Nullité de la clause de non-concurrence
26 juillet 2024
Intérêts légitimes de l’entreprise, restriction du champ d’application et contrepartie financière
(Cass. Soc. 22 mai 2024, n°22-17.036)
Par un arrêt du 22 mai 2024, publié au Bulletin, la chambre sociale de la Cour de cassation est venue apporter son lot de précisions sur les conséquences, tant pour l’employeur que pour le salarié, de la nullité d’une clause de non-concurrence.
Etant rappelé, pour mémoire et à titre liminaire, que, selon une jurisprudence constante, une clause de non-concurrence – parce qu’elle constitue une entrave à liberté de travailler/d’entreprendre du salarié – doit être limitée dans sa durée et dans l’espace ; outre le fait qu’elle doit prévoir le versement d’une contrepartie financière au bénéfice du salarié concerné, et être justifiée par la protection des intérêts légitimes de l’entreprise (Cass. Soc. 10 juillet 2002, n°00-45.135).
Dès lors que ladite clause ne remplit pas l’une ou plusieurs de ces conditions, le juge peut alors la déclarer illicite et l’annuler.
En l’espèce, un salarié avait été engagé en qualité d’« attaché technico-commercial sédentaire comptoir », par une entreprise offrant des services d’aéraulique du bâtiment, dans le cadre d’un contrat de travail qui comportait une clause de non-concurrence d’une durée d’un an, sur l’ensemble du territoire français, concernant « le négoce, la distribution ou la vente de tous produits se rapportant à la distribution, la diffusion, la filtration, la ventilation, l’isolation de tous conduits d’air, la protection incendie, au traitement de l’air et en général à tous les matériels se rapportant à l’aéraulique dans le bâtiment. »
A la suite de la démission du salarié, l’employeur avait saisi la juridiction prud’homale afin de faire constater la violation par le salarié de l’obligation de non-concurrence ainsi prévue, et de voir ce dernier condamné à lui restituer la contrepartie financière versée à ce titre.
La Cour d’appel de Paris, par un arrêt du 23 mars 2002, avait estimé que :
– La clause de non-concurrence était nulle – en ce que son champ géographique était excessif et injustifié, au regard notamment des fonctions effectivement exercées par le salarié au cours de sa collaboration ;
– Il n’y avait pas lieu de faire droit à la demande de remboursement formée par l’employeur, dans la mesure où ce dernier ne pouvait pas obtenir une quelconque restitution des sommes versées puisque, bien que le salarié eût violé la clause, celle-ci était jugée nulle.
L’employeur a alors formé un pourvoi en cassation, faisant grief à l’arrêt de :
– Juger nulle la clause de non-concurrence, sans avoir (i) apprécié concrètement la restriction à la liberté du travail du salarié apportée par ladite clause et (ii) cherché à préserver ladite clause en limitant son champ d’application géographique au périmètre correspondant aux intérêts légitimes de l’entreprise ;
– L’avoir débouté de sa demande de remboursement de l’indemnité de non-concurrence versée pour la période où ce dernier n’avait pas respecté l’obligation prévue par la clause annulée.
C’est sur cette troisième branche du moyen soulevé que, par son arrêt du 22 mai 2024, la Cour de cassation a cassé et annulé l’arrêt d’appel, estimant que les juges du fond auraient dû rechercher si le salarié avait violé, ou non, la clause de non-concurrence à laquelle il était soumis durant la période au cours de laquelle elle avait été effectivement appliquée, et ce bien que la nullité soit prononcée.
- Restriction excessive compte tenu des fonctions effectivement exercées par le salarié
Le seul champ géographique d’application de la clause de non-concurrence ne rend pas, en soi, impossible l’exercice par le salarié d’une activité professionnelle/entrepreneuriale ; de sorte qu’une telle clause comportant, par exemple, une interdiction de concurrence sur l’ensemble du territoire français n’est pas nécessairement nulle (Cass. Soc. 15 décembre 2009, n°08-44.847).
C’est uniquement associé à d’autres éléments, et plus particulièrement la portée de la clause et la spécificité de l’activité exercée, que le champ d’application géographique peut alors caractériser une entrave excessive/injustifiée à la liberté du travail (Cass. Soc. 23 octobre 2001, n°99-44.219).
Et pour prononcer la nullité de la clause de non-concurrence, il appartient alors aux juges du fond, au regard des éléments versés aux débats, d’établir en quoi le salarié se trouve empêché d’exercer une activité conforme à sa formation, ses connaissances et son expérience professionnelle (Cass. Soc. 15 décembre 2021, n°20-18.144).
Ici, l’employeur reprochait à la Cour d’appel d’avoir limité le contrôle de proportionnalité de la clause de non-concurrence à une appréciation in abstracto du seul champ géographique de l’interdiction de concurrence, sans pour autant caractériser qu’en raison de l’étendue géographique qui englobait l’ensemble de la France, le salarié se trouvait concrètement dans l’impossibilité d’exercer une activité conforme à sa formation, à ses connaissances et à son expérience professionnelle.
