L’autorité de la chose jugée à l’épreuve du principe de réparation intégrale du préjudice corporel
2 janvier 2025
En matière d’indemnisation du préjudice corporel, les principes généraux du droit civil trouvent à s’appliquer aux transactions conclues ou aux jugements rendus.
Parmi ces principes généraux se trouve le principe de l’autorité de la chose jugée.
L’article 1355 du Code civil dispose que :
« L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui a fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité. »
L’article 2052 du code civil vient apporter une précision sur la portée d’une transaction :
« Les transactions ont, entre les parties, l’autorité de la chose jugée en dernier ressort.
Elles ne peuvent être attaquées pour cause d’erreur de droit, ni pour cause de lésion. »
Cela implique qu’une victime ayant signé une transaction venant réparer son préjudice, ne pourra plus remettre en cause ladite transaction. Sauf aggravation ouvrant droit à une nouvelle expertise puis, une nouvelle indemnisation sur la base de l’aggravation subie.
Aucune action en justice ne saurait être engagée si la victime devait estimer, après coup, n’avoir pas été indemnisée de manière juste.
Néanmoins, ce principe trouve une exception d’importance : la transaction conclue doit avoir respecté le principe de la réparation intégrale du préjudice corporel de la victime.
Des conditions sont cependant requises pour qu’une remise en cause de la transaction régularisée puisse intervenir : une transaction a l’autorité de chose jugée seulement pour les éléments expressément inclus dans son champ.
Cela implique à contrario, que la victime devra rapporter la preuve que la transaction initiale ne contenait pas tous les éléments visant à réparer l’entier préjudice.
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C’est ce qu’a récemment rappelé et affirmé la deuxième Chambre civile de la Cour de cassation, dans un arrêt du 7 novembre 2024 (Cass. 2e civ., 7 nov. 2024, n° 23-12.369, Publié au bulletin.)
« En se déterminant ainsi, en limitant l’indemnisation des pertes de gains professionnels à compter de l’aggravation de l’état de santé, par des motifs insuffisants à établir que ce poste de préjudice avait été inclus dans le champ de la transaction intervenue en 2007 réparant les préjudices initiaux, ce que la victime contestait, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. »
La Cour de cassation rappelle ici les deux principes fondamentaux de la réparation intégrale du préjudice, et de l’autorité de la chose jugée.
Ce second principe n’étant applicable que si tant est que le premier ait été scrupuleusement respecté.
En l’espèce, le 23 août 2003, M. [K], alors âgé de 17 ans, a été victime d’un accident de la circulation impliquant un véhicule automobile assuré par la société Caisse régionale d’assurances mutuelles agricoles Groupama Paris Val de Loire (l’assureur).
La consolidation de son état de santé était fixée au 13 avril 2007.
Mr K était indemnisé de plusieurs postes de préjudice par une transaction signée le 6 décembre 2007.
Invoquant une aggravation de son état de santé et de sa situation socio-professionnelle, survenue à partir de l’année 2012, Mr K assignait l’assureur, en présence de la caisse primaire d’assurance maladie, devant le tribunal de grande instance, en indemnisation des préjudices issus du dommage initial et du dommage aggravé.
Mr K sollicitait notamment une indemnisation sur les pertes de gains futures, qui n’avaient pas été intégralement indemnisées aux termes de la transaction conclue le décembre 2007.
La Cour d’appel rejetait les demandes de Mr K, lui opposant l’autorité de la chose jugée des transactions conclues entre les parties, et limitait son indemnisation à compter de l’aggravation subie.
Mr K a par conséquent formé pouvoir en cassation, estimant que l’autorité de la chose ne s’oppose pas à ce que la victime demande un complément d’indemnité pour le préjudice qui résulte d’une aggravation du dommage postérieurement à la transaction ou pour tout chef de préjudice préexistant non inclus dans le champ de cette transaction.
La Cour de cassation s’est prononcée en faveur de Mr K, rappelant qu’au regard de la réparation intégrale des préjudices subis, l’autorité de la chose jugée ne saurait être opposée à un préjudice non réparé.
Cela ouvre ainsi la voie à toute victime qui aurait accepté une indemnisation incomplète, faute d’avoir été conseillée, et souhaiterait obtenir réparation intégrale de son préjudice.
Arrêt d’importance, qui trouvera sans nul doute écho auprès de nombreuses victimes.