La conciliation prud’homale élargie au-delà des indemnités de rupture liées aux licenciements
8 octobre 2024
Cour de cassation, Chambre sociale, 24 avril 2024, 22-20.472, Publié au bulletin
Dans cet arrêt, la Cour de cassation tranche la question de savoir si les parties peuvent étendre l’objet de la conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture dans le cadre d’un licenciement ?
En l’espèce, les parties ont volontairement comparu devant le bureau de conciliation et d’orientation du conseil de prud’hommes devant lequel un procès-verbal de conciliation a été formalisé aux termes duquel elles ont convenu du versement à la salariée d’une indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive, et que leur accord valait renonciation à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d’instance et d’action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail et du mandat de cette salariée.
Toutefois, la salariée avait considéré que l’accord ne comprenait pas le paiement de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et des congés payés afférents qu’elle estimait devoir réclamer à son ancien employeur.
La cour d’appel de Paris ayant rejeté ses demandes, la salariée a formé un pourvoi en cassation. Dans son moyen de cassation, la salariée reproche à la cour d’appel d’avoir violé les articles L.1235-1, L.1411-1 et R.1454-10 du code du travail en considérant que la contrepartie financière de la clause de non-concurrence était incluse dans l’accord de conciliation.
Pour mémoire, aux termes des dispositions de l’article L.1235-1 du Code du travail, l’employeur et le salarié peuvent mettre un terme à leur litige par un accord établi et signé devant le bureau de conciliation et d’orientation du Conseil de prud’hommes et moyennant le versement d’une indemnité forfaitaire dont le montant est fixé suivant un barème règlementaire en fonction de l’ancienneté du salarié et qui bénéficie, dans les limites de celui-ci, d’un régime social et fiscal attractif ainsi que d’un intérêt concernant l’absence d’application du différé spécifique France TRAVAIL.
Inséré dans le chapitre consacré aux contestations et sanctions des irrégularités du licenciement, cet article prévoit expressément que « l’accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail », de sorte que la conciliation et corrélativement, l’indemnité forfaitaire sont textuellement cantonnées à régler les différends relatifs à la contestation des licenciements, quelle qu’en soit le fondement.
Si l’on s’en tient à la lettre du texte, la conciliation ne pourrait ainsi pas mettre un terme aux contestations relatives à l’exécution du contrat de travail ou encore aux autres modes de rupture tels que la démission équivoque ou la prise d’acte.
Contrairement à la transaction, l’objet de conciliation prud’homal est donc a priori encadré formellement.
La question posée à la Chambre sociale revêtait donc une importance pratique indéniable.
De manière inédite, après avoir rappelé la compétence générale du bureau de conciliation et d’orientation édictée par l’article L.1411-1 du Code du travail et relevé que les parties avaient convenu du paiement d’une indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive, la Cour de cassation rejette le pourvoi. Elle valide ainsi la position des juges du fond qui avaient considéré que la prétention sans rapport avec le licenciement, en l’occurrence la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et les congés payés afférents, étaient comprises dans l’objet de l’accord de conciliation.
En reconnaissant la portée de clauses générales de renonciation à la conciliation prud’homale, la Chambre sociale aligne ainsi sa jurisprudence avec celle relative aux transactions, faisant fi du champ d’application restrictif de l’article L.1235-1 du Code du travail.
Nous ne pouvons que nous réjouir de cette décision qui vient renforcer la sécurité juridique de ce mode de règlement des litiges entre employeur et salarié par la consolidation d’une pratique largement utilisée consistant à concilier non seulement sur la rupture du contrat du travail au sens large, mais aussi sur son exécution.
En effet, certains conseils de prud’hommes réticents refusaient de signer des procès-verbaux de conciliation prévoyant la renonciation du salarié à des demandes relatives à l’exécution du contrat de travail.
L’employeur dispose désormais de deux outils pour matérialiser l’accord trouvé avec le salarié, dont le cumul présente un intérêt certain d’optimisation lorsque le montant convenu excède les limites ci-dessus évoquées, à charge pour les parties de circonscrire précisément leur objet respectif. En revanche, dans les limites du barème, la conciliation prud’homale élargie présente un avantage de taille puisqu’elle élude la problématique du différé spécifique d’indemnisation des allocations chômage (absence de délai de carence) contrairement à l’indemnité transactionnelle qui peut générer un différé allant jusqu’à 150 jours (75 jours en matière de licenciement pour motif économique).
Il conviendra toutefois d’être attentifs à l’appréhension de cette décision par l’Administration qui par analogie avec les transactions, pourrait chercher également à ventiler les préjudices que l’indemnité forfaitaire de conciliation vient réparer pour remettre en cause le régime social et fiscal et procéder à des réintégrations.