Le droit de rétention est un outil redoutable… sous réserve toutefois qu’il ne dégénère pas en abus de droit !

Dans une décision récente du 26 juin 2024 (Cass.com, 26 juillet 2024, n° 22-24.487), la chambre commerciale de la Cour de cassation énonce que le principe selon lequel nul ne peut se constituer de titre à soi-même n’est pas applicable à la preuve d’un fait juridique tel que la livraison d’une vente mobilière.
De ce fait, la preuve de la livraison, en matière de vente mobilière, peut se faire par tout moyen et relève de l’appréciation souveraine des juges du fond.
Une question particulièrement intéressante en matière de relations d’affaires établies entre une société et un fournisseur qui ont des rapports constants et historiques.

Arme redoutable, le droit de rétention est un outil particulièrement efficace à disposition du créancier lésé.

L’objectif ? Exercer une pression pour que le débiteur s’acquitte de ses obligations.

Lorsque les conditions de titularité du droit de rétention sont remplies, le créancier peut refuser de retourner les biens du débiteur défaillant qui sont en sa possession jusqu’au désintéressement de sa créance.

Attention toutefois à ne pas commettre d’abus !

Cette possibilité pour un créancier de retenir la chose en attendant le paiement de factures en souffrance est admise de longue date par les juges. Le droit de rétention du créancier a ensuite été codifié pour des cas spécifiques d’abord, puis généralisé par une réforme de 2006.

Ainsi, le code civil consacre aujourd’hui un droit de rétention légal général.

L’article 2286 du code civil dispose :
« Peut se prévaloir d’un droit de rétention sur la chose :
1° Celui à qui la chose a été remise jusqu’au paiement de sa créance ;
2° Celui dont la créance impayée résulte du contrat qui l’oblige à la livrer ;
3° Celui dont la créance impayée est née à l’occasion de la détention de la chose ;
4° Celui qui bénéficie d’un gage sans dépossession.
Le droit de rétention se perd par le dessaisissement volontaire. »

Bien que général, certains secteurs économiques sont particulièrement propices à l’exercice du droit de rétention. C’est le cas, entre autres, des secteurs du transport et de la logistique pour lesquels il a été consacré, dès 1998, un droit de rétention légal à l’article L.133-7 du code de commerce.

La mainmise du créancier sur les biens de son cocontractant peut emporter de lourdes conséquences, allant jusqu’à la paralysie de l’activité du débiteur. C’est la raison pour laquelle l’exercice du droit de rétention est strictement encadré par la loi et contrôlé par les juges.

QUELLES SONT LES CONDITIONS D’EXERCICE DU DROIT DE RETENTION LEGAL ?
Pour qu’un créancier puisse exercer son droit de rétention, trois conditions cumulatives doivent être réunies :

Le rétenteur doit être titulaire d’une créance certaine, liquide et exigible,

  • Certaine : La créance doit être actuelle, incontestable et incontestée par le débiteur.
  • Liquide : Le montant de la créance doit être déterminé en argent. A défaut, il faut que le titre ou la facture dont se prévaut le créancier contienne l’ensemble des éléments qui permettront l’évaluation du montant de la créance.
  • Exigible : La créance devient exigible lorsque son terme est échu, que les éventuels délais de paiements sont écoulés. Le créancier est alors en droit d’en exiger le règlement immédiat.

Le créancier doit détenir de bonne foi la chose qu’il entend retenir, et C’est une condition originelle et essentielle du droit de rétention.
Hormis le cas dérogatoire du gage sans dépossession, le créancier qui se dessaisit volontairement de la chose perd ainsi son droit de rétention.

Il doit exister un lien de connexité entre la chose retenue et la créance qui justifie l’exercice de ce droit.
Aucune autorisation ni examen a priori n’est nécessaire à l’exercice du droit de rétention. La seule réunion des trois conditions énoncées ci-avant suffit à mettre en œuvre la rétention. En conséquence, elle produit d’emblée ses pleins effets.
C’est ce qui fait sa force.
D’autant plus que ce droit est désormais bien connu des professionnels qui savent quand et sous quelles conditions s’en prévaloir.
Mais attention aux abus !

LE CONTROLE A POSTERIORI DE L’EXERCICE DU DROIT DE RETENTION LEGAL
A partir du moment où une seule des conditions cumulatives n’est pas remplie, le droit de rétention devient illégitime.

Le juge est chargé de contrôle cette légitimité et, le cas échéant, d’évaluer le préjudice causé au client par la rétention illégitime.

Le rétenteur illégitime ne peut bloquer la marchandise sans en supporter les conséquences.

