La rupture conventionnelle viciée par un dol du salarié […]

La rupture conventionnelle viciée par un dol du salarié produit les effets d’une démission

 

Si le salarié, partie à une convention de rupture, dissimule intentionnellement une information dont il sait le caractère déterminant pour l’employeur dans son consentement à la rupture du contrat, cette rupture est nulle et produit les effets d’une démission. (Cass. soc. 19 juin 2024 n° 23-10.817 FS-B, P. c/ Sté Alientech France)

 

  • Aux termes de l’article L. 1237-11 du Code du travail, « l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie ».

La rupture conventionnelle ne peut donc pas être imposée par l’une ou l’autre des parties et résulte d’une convention, de sorte que la liberté et l’intégrité du consentement des parties doivent demeurer intactes.

Cela signifie que le consentement ne doit pas avoir été vicié, c’est-à-dire qu’il doit être exempt de dol, violence ou erreur, sous peine de nullité de la rupture.

 

  • Dans une affaire jugée le 19 juin 2024, il était question de dol, c’est-à-dire de la dissimulation par un salarié d’éléments déterminants pour l’employeur, ce qui avait eu pour effet de vicier son consentement.

En principe, la simple dissimulation d’information n’est pas en soi porteuse d’un dol, sauf à ce que soit rapportée la preuve du caractère déterminant de celle-ci sur le consentement de la partie trompée. (Cass. soc., 11 mai 2022, n° 20-15.909)

Tel était bien le cas dans cette affaire selon la Cour d’appel.

En l’espèce, les manœuvres du salarié étaient les suivantes : un « défaut d’information volontaire sur le projet d’entreprise initié dans le même secteur d’activité auquel [étaient] associés deux anciens salariés » alors que l’employeur ne s’était déterminé qu’au regard « du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management », sans n’avoir aucune connaissance des velléités réelles de son salarié.

La cour a dès lors prononcé la nullité de la rupture et condamné ce dernier au paiement de diverses sommes.

 

  • Dans le cadre de son pourvoi en cassation, le salarié considérait que la création d’une activité concurrente après sa rupture conventionnelle était indifférente dès lors qu’il n’existait aucune clause de non-concurrence qui l’aurait restreint dans cette liberté.

Il en déduisait qu’il n’était pas tenu de révéler spontanément à son employeur son projet de création d’activité concurrente ainsi que les actes préparatoires qu’il avait effectués, et donc, qu’aucune réticence dolosive ne pouvait lui être reprochée.

Il faisait également valoir que la Cour d’appel avait porté une atteinte disproportionnée au principe fondamental de libre exercice d’une activité professionnelle.

Cependant, la Cour de cassation donne raison à la Cour d’appel, après avoir rappelé l’article 1137 du Code civil qui prévoit que constitue un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie.

Or, il était ici manifeste que l’employeur s’était déterminé au regard du seul souhait de reconversion professionnelle dans le management invoqué par son salarié, sans lien avec une activité concurrente qui aurait nécessairement pu freiner son acceptation quant à cette procédure de rupture amiable.

La cour d’appel avait ainsi estimé, à raison selon la Cour régulatrice, « sans faire peser sur le salarié une obligation d’information contractuelle, ni porter atteinte à sa liberté d’entreprendre », que le consentement de l’employeur avait été vicié.

 

  • La sanction est sévère :

La Cour de cassation a également validé le raisonnement de la Cour d’appel qui avait considéré que, lorsque le contrat de travail est rompu en exécution d’une convention de rupture ensuite annulée en raison d’un vice du consentement de l’employeur, la rupture produit les effets d’une démission.

Le salarié a ainsi été condamné à rembourser l’indemnité spécifique de rupture perçue au moment de la rupture de son contrat (19 000 €) et à lui verser une somme au titre de l’indemnité compensatrice de préavis (20 000 €).

C’est la première fois que la Cour fait produire à la nullité d’une rupture conventionnelle de tels effets.

Cette décision est cependant cohérente dès lors que la Haute Juridiction juge depuis longtemps que la nullité d’une rupture conventionnelle prononcée pour vice du consentement du salarié produit les effets d’un licenciement dépourvu de cause et sérieuse (Cass. soc. 30 janvier 2013 n° 11-22.332 FS-PBR : RJS 4/13 n° 279).

Il était ainsi normal de lui donner un effet inverse dans une telle hypothèse.

 

  • Cet arrêt reste toutefois à tempérer.

Il est en effet par principe difficile de déterminer l’existence d’une dissimulation intentionnelle d’une information. Même s’il existait, dans ce cas d’espèce, des actes préparatoires au lancement d’une entreprise concurrente, il pourrait être jugé dans une affaire avec une situation factuelle quelque peu distincte, que le salarié concerné pouvait poursuivre plusieurs objectifs en même temps pour finalement en privilégier un, après la conclusion de la rupture conventionnelle, sans pour autant que cela ne caractérise in fine une volonté de tromper son employeur.

Cet arrêt doit en tout état de cause être interprété comme le pendant d’un autre arrêt, rendu le 6 janvier 2021, dans lequel la Cour de cassation a annulé une rupture conventionnelle, car, cette fois, c’est l’employeur qui avait dissimulé au salarié qu’il préparait un plan de sauvegarde de l’emploi concernant son poste au moment où la rupture avait été signée, le privant ainsi du bénéfice du plan (Cass. soc. 6 janvier 2021 n° 19-18.549 F-D).

Dès lors, cette jurisprudence est bien en droite ligne avec celle de la Cour de cassation et incitera les employeurs à bien formaliser les conditions qu’ils considèrent comme déterminantes lors de la conclusion d’une rupture conventionnelle, par exemple dans un courrier d’acceptation d’une demande formulée par le salarié.

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