Le Conseil d’État supprime l’obligation de recourir au règlement amiable des litiges

Écrit le
1 octobre 2022

Conseil d’Etat, décision du 22 septembre 2022, N° 436939

Saisi notamment par le Conseil National des Barreaux et de la Conférence des Bâtonniers, le Conseil d’Etat s’est prononcé il y a quelques jours sur une demande d’annulation pour excès de pouvoir du décret n° 2019-1333 du 11 décembre 2019 réformant la procédure civile, décret portant modification de plusieurs dispositions du Code de procédure civile.

Ce dernier a maintenu une grande partie du contenu du décret, notamment en ce qui concerne les dispositions relatives à l’exécution provisoire de droit des décisions d’instance. Il a en revanche fait le choix – de manière plus inattendue – « d’annuler » l’article 750-1 du Code de procédure civile.

 

I. Les dispositions de l’article 750-1 du Code de procédure civile dans leur version issue du décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019

L’article 750-1 du Code de procédure civile, spécifique à la procédure devant le Tribunal judiciaire, était ainsi rédigé :

« à peine d’irrecevabilité que le juge peut prononcer d’office, la demande en justice doit être précédée, au choix des parties, d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, d’une tentative de médiation ou d’une tentative de procédure participative, lorsqu’elle tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du code de l’organisation judiciaire. »

Il ressort de cette disposition que pour un certain nombre de litiges (une bonne partie de ceux relevant de la compétence de la Chambre de proximité), les parties avaient depuis 2019 l’obligation de recourir à un mode de résolution amiable des différends, avant d’introduire judiciairement la procédure.

Quels étaient les modes de résolution amiable admis ?

Les parties disposaient du choix du mode de règlement de leur litige.

Aussi, étaient-elles libres d’opter pour :

  • La conciliation
  • La médiation
  • La procédure participative

L’article 750-1, al. 2 du CPC prévoyait plusieurs exceptions à l’exigence de recours à un mode de résolution amiable des différents préalablement à la saisine du juge.

Plus précisément les parties bénéficiaient d’une dispense dans l’un des cas suivants :

  1. Si l’une des parties au moins sollicitait l’homologation d’un accord ;
  2. Lorsque l’exercice d’un recours préalable était obligatoire (essentiellement contentieux fiscaux, avec les organismes sociaux) ;
  3. Si l’absence de recours à l’un des modes de résolution amiable était justifiée par un motif légitime, celui-ci pouvant être caractérisé par « l’urgence manifeste », des « circonstances de l’espèce rendant impossible une telle tentative ou nécessitant qu’une décision soit rendue non contradictoirement » ou enfin par l’indisponibilité de conciliateurs de justice entraînant l’organisation de la première réunion de conciliation dans un délai manifestement excessif au regard de la nature et des enjeux du litige
  4. Lorsque le juge ou l’autorité administrative doit, en application d’une disposition particulière, procéder à une tentative préalable de conciliation ;

L’absence de mise en œuvre de l’un de ces modes alternatifs de règlement des litiges ou de défaut d’exonération était sanctionnée par l’irrecevabilité de la demande formulée devant le Tribunal judiciaire.

Les parties étaient donc invitées à se tourner vers l’une de ces procédures, et en cas d’échec à revenir devant le Tribunal judiciaire.

 

II. Une imprécision préjudiciable justifiant une annulation du texte en vigueur

Les principaux éléments justifiant l’annulation de cette disposition selon les différents organismes ayant saisi le Conseil d’Etat étaient les suivants :

  • le manque de clarté et d’intelligibilité de la norme,
  • -la différence de traitement entre les justiciables (ceux agissant pour moins ou plus de 5.000 €)
  • l’atteinte à la liberté contractuelle que contiendrait le texte (impossibilité dans le cadre d’un contrat de droit privé de déroger à cette règle).

Pour justifier sa décision, le Conseil d’Etat n’a pourtant retenu aucun de ces différents moyens.

Il s’est en revanche appuyé sur l’absence de précisions quant aux modalités et délais pouvant être invoqués par une partie, afin d’être déchargée de cette obligation préalable.

S’agissant d’une condition de recevabilité d’un recours juridictionnel, le Conseil d’Etat précise en effet que l’indétermination de certains critères est une atteinte au droit d’exercer un recours effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen.

Petite remise en contexte : le texte litigieux permettait en effet d’être dispensé de cette obligation de tentative préalable de résolution amiable du litige, en cas notamment de « motif légitime », comme rappelé plus haut.

Aux termes d’une décision rendue le 21 mars 2019, le Conseil constitutionnel avait déclaré ce texte conforme à la Constitution, mais avait d’ores et déjà émis des réserves sur les notions de « motif légitime » et de « délais raisonnable ». Selon lui, celles-ci relèvent en effet de l’appréciation souveraine des juges du fond, alors même qu’elles déterminent dans le texte la recevabilité ou non d’un recours.

Le Conseil d’État, après avoir constaté que le décret n’intégrait pas les réserves émises par le Conseil constitutionnel et laissait persister l’indétermination de certains critères de recevabilité, en a justement déduit que cette situation était de nature à porter atteinte au droit du justiciable d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

Aussi, le Conseil d’État a considéré que les termes de la dérogation prévus à l’article 750-1 du Code de procédure civile n’étaient pas suffisamment précis, dès lors qu’ils ne précisaient ni les modalités ni les délais permettant de caractériser une « indisponibilité » du conciliateur, qui pour rappel constitue l’une des hypothèses validées pour le « motif légitime ».

En pratique, est donc supprimée l’obligation prescrite à peine d’irrecevabilité d’avoir recours au règlement amiable des litiges lorsque la demande tend au paiement d’une somme n’excédant pas 5 000 euros ou lorsqu’elle est relative à l’une des actions mentionnées aux articles R. 211-3-4 et R. 211-3-8 du Code de l’organisation judiciaire ou à un trouble anormal de voisinage.

Les décisions rendues avant l’annulation du texte seront toutefois considérées comme définitives, précise dans son arrêt le Conseil d’Etat.

L’annulation de la disposition prendra donc effet à compter du 22 septembre 2022 pour toute action intentée à compter de cette date.

Il n’existe donc plus, à l’heure actuelle, d’obligation légale de tentative de préalable de résolution amiable du litige.

Cette disposition qui avait vocation à désengorger les juridictions devrait, à n’en pas douter, être très rapidement réécrite par le législateur, dans une version qui devrait lui permettre de ne pas être à nouveau retoquée.

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