Ne jamais informer un salarié par téléphone de son licenciement le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement

Par un arrêt du 3 avril 2024 (Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 3 avril 2024, 23-10.931), la Cour de cassation donne une nouvelle illustration de la notion de « licenciement verbal ».

 

1/ La notification par écrit du licenciement : une formalité substantielle

S’il résulte de l’article L. 1232-6 du Code du travail que « lorsque l’employeur décide de licencier un salarié, il lui notifie sa décision par lettre recommandée avec avis de réception », la Cour de cassation a néanmoins confirmé à plusieurs reprises que « l’envoi de la lettre recommandée avec avis de réception visée à l’article L. 1232-6 du code du travail n’est qu’un moyen légal de prévenir toute contestation sur la date de notification du licenciement »  (Cass. soc., 16 juin 2009, n° 08-40.722 ; Cass. soc., 31 mai 2017,
n° 16-12.531).

De fait, l’employeur peut parfaitement recourir à un autre mode de transmission de la lettre de licenciement, sans que cela ne constitue, en soi, une irrégularité de procédure qui aurait pour conséquence de rendre le licenciement sans cause réelle ni sérieuse.

La Cour de cassation a ainsi validé la remise de la lettre de licenciement :

  • Par exploit d’huissier (Cass. soc. 20 février 1986 n° 82-43.825)
  • En main propre contre récépissé signé (Cass. soc. 15 déc. 1999 n° 97-44.431 ; Cass. soc., 16 juin 2009, n° 08-40.722)
  • En main propre sans décharge, la preuve de la notification pouvant être rapportée par tous moyens, notamment par un témoignage (Cass. soc. 29 sept. 2014 n° 12-26.932)

Il est cependant préférable en pratique d’opter pour un moyen permettant d’établir que le licenciement a bien été notifié par écrit, et la date à laquelle il est intervenu, puisque la date de la rupture se situe à la date où l’employeur a manifesté sa volonté d’y mettre fin (en principe, au jour de l’envoi du courrier recommandé avec accusé de réception). En outre, notez que seuls un recommandé ou un exploit d’huissier permettent de transiger en sécurité.

 

2/ Le licenciement verbal : un procédé à proscrire

Une notification verbale du licenciement n’est en revanche pas autorisée (Cass. soc. 30 jan. 2007 n° 05-41749), puisqu’elle ne permet pas de remplir la condition tenant à l’énonciation des motifs imposée par l’article L. 1232-6 alinéa 2 du Code du travail.

Dès lors, la Cour de cassation juge le licenciement notifié verbalement comme dénué de cause réelle et sérieuse.

Ainsi en est-il :

  • De l’employeur qui a licencié verbalement la salariée avant de la convoquer à l’entretien préalable (Cass. soc. 29 oct. 1996 n° 93-44.245 ; Cass. soc. 17 fév. 2004 n° 01-45.659)
  • De l’employeur qui a fait part à un salarié à la fin de l’entretien préalable de sa décision définitive de le licencier, cette irrégularité ne pouvant être réparée par l’envoi d’une lettre de licenciement à l’issue du délai légal (Cass. soc. 15 nov. 1990 n° 88-42.261 ; Cass. soc. 22 juin 1993 n° 90-46.039)
  • De l’employeur qui, lors du premier entretien préalable, invite le salarié à reprendre ses affaires personnelles et à lui restituer les clés (Cass. soc. 12 déc. 2001 n° 99-41219).

Précisons à cet égard que lorsque le licenciement est intervenu verbalement, l’employeur ne peut nullement régulariser la procédure ultérieurement par l’envoi a posteriori de la lettre (Cass. soc. 9 mars 2011, n° 09-65441).

 

3/ Qu’en est-il de l’appel passé par un DRH pour informer le salarié de son licenciement le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement ? 

Dans son arrêt du 3 avril 2024, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence sur le sujet.

En l’espèce, l’employeur avait notifié son licenciement au salarié par lettre recommandée postée le 7 février 2019 comme le montrait l’accusé de réception versé aux débats, ce dernier affirmant de son côté avoir été licencié verbalement ce même 7 février dès lors que la directrice des ressources humaines l’avait appelé au téléphone en lui faisant part de la rupture avant même l’envoi de la lettre en ce sens.

