La déclaration d’inaptitude […] licenciement pour faute lourde
31 mars 2023
Cass., soc., 8 février 2023, n°21-16.258
Par un arrêt rendu le 8 février dernier, la Cour de cassation a rappelé que les dispositions du Code du travail relatives à la procédure de licenciement subséquente à la constatation d’une inaptitude sont d’ordre public, et font obstacle à ce que l’employeur prononce la rupture du contrat de travail pour un motif autre que l’inaptitude, peu important que ce dernier ait engagé antérieurement une procédure sur le fondement d’une faute lourde.
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Dans cette affaire, un salarié ayant fait l’objet d’un arrêt maladie de longue durée a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé le 7 février 2017, par courrier en date du 25 janvier 2017.
En parallèle, l’intéressé a sollicité, de son propre chef, l’organisation d’une visite médicale de reprise auprès de la médecine du travail, qui s’est tenue le 6 février 2017, et lors de laquelle le professionnel de santé l’a déclaré inapte totalement et définitivement à son poste, avec mention d’une impossibilité de reclassement dans l’entreprise ou le groupe.
L’employeur décide toutefois de poursuivre la procédure de licenciement pour motif disciplinaire, et prononce, le 16 février 2017, la rupture du contrat de travail pour faute lourde.
Le salarié saisit alors la juridiction prud’homale et sollicite que le licenciement soit jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse.
À l’appui de ses prétentions, il évoque que, compte tenu des conclusions du médecin du travail, il ne pouvait être licencié pour un motif disciplinaire, mais uniquement sur le fondement de son inaptitude, justifiant que son employeur soit condamné à lui verser des sommes relativement à :
- l’indemnité conventionnelle de licenciement ;
- l’indemnité compensatrice de préavis (et les congés payés afférents) ;
- la mise à pied conservatoire ayant été prononcée dans l’attente du prononcé du licenciement ;
- l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
La Cour d’appel de Grenoble ne partage pas l’analyse du salarié, et considère que « la circonstance que l’inaptitude définitive de […] à occuper son emploi a été constatée par le médecin du travail le 6 février 2017, ne privait pas la SAS FLAMATC de se prévaloir d’une faute lourde de son salarié au soutien du licenciement qu’elle a estimé devoir prononcer à l’issue de la procédure disciplinaire qu’elle avait initiée le 24 janvier précédent ».
En clair, et selon la juridiction, dans la mesure où la procédure de licenciement a été initiée antérieurement au constat de l’inaptitude, cette première procédure pouvait être menée à termes.
La Cour de cassation, saisie du litige, ne partage pas cette position, et casse l’arrêt.
Elle rappelle à ce titre que le Code du travail prévoit qu’en cas d’inaptitude, l’employeur ne peut rompre le contrat de travail que s’il justifie soit de son impossibilité de proposer un emploi dans les conditions prévues à l’article L 1226-2, soit du refus par le salarié de l’emploi proposé dans ces conditions, soit de la mention expresse dans l’avis du médecin du travail que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.
S’agissant de dispositions d’ordre public, elles s’opposent à ce que l’employeur prononce un licenciement pour un autre motif que l’inaptitude « peu important que l’employeur ait engagé antérieurement une procédure de licenciement pour une autre cause ».
Une telle jurisprudence s’inscrit dans une mouvance plus large, puisque la Haute Cour a pu juger par le passé, et notamment antérieurement à l’adoption de la « loi Travail », qu’en cas d’inaptitude consécutive à un accident du travail, l’employeur ne pouvait faire prévaloir un licenciement pour motif économique sur une inaptitude (Cass., soc., 14 mars 2000, n°98-41.556 ; Cass., soc., 19 mai 2004, n°02-44.671 ; Cass., soc., 10 mai 2005, n°11-11.854).
Une telle position a également été adoptée en matière de licenciement pour faute grave (Cass., soc., 20 décembre 2012, n°16-14.983).
Le présent arrêt apporte toutefois une précision nécessaire, puisque la Cour se prononce précisément sur le sort d’une procédure de licenciement pour motif disciplinaire entamée antérieurement au constat d’une inaptitude, apportant ainsi une précision supplémentaire.
La Cour de cassation aurait par ailleurs très bien pu adopter une position différente, puisqu’il a été jugé que :
- l’employeur peut retenir un motif économique de licenciement à l’encontre du salarié inapte, dans le cas d’une cessation totale d’activité relative à une entreprise n’appartenant pas à un groupe (Cass., soc., 15 septembre 2021, n°19-25.613) ;
- il est possible de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré inapte à son poste à la suite d’un accident du travail (Cass., soc., 9 mai 2019, n°17-28.767).
Mais elle en a décidé autrement.
Une décision qui, sur le terrain purement juridique, peut trouver un fondement au regard de la rédaction des textes, mais qui une nouvelle fois constitue à nos yeux un non-sens total et absolu si l’on se place notamment sur le terrain de la loyauté contractuelle.
En effet, voilà donc un salarié qui est informé d’une procédure disciplinaire engagée à son encontre et qui, Ô coïncidence, demande concomitamment à rencontrer le médecin du travail qui, lui-même de manière étrange, juge que le salarié est totalement inapte à son poste et doit être licencié.
La fraude est tellement évidente qu’elle en est grotesque.
Ne pourrait-on pas quelques instants s’arrêter sur ce fameux bon sens ? Qu’y a-t-il en effet de légitime à laisser un salarié utiliser les dispositions légales dans le seul but de ne pas faire face à ses obligations, et sous le sceau d’un terrain médical qui n’en a que le nom ?
Alors oui, il existe des textes de référence, mais puisque la Cour de cassation se refuse à en sortir, il devient urgent que ces derniers puissent être modifiés dès lors qu’il est démontré qu’une protection légitime du salarié qui avait pu être réfléchie pendant un temps est utilisée de manière parfaitement abusive et déloyale par ce dernier.
Loyauté et bon sens donc. Un jour peut-être ?