Est nulle la transaction conclue après un licenciement abusif

(Cour de cassation, Chambre sociale, 13 septembre 2023, n° 21-25.481)

Nous le savons, il est désormais acquis que l’insuffisance professionnelle d’un salarié ne peut donner lieu à un licenciement disciplinaire sauf à démontrer que celle-ci résulte d’une volonté délibérée du salarié.

Lorsqu’il décide de rompre disciplinairement le contrat d’un salarié en raison de ce type de carences professionnelles, l’employeur doit donc se montrer particulièrement vigilant.

Il doit, en outre, veiller à faire mention, au sein de la lettre de licenciement, de ce que cette insuffisance relève d’une volonté délibérée du salarié. A défaut, il risque de voir la rupture requalifier en licenciement sans cause réelle et sérieuse et, potentiellement, la transaction intervenue annulée.

C’est ici tout l’apport de la décision commentée.

En effet, par cette dernière, la Cour de cassation juge qu’en présence d’un licenciement disciplinaire fondé sur une insuffisance dépourvue de caractère fautif, le juge peut restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification et ainsi, anéantir la transaction signée entre les parties.

Revenons-y :

 

1. Les faits de l’espèce

Le 14 octobre 2016, un salarié occupant les fonctions d’agent technico-commercial a été licencié pour faute grave.

Son employeur lui reprochait notamment une absence de réalisation fautive de ses objectifs, un défaut de réalisation d’un plan d’action, un désintéressement total dans le démarchage et la prospection de la clientèle, l’ensemble caractérisant la mauvaise volonté délibérée de ce salarié dans l’exécution de son contrat de travail.

Or, dans la rédaction de la lettre de licenciement l’employeur invoquait l’absence d’objectifs atteints et son refus de changer de poste au regard de ses carences sans toutefois préciser que l’insuffisance constatée était en réalité « intentionnelle ».

Le salarié contestait dès lors son licenciement et proposait un accord transactionnel, lequel a été conclu le 28 octobre suivant.

C’est ainsi que, sans avoir renoncé au qualificatif de la faute grave, la Société acceptait de prendre en considération le préjudice que le salarié estimait avoir subi en raison de la perte de son emploi et de de lui verser la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.

De son côté, le salarié renonçait à son action devant la juridiction prud’homale.

Pourtant, le 21 novembre 2016, près d’un mois après la signature de cet accord, le salarié décidait d’en contester les termes et sollicitait le versement d’une indemnité légale de licenciement, ce à quoi la Société refusait de faire droit.

Il saisissait alors le Conseil de prud’hommes aux fins de voir déclarer nulle la transaction conclue et obtenir la requalification de la rupture intervenue en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Les premiers juges ont fait droit aux demandes du salarié.

Toutefois, estimant le licenciement bienfondé et la transaction parfaitement valable, l’employeur interjetait appel de cette décision.

Par la suite, la Cour d’appel confirmait les termes du jugement entrepris, générant la décision présentement commentée, laquelle s’avère être lourde de sens.

 

2. La décision de la Cour de cassation

La Haute Cour a validé en tous points le raisonnement de la juridiction de second degré, laquelle avait relevé que :

« Si la juridiction appelée à statuer sur la validité d’une transaction réglant les conséquences d’un licenciement n’a pas à se prononcer sur la réalité et le sérieux du ou des motifs énoncés dans la lettre de licenciement, elle doit, pour apprécier si des concessions réciproques ont été faites et si celle de l’employeur n’est pas dérisoire, vérifier que la lettre de licenciement est motivée conformément aux exigences légales. Pour déterminer le caractère réel ou non des concessions contenues dans la transaction, le juge peut, sans heurter l’autorité de chose jugée attachée à la transaction, restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification. »

En effet, selon la Cour d’appel, si les motifs du licenciement du salarié tels que présentés dans la lettre de licenciement afféraient à des insuffisances de résultats commerciaux, une insuffisance de prospection et un refus de nouveau poste, à aucun moment l’employeur n’indiquait que ces insuffisances résultaient d’une volonté délibérée du salarié.