La Cour d’appel de Reims avait jugé le licenciement sans cause réelle ni sérieuse en relevant que :

  • Le salarié rapportait la preuve qu’il avait été informé verbalement de son licenciement, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec la DRH de l’entreprise ;
  • Tandis que l’employeur faisait valoir
    « qu’il était convenable pour la société de prévenir l’intéressé de son licenciement par téléphone le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement, afin de lui éviter de se présenter à une réunion et de se voir congédier devant ses collègues de travail ».

La Cour de cassation valide l’appréciation des juges du fond ayant constaté que cet appel téléphonique ne pouvait suppléer la lettre de licenciement adressée ultérieurement, même si elle avait été adressée le même jour, sous la signature de l’auteur de l’appel téléphonique.

La décision aurait sans doute – espérons-le – été différente, et le licenciement jugé fondé, si l’employeur avait été en mesure de démontrer que la lettre de licenciement avait été postée avant l’appel téléphonique du même jour, la date de rupture se situant au jour où l’employeur a manifesté sa volonté de mettre fin au contrat de travail.

En pratique toutefois, cette preuve aurait semble-t-il été difficile à rapporter, sauf à pouvoir obtenir une attestation d’un employé de La Poste, en complément d’une capture d’écran du journal d’appel de la DRH, si tant est que l’appel ait été émis via un téléphone permettant de retracer l’historique des appels…

Morale de l’histoire : mieux vaut s’abstenir de toute communication verbale avec le salarié le jour de l’envoi de la lettre de licenciement, afin d’éviter tout risque de divulgation et de facto, tout risque de voir celui-ci jugé sans cause réelle ni sérieuse.

À noter toutefois que si l’information orale du licenciement est prohibée avant l’envoi de la lettre, elle ne l’est pas si elle intervient après mais avant la réception de celle-ci par le salarié.

Il a en effet été jugé qu’il n’y a pas de licenciement verbal lorsque l’employeur a envoyé la lettre avant de l’annoncer oralement au salarié. Dans ce cas, le licenciement est considéré comme notifié par écrit, même si le salarié reçoit la lettre après cette annonce (Cass. soc. 6 mai 2009, n° 08-40395). Dans cette affaire, la LRAR avait été expédiée le 28 octobre. Le salarié, qui ne l’avait pas encore reçue, s’était présenté à son travail le
30 octobre et avait rencontré un responsable qui lui avait dit de rentrer chez lui. Cela a suffi à purger la situation de tout vice.

 

Reste un sujet d’importance dans notre affaire, et il n’a pas dû vous échapper. L’employeur se défendait ainsi en appel :

« qu’à supposer que la cour d’appel ait considéré que l’employeur avait prévenu le salarié par téléphone de son licenciement avant d’expédier la lettre de licenciement, elle n’a à aucun moment précisé sur quelle pièce elle se fondait pour retenir cette chronologie, alors même que le salarié, sur qui pesait la charge de la preuve, ne versait aux débats aucun élément de nature à établir que, le
7 février 2019, l’employeur l’avait appelé pour lui annoncer la rupture avant de poster la lettre de licenciement
»

En effet, l’on part du principe qu’il n’est pas possible d’informer téléphoniquement un salarié de la rupture de son contrat le jour même de l’envoi de la lettre y afférente. Mais en pratique… comment prouver le contenu de l’appel ?

La Cour de cassation y répondait aisément ici, et nous l’évoquons plus haut :

« La cour d’appel a d’abord relevé que le salarié rapportait la preuve qu’il avait été informé verbalement de son licenciement, à l’occasion d’une conversation téléphonique avec la directrice des ressources humaines de l’entreprise, tandis que l’employeur faisait valoir qu’il était convenable pour la société de prévenir l’intéressé de son licenciement par téléphone le jour même de l’envoi de la lettre de licenciement, aux fins de lui éviter de se présenter à une réunion et de se voir congédier devant ses collègues de travail. »

Tout est dit.

En d’autres termes, l’employeur commettait une double faute en faisant aveu d’avoir apporté cette information.

À défaut, il paraitrait pour le moins particulier qu’une juridiction puisse considérer qu’un contact téléphonique suffirait à juger qu’il concernait automatiquement le licenciement. Ce serait là une interprétation hasardeuse et pour le moins subjective.

En cette période de Roland Garros qui débute, nous osons conclure : jeu set et match.

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