Inaptitude et inaction : un risque de résiliation judiciaire

Le maintien d’un salarié déclaré inapte en inactivité forcée constitue une violation des obligations de l’employeur, susceptible de justifier, si elle est suffisamment grave, une résiliation judiciaire du contrat de travail à ses torts.

Tel est l’apport de l’arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation le 4 décembre 2024.

Le rappel des obligations légales de l’employeur

Lorsqu’un salarié est déclaré inapte par le médecin du travail, l’employeur dispose d’un délai d’un mois pour le reclasser au sein de l’entreprise ou, à défaut, engager une procédure de licenciement. Passé ce délai, l’employeur doit reprendre le paiement du salaire correspondant à l’emploi précédent du salarié (articles L. 1226-4 et L. 1226-11 du Code du travail). Cependant, cette reprise de la rémunération ne dispense pas l’employeur de son obligation de reclassement ou, en cas d’impossibilité, de procéder au licenciement (Cass. soc. 21 mars 2012, n° 10-12.068 ; Cass. soc. 24 avril 2013, n° 12-13.907).

Si l’employeur manque à ces obligations et laisse le salarié dans une situation d’inactivité forcée sans perspective d’évolution, cela peut être considéré comme un manquement grave justifiant la résiliation judiciaire du contrat de travail, comme rappelé par la Cour de cassation dans un arrêt non publié au Bulletin, du 4 novembre 2021 (Cass. soc. 4 novembre 2021, n° 19-18.908).

Un arrêt publié au bulletin : une évolution notable

Dans la décision du 4 décembre 2024 publiée cette fois au bulletin de ses chambres civiles, la Cour de cassation réitère que l’employeur ne peut laisser un salarié inapte en inactivité forcée. Cette publication confère à cet arrêt une portée jurisprudentielle renforcée par rapport aux décisions précédentes, souvent non publiées. L’obligation de reclassement ou, en cas d’impossibilité, de licenciement est immédiate et doit être respectée dès la déclaration d’inaptitude.

Dans cette affaire, un salarié déclaré inapte le 11 juin 2019 n’a été ni reclassé ni licencié dans les délais requis. L’employeur a tardé à engager des recherches de reclassement, sollicitant l’avis du médecin du travail et explorant des options à l’étranger plusieurs mois après la déclaration d’inaptitude. Ce n’est qu’après une action prud’homale du salarié en résiliation judiciaire que l’employeur a procédé à son licenciement, près de huit mois après l’avis d’inaptitude.

Le visa de la bonne foi contractuelle

La Cour de cassation rappelle au visa de l’article L. 1222-1 du Code du travail, qui impose une exécution de bonne foi du contrat de travail, qu’en laissant un salarié inapte dans une situation d’inactivité forcée, il manque à cette obligation, ce qui peut constituer un manquement suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire du contrat.

Un précédent jurisprudentiel cohérent

Avant cet arrêt, la jurisprudence avait déjà reconnu la gravité d’une telle situation. Dans un arrêt de 2011 également non publié, l’employeur avait été condamné pour avoir omis de reclasser ou de licencier une salariée inapte, malgré la reprise du paiement des salaires (Cass. soc. 26 janvier 2011, n° 09-72.012).

Cette décision entérine l’exigence stricte imposée aux employeurs en matière de gestion des salariés inaptes. Elle vise à prévenir les situations d’attentisme où un employeur, tout en reprenant le versement des salaires, différerait les démarches de reclassement ou de licenciement, contournant ainsi les conséquences indemnitaires liées à une rupture. La cour d’appel de renvoi devra donc examiner si le manquement de l’employeur était suffisamment grave pour justifier la résiliation judiciaire, mais les éléments précédents laissent peu de doute sur l’issue probable de cette affaire.

En pratique, face à une déclaration d’inaptitude, il est donc essentiel d’agir rapidement et avec diligence pour reclasser ou, à défaut, licencier le salarié concerné. Adopter une attitude attentiste pourrait, outre le paiement à perte des salaires, aboutir à une procédure en résiliation judiciaire avec des conséquences indemnitaires lourdes selon l’ancienneté et le poste du salarié inapte.

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