La rupture conventionnelle, proposée comme alternative au licenciement, est-elle valable ?

Dans un arrêt du 15 novembre 2023, la Cour de cassation a admis que l’employeur puisse proposer une rupture conventionnelle comme alternative au licenciement (Cass. soc. 15-11-2023, n° 22-16.957).  Bien que la Haute Cour se soit déjà prononcée sur l’articulation entre ces deux modes autonomes de rupture, cette clarification limpide dans un cas de figure fréquent en pratique est la bienvenue.

 

En l’espèce, un ouvrier du bâtiment a travaillé à plusieurs reprises sans harnais de sécurité et sans casque. Cet incident étant répétitif, l’employeur a envisagé un licenciement pour faute lourde à son encontre. Cependant, eu égard de l’ancienneté de la relation de travail (7 ans), l’employeur a laissé le choix au salarié d’opter entre un licenciement pour faute lourde et une rupture conventionnelle.

Le salarié a alors fait le choix de signer une rupture conventionnelle, mais a ensuite sollicité l’annulation de cette dernière, estimant que son consentement avait été vicié, la convention ayant été signée, selon lui, sous la menace d’un licenciement pour faute lourde.

Pour mémoire, la Cour de cassation a posé le principe que l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas par elle-même la validité de la convention de rupture.

La Cour de cassation admet également que l’entretien préalable au licenciement puisse tenir lieu d’entretien préparatoire à la rupture conventionnelle (Cass. soc. 19-11-2014 n°13-21.979).

Il n’en demeure pas moins vrai que le consentement à la rupture doit être donné librement. A défaut, la convention est nulle et la rupture peut être requalifiée en licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Tel est le cas lorsque l’employeur menace ou exerce des violences envers le salarié pour qu’il accepte la rupture conventionnelle (Cass. soc. 23-5-2013 n° 12-13.865).

La Cour de cassation rappelle donc dans l’arrêt du 15 novembre 2023 que l’employeur, qui envisage de licencier un salarié, peut lui proposer de signer une rupture conventionnelle comme alternative à celui-ci tant que le consentement du salarié n’est pas vicié.

En l’occurrence, le salarié n’avait pas usé de son droit de rétractation dans le délai de 15 jours (C. trav. art. L 1237-13, al. 3) et n’établissait pas que la rupture conventionnelle avait été imposée par l’employeur. Ainsi, le salarié, qui ne rapportait pas la preuve d’un vice du consentement, a été débouté de sa demande d’annulation de la rupture conventionnelle.

Cet arrêt permet de légitimer et d’entériner une pratique courante selon laquelle l’employeur propose une rupture conventionnelle dans un contexte de manquements du salarié, comme une alternative à un licenciement généralement disciplinaire, et ce, afin de tenir compte de son ancienneté ou encore de son absence de passif disciplinaire.

Le seul fait, pour l’employeur, de proposer au salarié de signer une telle rupture ne constitue donc pas, en soi, une forme de pression.

Reste à voir si la modification du régime fiscal et social de l’indemnité de rupture conventionnelle depuis le 1er septembre dernier, ayant notamment exclu le forfait social de 20% au profit d’une contribution patronale au profit de la Caisse nationale d’assurance vieillesse de 30%, portera ou pas atteinte à l’attractivité de ce mode de rupture.

On rappelle enfin que la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà jugé qu’en l’absence de vice du consentement, l’existence de faits de harcèlement moral n’affecte pas en elle-même la validité de la convention de rupture (Cass. soc. 23-1-2019 n° 17-21.550).

Dans la pratique, la rupture conventionnelle est souvent une alternative au licenciement même si juridiquement la rupture conventionnelle est un mode indépendant de rupture du contrat de travail.

À cet effet, il convient de rappeler les articulations entre licenciement et rupture conventionnelle qui sont admises par la jurisprudence lorsque la rupture conventionnelle a valablement fait l’objet d’une rétractation dans les 15 jours :

L’engagement d’une procédure de licenciement d’un salarié reste possible si ce dernier a renoncé à la convention de rupture en usant de son droit à rétractation. En revanche, l’employeur qui engage une procédure de licenciement pour faute doit, dans ce cas, agir dans la limite du délai de prescription de deux mois, car la signature d’une rupture conventionnelle n’interrompt pas le délai de prescription.

La Cour de cassation a également jugé que la signature d’un accord de rupture conventionnelle, après l’engagement d’une procédure disciplinaire de licenciement, n’entraîne pas la renonciation de l’employeur à l’exercice de son pouvoir disciplinaire. En cas de rétractation de la rupture conventionnelle, l’employeur peut reprendre la procédure de licenciement.

La Cour de cassation a enfin admis la possibilité pour les parties de renoncer à un licenciement déjà notifié en signant une rupture conventionnelle.

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