La mise à pied à titre disciplinaire d’un salarié protégé : Nul besoin de l’accord du salarié
5 février 2025
Par son arrêt rendu le 11 décembre 2024, la Haute juridiction est venue trancher la question qui alimentait les débats depuis plusieurs années devant les différentes Cour d’appel.
C’est au visa de l’article L.2411-1, 2° du Code du travail que la Haute juridiction a décidé que l’employeur n’avait pas besoin de l’accord du salarié protégé pour une telle sanction.
Beaucoup de question face à un arrêt d’une telle portée et tant attendu par les employeurs : Quelles sont les conditions ? Est-ce une décision définitive ? Quelle position adopter par les employeurs dans l’attente de la décision devant la Cour de renvoi ?
Cet article a pour but d’apporter des précisions et nuances quant à la portée de cette jurisprudence.
- Bref rappel de la jurisprudence antérieure
Aux termes des articles L.2411-1 et L.2411-5 du Code du travail, l’employeur est contraint de solliciter l’autorisation de l’inspection du travail dans le cadre d’un licenciement d’un salarié protégé.
En application de ces dispositions, la jurisprudence considérait qu’une mise à pied disciplinaire entrainait une modification du contrat de travail ou un changement des conditions de travail, cela en raison de la suspension de salaire pendant cette période.[1]
L’employeur devait dès lors informer le salarié protégé de sa possibilité d’accepter ou de refuser une telle mise à pied. En cas de refus, l’employeur n’avait que trois options : soit initier une procédure de licenciement avec l’autorisation de l’inspection du travail, soit notifier une sanction moindre, soit renoncer à toute sanction.
Cette jurisprudence constante posait deux problèmes majeurs :
- Elle limitait le pouvoir de direction de l’employeur vis-à-vis des salariés protégés ;
- Elle créait une inégalité de traitement entre les salariés selon s’ils étaient protégés ou non.
Cette position donnait un sentiment d’immunité extrême des salariés protégés (qui demeure nonobstant cet arrêt…), leur permettant de choisir si une sanction pouvait ou non s’appliquer à leur encontre.
C’est ce qu’est venu rééquilibrer la Haute juridiction par sa décision rendue le 11 décembre 2024.
- Rappel des faits de l’espèce
Un salarié titulaire de plusieurs mandats, comme délégué du personnel ou encore délégué syndical, s’est vu notifier une mise à pied disciplinaire de 5 jours.
Il a alors saisi le conseil de prud’hommes aux fins de solliciter l’annulation de cette sanction, notamment en raison de l’absence d’information préalable de son droit d’accepter ou de refuser une telle mesure.
Tant le juge départiteur que la Cour d’appel d’Aix-en-Provence[2] ont annulé la mise à pied disciplinaire au motif de cette absence d’information préalable du salarié protégé. La Cour est venue par ailleurs préciser que la sanction envisagée entraînait une modification de la rémunération du salarié et de la durée de travail sur la même période, ce qui n’était pas possible.
La Haute juridiction n’a pas partagé la position de la Cour d’appel et a cassé l’arrêt rendu.
- Un revirement non sans condition
Certaines Cours d’appel ont tenté, par le passé, de dégager une nuance à cet accord du salarié protégé, notamment la Cour d’appel de Versailles, mais dont l’arrêt est resté isolé en l’absence de pourvoi.[3]
Si la Haute juridiction a opéré un revirement de jurisprudence venant ébranler la protection exorbitante de droit commun des salariés protégés, cela n’est pas sans condition.
C’est au visa de l’article L.2411-1 du Code du travail qu’elle a jugé que :
« La mise à pied disciplinaire du salarié protégé, qui n’a pas pour effet de suspendre l’exécution du mandat de représentant du personnel et n’emporte ni modification de son contrat de travail ni de changement de ses conditions de travail, n’est pas subordonnée à l’accord du salarié ».[4]
Il est désormais établi que la mise à pied disciplinaire n’emporte ni modification du contrat de travail, ni changement des conditions de travail.
La Haute juridiction pose le principe selon lequel la mise à pied disciplinaire a pour conséquence directe une suspension temporaire des effets du contrat de travail, mais n’emporte pas sa modification permanente. C’est uniquement la suspension qui emporte une modification temporaire de la rémunération et de la durée du temps de travail, et non la mise à pied en elle-même. La Haute Cour s’est donc attachée à la conséquence directe de la sanction pour justifier sa motivation.