Le privilège du rétenteur n’échappe pas aux règles de droit commun. Le créancier coupable d’une rétention abusive car illégitime commet une faute génératrice de responsabilité civile.
Ainsi, le débiteur lésé est fondé à demander au juge :

  • La cessation de la rétention illégitime, et/ou
    C’est la priorité du débiteur : la restitution des biens retenus injustement. Surtout lorsque la retenue bloque, en tout ou partie, son activité économique.
  • L’octroi de dommages-intérêts en réparation du préjudice
    En droit français, le principe est celui de la réparation intégrale du préjudice.
    Or, dans bien des cas, la seule restitution des biens retenus ne suffit pas à réparer l’entièreté du préjudice. La rétention illicite a pour effet d’immobiliser les biens et d’empêcher leur propriétaire d’en disposer : impossible donc de vendre, louer ou utiliser ces biens pour les besoins de son activité commerciale.
    Un mauvais entreposage des biens retenus peut également conduire à une détérioration de ceux-ci.
    Dès lors qu’un droit de rétention est exercé par un créancier, c’est l’activité économique du débiteur qui est limitée puisqu’il ne peut plus, au moins en partie, honorer ses contrats en cours ou en conclure de nouveaux sauf à exposer des frais supplémentaires.
    Autant de difficultés qui constituent des préjudices et doivent être compensées par l’octroi de dommages-intérêts quand elles résultent d’un abus.

Toutefois, le temps de la justice peut paraitre long pour un acteur économique lorsque l’on a besoin de disposer des biens retenus.
La solution peut se trouver dans la voie du référé, sous réserve qu’ils prouvent que la rétention est manifestement illégitime.

LA PROCEDURE DE REFERE COMME PROTECTION DU DEBITEUR
La Cour de cassation est formelle : l’exercice illégitime du droit de rétention constitue un trouble manifestement illicite au sens des articles 835 et 873 du code de procédure civile2 et ouvre donc la voie du juge des référés.
Constitue un trouble manifestement illicite « toute perturbation résultant d’un fait matériel ou juridique qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ».
La procédure en référé est une procédure accélérée et simplifiée. Souvent justifiée par un caractère d’urgence ou d’évidence, elle doit permettre au justiciable d’obtenir une décision de justice dans des délais plus courts.
Le président du tribunal judiciaire, le président du tribunal de commerce peuvent ainsi « dans les limites de [leur] compétence peuvent toujours, même en présence d’une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.
Dans les cas où l’existence de l’obligation n’est pas sérieusement contestable, ils peuvent accorder une provision au créancier, ou ordonner l’exécution de l’obligation même s’il s’agit d’une obligation de faire. »

Concrètement, la gravité de l’atteinte causée par l’exercice du droit de rétention illégitime est telle qu’elle justifie le recours à une procédure accélérée pour y mettre fin.

Pour cela, au moins une des conditions du droit de rétention doit faire manifestement défaut.

Si les professionnels sont aujourd’hui bien informés sur les conditions d’exercice de leur droit de rétention et les abus rarement évidents, le débiteur n’est pas pour autant démuni devant le juge des référés. Il peut faire valoir, le cas échéant, l’absence de lien de connexité entre la créance et les biens retenus, l’expiration du délai de prescription qui rend la créance inexigible, ses contestations quant à l’assiette de la créance, ou encore l’absence de mise en demeure préalable à l’exercice de la rétention.

Autant d’éléments qui pourront justifier une levée de la rétention par le juge.

Ainsi, dans un arrêt du 16 septembre 20214, la cour d’appel de Versailles a considéré que l’entreprise qui retenait les effets personnels confiés par un particulier à une entreprise de déménagement sans pouvoir justifier d’aucune créance vis-à-vis de cette personne, ni démontrer la créance dont elle croyait pouvoir se prévaloir à l’encontre de la société de déménagement mandaté n’était pas titulaire d’une créance certaine. Il n’était pas non plus démontré que la créance alléguée avait pris naissance à l’occasion de l’entreposage des biens dont elle refusait la restitution. L’exercice du droit de rétention qui n’était assis sur aucune créance certaine et ne remplissait pas la condition de connexité caractérisait un trouble manifestement illicite qu’il convenait de faire.

En revanche, l’octroi de dommages-intérêts nécessite une évaluation approfondie de la situation. Et même si le juge peut théoriquement accorder une provision au titre du préjudice subi, c’est en pratique au juge du fond qu’il revient de constater l’existence du préjudice et d’évaluer le montant des dommages-intérêts du débiteur.

Le droit de rétention est un outil particulièrement efficace conçu pour bénéficier au créancier dont le débiteur est défaillant.
Mais il n’est pas sans limite et le créancier ne doit pas en abuser, au risque de s’exposer à des poursuites judiciaires du débiteur qui pourra agir aussi bien au fond qu’en référé pour obtenir la levée de la rétention et la compensation du préjudice subi.

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