Il n’a cependant pas été entendu par la Cour de cassation, laquelle a approuvé la Cour d’appel d’avoir annulé la clause de non-concurrence litigieuse :
– Après avoir relevé que « le caractère concurrentiel et mouvant de l’activité de l’entreprise », tel qu’invoqué par l’employeur, ne justifiait pas la restriction à la liberté du travail du salarié ainsi prévue, laquelle était excessive au regard de sa qualification de « technico-commercial » et de la zone géographique (i.e. région parisienne) sur laquelle il travaillait ;
– Et ainsi fait ressortir que cette clause, compte tenu des fonctions effectivement exercées, n’était pas indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise.
- Pas de réduction du champ d’application de la clause de non-concurrence sans demande du salarié en ce sens
A l’occasion de cet arrêt du 22 mai 2024, la Cour de cassation a également précisé les contours de sa jurisprudence s’agissant de la possibilité offerte au juge de réduire le champ d’application de la clause de non-concurrence.
En effet, et en principe, le juge peut, lorsqu’une clause de non-concurrence – même indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise – ne permet pas au salarié d’exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle, en restreindre l’application en limitant son effet dans le temps, dans l’espace ou dans ses autres modalités (Cass. Soc. 18 septembre 2002, n°00-42.904).
Et c’est ce que soutenait justement, en l’espèce, l’employeur, dans ces termes : « si une clause de non-concurrence encourt la nullité quand l’une des conditions de validité fait défaut, le juge a le pouvoir de simplement réduire l’étendue de l’interdiction posée par une clause satisfaisant l’ensemble desdites conditions mais jugée excessive ; la clause peut alors recevoir application dans ses nouvelles limites, dans la mesure où elle est proportionnée à l’intérêt légitime de l’entreprise ».
Cela étant, c’était sans compter le fait que la Haute Juridiction avait précédemment été amenée à considérer, au sujet d’une clause de non-concurrence incompatible avec les stipulations d’une convention collective, que le juge ne pouvait alors procéder à une telle réduction, et ce dès lors que seule la nullité était invoquée par le salarié (Cass. Soc. 12 octobre 2011, n°09-43.155).
Aussi, la chambre sociale a rejeté le moyen ainsi soulevé par l’employeur, pour confirmer sa solution visée supra, au-delà du contexte d’une clause incompatible avec des exigences conventionnelles : si le salarié ne sollicite pas du juge qu’il réduise le champ d’application de la clause de non-concurrence, et s’en tient à en demander l’annulation pure et simple, alors le dernier ne peut y procéder d’office, pas plus que l’employeur ne peut former une demande en ce sens.
- Sort de la contrepartie financière
Enfin, et surtout, par cet arrêt du 22 mai 2024, la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur les conséquences de la violation de la clause de non-concurrence par le salarié, et ce alors même que ladite clause serait jugée nulle par le juge.
En principe :
Lorsqu’une clause de non-concurrence est annulée, le salarié qui a respecté cette clause illicite peut prétendre au paiement d’une indemnité en réparation du fait que l’employeur, en lui imposant une obligation nulle, a porté atteinte à sa liberté d’exercer une activité professionnelle, et ce sur le fondement de l’article L.1121-1 du Code du travail (« Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché ») (Cass. Soc. 17 novembre 2010, n°09-42.389).
Il en résulte que l’employeur n’est pas admis à solliciter la restitution des sommes versées au titre de la contrepartie financière à l’obligation de non-concurrence qui se trouve avoir été effectivement respectée par le salarié, faute pour l’annulation de la clause d’avoir un effet rétroactif.
Le salarié qui viole la clause de non-concurrence à laquelle il est soumis conserve le droit au paiement de la contrepartie financière afférente à la période antérieure pendant laquelle il a respecté son obligation (Cass. Soc. 18 février 2003, n°01-40.194).
Et il ne peut plus ensuite prétendre à ladite contrepartie, même s’il respecte à nouveau son obligation de non-concurrence (Cass. Soc. 24 janvier 2024, n°22-20.926).
Ici, Haute Juridiction est venue faire application de sa jurisprudence au cas de la violation par un salarié d’une clause de non-concurrence jugée nulle, en posant le principe suivant : dès lors que l’employeur est en mesure de prouver que le salarié a violé la clause de non-concurrence pendant la période au cours de laquelle elle s’est effectivement appliquée, il est bel et bien fondé à solliciter le remboursement de la contrepartie financière qui s’est ainsi trouvée indûment versée, et ce à compter de la date à laquelle la violation est établie.
De sorte que, pour débouter l’employeur de sa demande de remboursement pour violation de la clause de non-concurrence, la Cour d’appel ne pouvait se contenter de retenir que ladite clause était nulle, sans rechercher si le salarié l’avait effectivement violée ou non.
Une décision de bon sens.