Néanmoins, une condition est posée pour que l’employeur puisse s’exonérer de l’accord du salarié protégé : la mise à pied ne doit pas avoir pour effet de suspendre l’exercice du mandat de représentant du personnel.
Rien de nouveau sur ce point toutefois ; il ne s’agit ici en réalité que d’un rappel.
En définitive, le salarié protégé qui sollicitera l’annulation de sa sanction disciplinaire, non sur le fond (sanction injustifiée ou discriminatoire) mais sur le caractère prétendument illicite de la mesure (absence d’accord), en sera désormais débouté.
- Vers un rétablissement du pouvoir de direction de l’employeur
En souhaitant apporter une protection particulière à des salariés exerçant un mandat, le législateur a privé l’employeur de l’étendue de son pouvoir de direction en application des dispositions de l’article L.2411-1 du Code du travail.
Par son arrêt du 11 décembre 2024, la Haute juridiction redonne par conséquent l’étendue de son pouvoir à l’employeur à l’égard des salariés protégés en ne soumettant plus la mise à pied disciplinaire à l’accord de ce dernier.
- Vers une égalité de traitement des salariés de l’entreprise face aux mesures disciplinaires
En conditionnant le pouvoir de direction de l’employeur à l’égard des salariés protégés, la jurisprudence avait créé une immunité inacceptable.
L’employeur préférait ne pas sanctionner plutôt que de déclencher une procédure de licenciement vouée à l’échec selon la gravité des griefs. De cette manière, plusieurs salariés protégés n’ont pas fait l’objet de sanctions, dans des cas où un salarié non protégé pouvait être sanctionné.
Par cette décision, la Cour de cassation permet d’homogénéiser la procédure de sanction d’une mise à pied disciplinaire à l’encontre de tous les salariés de l’entreprise, protégés ou non, et ainsi rétablit une égalité de traitement dans l’entreprise.
- Salariés protégés : Un nouveau critère de temporalité pour bénéficier de la protection ?
Pour motiver sa décision, la Haute Cour a pris en compte un critère de temporalité aux fins d’identifier s’il y avait ou non une modification du contrat de travail ou un changement dans les conditions de travail.
Elle prend ainsi bien le soin d’opérer une distinction entre une modification « temporaire ou permanente » du contrat ou des conditions de travail.
Un tel critère pour arguer d’une absence de modification du contrat ou des conditions de travail n’est pas une première pour la Haute juridiction qui a opéré cette distinction dans un arrêt très récent du 11 septembre 2024 concernant un changement d’affectation temporaire d’un salarié protégé. En effet, la Cour a validé sous certaines conditions le changement d’affectation de manière temporaire sans que cela ne soit constitutif d’une modification de son contrat de travail.[5]
La Cour opère ainsi un passage progressif d’une protection absolue à une protection relative des salariés protégés, ce qui reste un bénéfice non négligeable pour les employeurs dans le cadre de leur pourvoir direction, mais également pour rétablir une égalité de traitement entre les salariés.
Ce qu’il faut retenir pour l’employeur :
- La sanction prononcée ne doit pas modifier le contrat de travail de façon permanente, ni opérer un changement dans les conditions de travail de manière définitive ;
- La sanction ne doit pas avoir de lien avec l’exercice du mandat du salarié;
- La sanction ne doit pas avoir pour effet de suspendre ou empêcher l’exercice du mandat du salarié.
En application de l’arrêt rendu, si la modification du contrat de travail ou le changement des conditions de travail reste temporaire, il n’est plus nécessaire d’obtenir l’accord du salarié pour notifier une mise à pied disciplinaire.
Cet arrêt redonne à l’employeur une contenance à son pouvoir de direction et permet également de retrouver une égalité de traitement entre les salariés.
Mais il faudra attendre d’autres décisions pour pouvoir s’assurer de cet équilibre.
En effet, le chapitre est loin d’être clos, car la Cour d’appel de Nîmes va devoir de nouveau trancher la question faisant débat, et pourrait bien décider de résister à l’argumentation de la Haute juridiction !
[1] Cass. Soc. 4 octobre 2023, n°22-12.922.
[2] CA Aix-en-Provence, Chambre 4-3, 2 décembre 2022, n°19/04013
[3] CA Versailles, 6ème Chambre, 26 septembre 2017, n°16/02.678.
[4] Cass. Soc. 11 décembre 2024, n° 23-13.332.
[5] Soc. 11 septembre 2024, n°23-14.627