L’assureur est tenu d’indemniser l’assuré entré frauduleusement en possession de la chose assurée
1 septembre 2022
Civ. 2e, 31 août 2022, F-B, n° 20-16.701
Un assureur est-il tenu d’indemniser son assuré de la perte de la chose assurée, acquise frauduleusement ?
- Textes applicables
Les articles L. 121-1 et L. 121-6 du Code des assurances disposent que :
« L’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité ; l’indemnité due par l’assureur à l’assuré ne peut pas dépasser le montant de la valeur de la chose assurée au moment du sinistre. »
« Toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer. »
L’article 1103 du Code civil précise en outre que :
« Les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits. »
- Rappels des faits
L’assuré en cause dans cette affaire a acquis un véhicule d’occasion en septembre 2015, mais n’a payé la totalité du prix que trois mois plus tard. Il a donc procédé à l’immatriculation du véhicule et à la souscription d’une assurance à la date du paiement complet.
Quelques jours plus tard, dans la nuit du 31 décembre, ce véhicule est incendié sur la voie publique.
L’assureur refuse d’indemniser l’assuré, au motif qu’il serait en fait receleur dudit véhicule, lequel aurait été volé à une société de location puis cédé à l’assuré pour un prix très inférieur à celui du marché.
Alors que le tribunal judiciaire avait abondé dans le sens de l’assuré et considéré que l’assureur devait régler le montant de l’indemnisation, la cour d’appel a quant à elle soutenu le refus de ce dernier « d’indemniser la perte d’un véhicule acquis dans des conditions frauduleuses, sur lequel son assuré aurait des droits éminemment contestables ».
- Avis de la Cour de cassation
La Cour de cassation casse cette décision et rappelle qu’il résulte des articles précités du code des assurances que l’assurance relative aux biens est un contrat d’indemnité et que toute personne ayant intérêt à la conservation d’une chose peut la faire assurer.
La deuxième chambre civile considère donc que la compagnie d’assurance n’est pas légitime à invoquer la qualité de la possession du souscripteur-assuré sur le véhicule sinistré pour refuser son indemnisation. Il lui appartenait en tout état de cause d’exécuter son obligation indemnitaire dont elle était tenue envers son assuré.
En plus d’être justifiée textuellement, la solution retenue par la Cour de cassation est conforme à l’économie du contrat d’assurance, dès lors qu’en payant ses primes, le souscripteur-utilisateur de la chose assurée a contribué à l’opération d’assurance.
- Pour aller plus loin
Cette solution n’est toutefois pas inédite.
La première chambre civile a déjà pu considérer que l’assureur garantissant un véhicule contre le vol ne pouvait invoquer les caractères précaires et équivoques de sa possession par l’assuré pour refuser de l’indemniser. En effet et selon elle, « les qualités de la possession sur le véhicule litigieux étaient indifférentes, dès lors que [le possesseur de celui-ci], ayant intérêt à sa conservation, avait fait assurer à son propre bénéfice ce véhicule qui n’était revendiqué par quiconque à son encontre ».
L’arrêt commenté constitue ainsi une nouvelle occasion de rappeler que le droit français poursuit une conception économique du principe même de l’assurance. Ainsi, toute personne ayant un intérêt à la conservation d’un bien peut l’assurer. Si on tire le raisonnement jusqu’au bout, il n’est donc pas obligatoire d’être propriétaire ou de détenir des droits sur un bien pour en solliciter la couverture par une assurance.
En conséquence et en conclusion, il convient de retenir que l’assuré, même entré frauduleusement en possession d’un bien, est en droit d’exiger d’une part l’exécution du contrat d’assurance, et d’autre part la réception de l’indemnité d’assurance dudit bien. Cette indemnité ne saurait d’ailleurs être valablement réclamée par le propriétaire de la chose assurée, s’agissant d’un tiers au contrat d’assurance.