Elle en a alors déduit que les faits reprochés caractérisaient une insuffisance professionnelle et n’étaient pas susceptibles de recevoir la qualification de faute grave, outre que le refus des nouveaux postes proposés par l’employeur ne pouvait, non plus, être qualifié de la sorte.

De ce postulat, la Cour en a déduit que le versement d’une indemnité transactionnelle de 10.000,00€, en contrepartie de l’engagement du salarié à ne plus contester son licenciement, était pour le moins dérisoire, dès lors que l’existence de la faute grave à l’origine du licenciement avait succombé et l’avait privé de son indemnité de préavis et de son indemnité conventionnelle de licenciement.

En d’autres termes, ces deux dernières devant être considérées comme dues, la transaction conclue ici était d’un montant qui ne les compensait pas.

En conséquence, relevant une absence de concession réciproque entre les parties, la Cour de cassation a validé la nullité de la transaction conclue.

 

3. La portée de cette décision

Il convient de tirer trois enseignements majeurs de cet arrêt :

  • l’impérieuse nécessité pour l’employeur de procéder à une rédaction minutieuse de la lettre de licenciement, et ce notamment, quand il entend se prévaloir d’une insuffisance de résultats résultant d’une volonté délibérée du salarié (et donc d’un comportement qualifiant la faute grave, privatif d’indemnités, en dehors des congés payés).

C’est bien cette mention qui, faisant défaut, a généré de lourdes condamnations pécuniaires pour l’employeur alors même que le comportement fautif du salarié était avéré.

  • le rappel du rôle des juges qui, pour déterminer le caractère réel ou non des concessions contenues dans une transaction, sans se heurter à l’autorité de chose jugée attachée à cet accord, peuvent néanmoins restituer aux faits énoncés dans la lettre de licenciement leur véritable qualification.
  • L’incertitude répétée dans laquelle se retrouvent les entreprises au travers de jurisprudences évolutives qui, sous couvert de théories strictes, ne visent qu’à rechercher coûte que coûte l’indemnisation d’un salarié

Cette décision a également le mérite de mettre en exergue le rôle essentiel du conseil de l’employeur, lequel a notamment pour mission, lorsqu’il est saisi, de veiller à la rédaction rigoureuse de la lettre de licenciement qui est bien trop souvent considérée comme une formalité sans difficultés … Hélas bien à tort !

