

Dans l’affaire commentée, le rappel de commissions en jeu était de 10.877,11 euros bruts.

Mais, il est essentiel de rappeler que, en plus de l’inopposabilité du document remis au salarié, l’entreprise risque une amende pour contravention de quatrième classe, d’un montant de 750 euros, pouvant être multiplié par cinq pour les personnes morales, atteignant ainsi 3 750 euros (articles 3 et 4 du décret n°95-240 du 3 mars 1995).

De telles sanctions soulignent l’importance de respecter les règles linguistiques en vigueur.

Ainsi, attention, même dans un monde où l’anglais est souvent roi, le français reste la langue de référence en matière de documents officiels dans votre entreprise en France. Ne laissez pas la langue de Shakespeare vous jouer des tours pouvant être lourds de conséquence…

Bien qu’il existe une exception concernant les documents reçus de l’étranger (ou à destination de salariés étrangers), par précaution, nous recommandons de toujours faire signer au salarié la traduction du document. À défaut, il vous faudra vous ménager la preuve de ce qu’il provient effectivement de l’étranger.

 

Vous l’aurez compris, le français demeure un pilier essentiel.

Il convient ainsi de garder en tête ces règles pour éviter les pièges du langage international et garantir une communication transparente et sans risque avec vos salariés.   

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