« Il n’est pas nécessaire d’aller vite, le tout est de ne pas s’arrêter »

Cass. soc. 7 décembre 2022, n°21-14.484

Nombreux sont les employeurs qui pensent que la faute grave implique une mise à pied
conservatoire et une action plus qu’immédiate, mais la réalité est autre.

1. Des préjugés bien ancrés
Les employeurs sont parfois frileux quant à la question du licenciement pour faute grave qu’ils associent à de nombreuses contraintes : une mise à pied conservatoire en amont et une réaction au pied levé.
En effet, la faute grave, selon une jurisprudence constante, résulte d’un fait ou d’un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail d’une importance telle qu’elle
rend impossible le maintien du salarié dans l’entreprise pendant la durée du préavis.
En outre, si l’employeur dispose d’un délai de 2 mois, à compter du jour où il a eu connaissance du ou des fait(s) fautifs(s), pour engager la procédure disciplinaire (c’est-à-dire envoyer la convocation à un entretien préalable) les juges exigent que cet engagement intervienne dans un « délai restreint » en cas de faute grave.
Or, parfois les dossiers s’accumulent et ils n’ont pas les moyens d’être aussi réactifs qu’ils le souhaiteraient.
Il ne faut toutefois pas croire qu’un licenciement pour faute grave est impossible : la mise à pied conservatoire n’est pas indispensable et l’employeur ne doit pas nécessairement se presser.
La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt du 7 décembre dernier (Cass. soc. 7 décembre 2022, n°21-14.484).

2. Une mise à pied conservatoire non obligatoire
L’article L 1332-3 du Code du Travail met en place ce que l’on appelle une mise à pied « conservatoire », laquelle n’est pas une sanction (a contrario de la mise à pied disciplinaire).
Cette mesure permet à l’employeur qui la notifie de suspendre provisoirement l’activité d’un salarié dont la présence pourrait nuire à l’entreprise, pour la durée nécessaire au déroulement de la procédure.
Pourtant, il ne s’agit pas là d’un prélude obligatoire au licenciement pour faute grave.
En effet, il est important d’avoir à l’esprit que l’employeur n’est aucunement tenu de procéder à une mise à pied conservatoire avant d’engager une procédure disciplinaire et ce même si cette dernière se solde sur un licenciement pour faute grave.

Plus encore, l’employeur peut, après avoir prononcé une telle mise à pied, finalement y renoncer et demander au salarié de reprendre le travail, avant de le licencier pour faute grave (Cass. soc. 18 mai 2022, n°20-18.717) ; c’est dire …!
Certes, une telle mise à pied constitue un élément pouvant étayer la gravité des faits reprochés au salarié mais elle n’est pas indispensable (également : Cass. soc. 9 février 2022, n°20-17.140, Cass. soc. 25 février 2004, n°01-47.000).

Ainsi, aucun texte n’oblige l’employeur à procéder à une mesure conservatoire avant d’ouvrir une procédure de licenciement
motivée par une faute grave. L’important c’est l’existence de faits graves.

Pour autant, nous la recommandons fortement dès lors que le dossier s’y prête.

3. Rien ne sert de courir… Il faut partir à point

Nous l’avons rappelé, il existe un délai maximal de 2 mois pour agir, mais en cas de faute grave les juges demandent une action dans un « délai restreint ».
Que signifie concrètement ce délai restreint ?
En réalité, les juges du fond disposent d’un pouvoir d’appréciation souverain à ce sujet et apprécient au cas par cas.
Il ressort ainsi de la jurisprudence que doit être pris en compte le temps nécessaire à l’information de l’employeur pour apprécier le degré de gravité de la faute (Cass. soc., 16 janv. 1990, n°87-43.911 ; Cass. soc., 9 nov. 2004, n°02-45.628).
Plus encore, le délai de réflexion que s’accorde un employeur pour procéder au licenciement d’un salarié n’a pas pour effet de retirer à la faute son caractère de gravité (Cass. soc., 18 déc. 2002, n°00-45.637).
De même, il a été jugé que ne peut être reproché à l’employeur d’avoir patienté (deux mois, en l’espèce), dans un souci d’apaisement, avant de sanctionner des salariés (Cass. soc., 10 juin 1998, n° 96-42.019, Cass. soc. 14 octobre 1998, n°96-43.363).
Toujours dans le même sens, le seul « retard » entre le prononcé du licenciement et l’entretien préalable ne saurait priver l’employeur de la possibilité dont il dispose quant à invoquer la faute grave (Cass. soc., 12 nov. 1991, n°90-43.957).
Ainsi, la seule circonstance que l’employeur n’ait pasprononcé le licenciement aussitôt écoulé le délai de réflexion à respecter après l’entretien préalable ne le prive pas automatiquement du droit d’invoquer l’existence d’une faute grave (Cass. Soc. 7 mars 1990, n°87-42.250).
Dans notre arrêt du 7 décembre 2022, la société a été informée des faits fautifs le 22 mai 2015 mais elle n’a convoqué le salarié que le 19 juin 2015, soit près d’un mois après…
La Cour de cassation a, encore une fois, fait un examen au cas par cas et constaté que le salarié était en arrêt de travail depuis le 26 mai 2015 – soit quelques jours après la découverte des faits fautifs.
Si la Cour d’appel de Toulouse avait considéré que l’employeur avait tardé à agir, sa décision a été retoquée par la Cour de cassation : le fait que l’employeur prenne un certain temps pour engager la procédure, lorsque le contrat de travail est suspendu,
ne peut avoir pour effet de retirer le caractère de faute grave.
Ainsi, ne pas confondre vitesse et précipitation : la société doit agir dans un délai restreint certes mais elle peut prendre le temps de vérifier la matérialité des faits ou être en présence de faits justifiant qu’elle ait pris un certain temps (notamment en cas d’absence du salarié pour maladie).
Ceci étant précisé à l’aune de cette jurisprudence, tout comme nous conseillons de notifier une mise à pied conservatoire
devant des faits le justifiant, nous conseillons également d’agir malgré tout dans des délais assez brefs afin d’éviter toute difficulté ultérieure.

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