La répartition des droits sociaux en cas de démembrement des titres
2 janvier 2025
Défini à l’article 544 du code civil comme étant le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, tant que l’usage n’est pas prohibé par les lois ou par les règlements, le droit de propriété comprend trois attributs :
- le droit de jouissance (fructus) ;
- le droit de disposer (abusus) ; et
- le droit d’usage (usus).
Le démembrement de propriété se traduit par le fractionnement du droit de propriété en deux parties distinctes : la nue-propriété et l’usufruit.
L’usufruitier bénéficie du droit de jouissance, garanti par l’article 578 du Code civil qui lui confère le droit de jouir du bien comme le propriétaire lui-même, à charge d’en préserver sa substance. L’usufruitier peut donc utiliser le bien et percevoir les revenus générés par celui-ci, sans altérer l’intégrité du bien.
Le nu-propriétaire quant à lui, conserve le droit de disposer du bien sans en percevoir les revenus.
Cette distinction, évidente en matière de biens corporels, s’avère délicate à appliquer en matière de biens incorporels tels que les titres sociaux. En effet, les titres sociaux confèrent des droits de différentes natures (politique, pécuniaire etc.).
Dans les sociétés (civiles ou commerciales), les titres sont généralement détenus en pleine propriété. Dans ce cas, chaque associé, en tant qu’unique propriétaire de ses titres, exerce seul les prérogatives qui y sont attachés. En présence d’un démembrement de titres, deux personnes possèdent des droits sur les mêmes titres.
Le nu-propriétaire est considéré comme associé de la société, contrairement à l’usufruitier qui ne bénéficie pas de cette qualité (article 578 du Code civil, Cour de cassation, 1 décembre 2021, n° 20-15.164 ; 16 février 2022, n° 20-15.164). L’usufruitier dispose néanmoins de certains droits réservés aux associés.
Il est donc important de déterminer la répartition de ces droits afin de permettre au nu-propriétaire et à l’usufruitier d’exercer chacun des droits en cours de vie sociale.
Les droits politiques sont des droits extra patrimoniaux permettant à leur titulaire d’intervenir dans la gestion de la société et de participer à son fonctionnement.
Parmi ces droits, on retrouve le droit de vote, le droit de participation aux décisions collectives, le droit à l’information / droit à la communication, et la qualité d’associé.
Le droit de participer aux décisions collectives (sans droit de vote) ne fait pas l’objet d’un partage : l’usufruitier et le nu-propriétaire ont tous les deux le droit de participer aux décisions collectives (article 1844 alinéa 3 du Code civil). Aucune disposition statutaire ne peut déroger à ce principe qui est un droit intangible (Cour de cassation, 22 février 2005, n° 03-17.421 et 13 juillet 2005, n° 02-15.904).
La répartition du droit de vote diffère selon la forme de la société.
Dans les sociétés par actions simplifiées, les sociétés à responsabilité limitée, les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés civiles, l’article 1844 du Code civil octroie le droit de vote au nu-propriétaire, à l’exception des décisions relatives à l’affectation des bénéfices qui sont réservées à l’usufruitier. Le droit de vote de l’usufruitier dans les décisions relatives à l’affectation n’est tout de même pas acquis dans la mesure où conformément au quatrième alinéa de l’article 1844 du Code civil, les statuts peuvent déroger à cette règle.
Dans les sociétés anonymes, le droit de vote attaché à l’action appartient à l’usufruitier dans les assemblées générales ordinaires et au nu-propriétaire dans les assemblées générales extraordinaires sauf dispositions statuaires contraires (article L.225-110 du Code de commerce).
Ainsi, l’usufruitier d’actions (dans les sociétés anonymes) peut décider, sous réserves des dispositions statutaires, l’approbation et l’affectation du bénéfice (droit octroyé à tout usufruitier), la mise en distribution des réserves libres et de la fixation des dividendes, voter les décisions relatives à la nomination et révocation des dirigeants, à l’approbation des conventions réglementées et plus généralement, toute opération de gestion courante de la société.
Dès lors que la décision collective concerne le droit de jouissance de l’usufruitier des parts sociales et qu’il existe une incidence directe entre la délibération contestée et ce même droit, ce dernier peut contester sous certaines conditions les décisions collectives portant atteinte à son droit de jouissance même si les statuts en disposent autrement (Cass. com., 11 juill. 2024, no 22-10.013).
Le droit à l’information se traduit par la possibilité d’obtenir la communication des documents sociaux, de poser par écrit des questions sur la gestion de la société. L’usufruitier et le nu-propriétaire d’un droit à l’information. Cette obtention de documents lui permettra de prendre les décisions nécessaires au fonctionnement de la société.
Enfin, les droits pécuniaires ou patrimoniaux se composent essentiellement du droit aux dividendes. Le bénéfice distribué constitue un fruit qui doit être versé à l’usufruitier et les réserves doivent revenir au nu-propriétaire (Cass. 1re civ., 22 juin 2016, n° 15-19471 et 15-19516).