Licenciement pour inaptitude : articulation de la contestation et du manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur

(Cass. Soc. 24 avril 2024, n°22-19401 FS-B)

 

1/ Lorsqu’un salarié conteste son licenciement pour inaptitude, il peut invoquer à l’appui de sa demande un manquement de son employeur à son obligation de sécurité.

Pour rappel, en cas d’inaptitude constatée par la médecine du travail, les articles L. 1226-2-1 et L. 1226-12 du Code du travail prévoient que l’employeur peut procéder au licenciement :

  • S’il se trouve dans l’impossibilité de reclasser le salarié, après avoir tenté de trouver un poste de reclassement conforme aux préconisations du médecin du travail ;
  • Ou si l’avis d’inaptitude du médecin du travail mentionne expressément que tout maintien du salarié dans un emploi serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans un emploi.

Lorsque le salarié parvient à démontrer, d’une part, la survenance d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, et d’autre part, que le licenciement pour inaptitude en résulte, alors, ce dernier est jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse. (Cass. soc. 26 septembre 2012, n° 11-14742, BC V n° 236 ; Cass. soc. 3 mai 2018, n° 16-26850 et 17-10306, BC V n° 72).

 

2/ Cependant, les délais de prescription attachés aux actions portant sur la rupture et l’exécution du contrat de travail sont différents : (L. 1471-1 du Code du travail)

  • Toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture.
  • Toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.

 

3/ Comment s’articulent donc ces délais de prescription lorsqu’un salarié saisit un Conseil de prud’hommes de demandes relatives à la contestation de son licenciement pour inaptitude dans le délai de 12 mois qui lui est imparti, en se prévalant d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité et, ce faisant, de faits remontant à plus de 2 ans ?

C’est à cette question qu’a répondu la Cour de cassation le 24 avril 2024.

 

4/ Dans cette affaire, la requérante avait :

  • Été placée en arrêt de travail à compter du 20 février 2013,
  • Été déclarée inapte le 5 octobre 2015,
  • Fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude le 23 décembre 2015,
  • Saisi la juridiction prud’homale le 18 mai 2016, notamment d’une demande de 50.000 € au titre de l’absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.

La Cour d’appel avait estimé que la requérante avait nécessairement connaissance des manquements à l’obligation de sécurité de son employeur à la date de son premier arrêt de travail, le 20 février 2013, et que, ses demandes à ce titre étaient donc prescrites depuis le 20 février 2015, c’est-à-dire 2 ans plus tard.

La Cour en tirait comme conséquence que la requérante ne pouvait se prévaloir de ce manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur, lequel était prescrit, pour contester son licenciement pour inaptitude et jugeait donc prescrites toutes ses demandes.

 

À noter qu’à cette époque, le Code du travail fixait un délai de prescription unique de 2 ans pour toute action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail (Article L. 1471-1 du Code du travail dans sa version issue de la loi 2013-504 du 14 juin 2013).

 

5/ Dans son pourvoi, la salariée soutenait que le délai de prescription de l’action en contestation d’un licenciement courait nécessairement à compter de la notification de celui-ci, contrairement à ce qu’avait jugé la Cour d’appel.

Le juge de cassation lui donne raison et censure la décision des juges du fond.

Dans son arrêt, il rappelle ainsi que le délai de prescription pour contester un licenciement pour inaptitude commence à la date de notification de ce licenciement.

Il s’ensuit que si un salarié conteste son licenciement pour inaptitude dans le délai imparti, il est recevable à invoquer le fait que l’inaptitude est la conséquence d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, quand bien même ces manquements seraient anciens.

 

6/ En revanche, la demande de dommages et intérêts au titre de la violation par l’employeur de son obligation de sécurité a bien été considérée comme prescrite.

La salariée soutenait que le point de départ du délai de prescription était la date à laquelle elle avait eu connaissance des incidences sur sa santé des agissements de l’employeur et que ce point de départ ne pouvait pas être antérieur à la date de la déclaration d’inaptitude (réalisée en octobre 2015).

Son action en justice ayant été introduite en mai 2016, le délai de prescription n’était, selon elle, pas échu.

Sur ce point, la Cour de cassation rejette la demande de la salariée et approuve la décision des juges du fond d’avoir retenu l’extinction du délai de prescription.

La Haute Cour estime ainsi que les juges avaient, dans l’exercice de leur pouvoir souverain d’appréciation, valablement considéré que la salariée avait eu connaissance des manquements à l’obligation de sécurité de l’employeur à la date de son arrêt de travail le 20 février 2013.

Ainsi, les manquements de l’employeur à son obligation de sécurité étaient prescrits depuis le 20 février 2015.

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