Ces actualités pourraient également vous intéresser
ZOOM HCR : Les récents arrêtés d’extension dans la branche des CHR : reconnaissance de l’expérience, financement du dialogue social et revalorisation des salaires
Article
ZOOM HCR : Les récents arrêtés d'extension dans la branche des CHR : reconnaissance de l'expérience, financement du dialogue social et revalorisation des salaires
¬Elections du CSE et parité femme/homme : conséquences de l’annulation de l’élection d’un.e élu.e mal positionné.e (Cass. Soc., 11 sept. 2024, n°23-60.107 ; F-B)
Article
¬Elections du CSE et parité femme/homme : conséquences de l’annulation de l’élection d’un.e élu.e mal positionné.e (Cass. Soc., 11 sept. 2024, n°23-60.107 ; F-B)
Imposer un déplacement temporaire à un salarié protégé : quelle marge de manœuvre pour l’employeur ? (Cass. Soc., 11 septembre 2024, n°23-14.627)
Article
Imposer un déplacement temporaire à un salarié protégé : quelle marge de manœuvre pour l’employeur ? (Cass. Soc., 11 septembre 2024, n°23-14.627)
Harcèlement moral : un délai de 5 ans pour contester un licenciement, un défi pour les employeurs (Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-11360 F-B)
Article
Harcèlement moral : un délai de 5 ans pour contester un licenciement, un défi pour les employeurs (Cass. soc., 9 octobre 2024, n° 23-11360 F-B)
Portrait d’avocat: Marie-Astrid Bertin
Article
Portrait d'avocat: Marie-Astrid Bertin
Portrait d’avocat : Emilie Lesné
Article
Portrait d’avocat : Emilie Lesné
Fichiers contenus sur une clé USB personnelle non connectée à l’ordinateur professionnel du salarié : preuve recevable ou non ? (Cass. Soc. 25 septembre 2024, n° 23-13.992)
Article
Fichiers contenus sur une clé USB personnelle non connectée à l’ordinateur professionnel du salarié : preuve recevable ou non ? (Cass. Soc. 25 septembre 2024, n° 23-13.992)
L’inextricable problématique des conventions de forfait annuel en jours
Article
L’inextricable problématique des conventions de forfait annuel en jours
Un licenciement fondé sur des faits relevant de la vie personnelle encourt-il la nullité ?
Article
Un licenciement fondé sur des faits relevant de la vie personnelle encourt-il la nullité ?
Dans le cadre du CSP, peut-on informer le salarié du motif de la rupture en lui transmettant un compte-rendu de la réunion du CSE ?
Article
Dans le cadre du CSP, peut-on informer le salarié du motif de la rupture en lui transmettant un compte-rendu de la réunion du CSE ?
La conciliation prud’homale élargie au-delà des indemnités de rupture liées aux licenciements
Article
La conciliation prud'homale élargie au-delà des indemnités de rupture liées aux licenciements
Échéance du CDD d’un conseiller du salarié : la cour de cassation applique strictement les dispositions légales
Article
Échéance du CDD d’un conseiller du salarié : la cour de cassation applique strictement les dispositions légales
L’action en nullité d’un accord collectif par le CSE : des conditions de recevabilité plus restreintes
Article
L'action en nullité d'un accord collectif par le CSE : des conditions de recevabilité plus restreintes
Harcèlement moral : Les syndicats obtiennent le droit d’agir pour protéger leurs représentants
Article
Harcèlement moral : Les syndicats obtiennent le droit d'agir pour protéger leurs représentants
Les dernières mises à jour décryptées !
Article
Les dernières mises à jour décryptées !
La rupture conventionnelle viciée par un dol du salarié […]
Article
La rupture conventionnelle viciée par un dol du salarié [...]
Nullité de la clause de non-concurrence
Article
Nullité de la clause de non-concurrence
Arrêts de travail pour maladie
Article
Arrêts de travail pour maladie
Zoom sur le contrat de travail à temps partiel
Article
Zoom sur le contrat de travail à temps partiel
Contestation d’un avis médical et pénurie de médecins inspecteurs du travail
Article
Contestation d’un avis médical et pénurie de médecins inspecteurs du travail
Amour et travail ne font pas toujours bon ménage
Article
Amour et travail ne font pas toujours bon ménage
Congés payés et arrêt maladie
Article
Congés payés et arrêt maladie
Nouvelles précisions sur la prime de partage de valeur
Article
Nouvelles précisions sur la prime de partage de valeur
Licenciement pour inaptitude : articulation de la contestation et du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur
Article
Licenciement pour inaptitude : articulation de la contestation et du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur
Ne jamais informer un salarié par téléphone de son licenciement le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement
Article
Ne jamais informer un salarié par téléphone de son licenciement le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement
La signature d’un accord prévoyant la mise en place d’un PSE
Article
La signature d’un accord prévoyant la mise en place d’un PSE
Faute inexcusable : les mesures prises par l’employeur doivent être efficaces et suffisantes
Article
Faute inexcusable : les mesures prises par l’employeur doivent être efficaces et suffisantes
Obligation de reclassement en cas d’inaptitude
Article
Obligation de reclassement en cas d’inaptitude
Une proposition de loi capillotractée
Article
Une proposition de loi capillotractée
Droit aux congés payés durant un arrêt de travail
Article
Droit aux congés payés durant un arrêt de travail
Les Distinctions