Nullité du licenciement : réintégration possible du salarié qui abandonne sa demande de résiliation judiciaire
30 juin 2023
Cass. soc. 11 mai 2023, n° 21-23148 et 22-10082
Par une décision qui suscite réflexion quant à sa cohérence, la Haute Cour est venue préciser, le 11 mai 2023, qu’un salarié qui demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement, ce, au cours d’une même instance, peut s’il renonce à sa demande de résiliation judiciaire obtenir sa réintégration.
La parfaite compréhension de cette décision nécessite de se remémorer les contours de la résiliation judiciaire, mode de rupture du contrat de travail à l’initiative du salarié.
En effet, pour mémoire, le salarié qui reproche à son employeur des manquements graves concernant l’application de son contrat de travail peut demander au Conseil de prud’hommes de résilier son contrat. A la différence de la prise d’acte où le salarié cesse de travailler, dans le cadre de la résiliation judiciaire, ce dernier continue de travailler jusqu’ à ce que la juridiction rende son jugement. Durant cette période, l’employeur conserve également le droit de rompre le contrat de travail.
Ainsi :
- si le juge prononce la résiliation judiciaire du contrat, la rupture sera considérée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse (ou nul si le salarié était représentant du personnel par exemple). Elle prendra effet à la date du jugement, ou à la date à laquelle l’éventuel licenciement du salarié sera intervenu ;
- si le juge ne prononce pas la résiliation judiciaire, le salarié continuera à exercer ses fonctions dans les conditions habituelles. Toutefois, si le salarié a été licencié au cours de la procédure le juge devra absolument se prononcer sur la validité du licenciement, et le cas échéant, sur sa nullité.
Concernant précisément l’éventuelle nullité de la rupture de la relation de travail, nous le savons, quand un licenciement est jugé comme tel, le salarié, s’il en fait la demande, a droit à sa réintégration et au paiement d’une indemnité d’éviction correspondant aux mois de salaires perdus entre son licenciement et sa réintégration dans l’entreprise (sous déduction, sauf exceptions, des salaires ou indemnités perçus en parallèle durant cette période).
Toutefois, la Cour de cassation a pu préciser dans une décision du 27 janvier 2021, que lorsqu’un salarié demande au cours d’une même instance la résiliation judiciaire et la nullité de son licenciement, le juge qui constate la nullité du licenciement ne peut faire droit à la demande de réintégration du salarié. (cass.soc.27 janvier 2021,n°19-21200)
Solution logique, puisque la demande de résiliation du contrat traduit une volonté du salarié de rompre la relation de travail, de sorte qu’elle fait contre-sens avec une potentielle réintégration.
Cela étant rappelé, revenons à la décision rendue …
1. Les faits de l’espèce
Le 27 juin 2016, un salarié a saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail.
Le 10 mars 2017, son employeur l’a licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
Faisant évoluer ses prétentions, le salarié sollicitait l’annulation de son licenciement, sa réintégration et le paiement d’une indemnité d’éviction, en plus de sa demande initiale de résiliation judiciaire.
Par jugement daté du 3 mai 2018, le Conseil de prud’hommes a estimé la demande de résiliation judiciaire non fondée, et examinant le licenciement intervenu le 10 mars 2017, a jugé ce dernier parfaitement justifié.
Le 30 mai 2018, le salarié a interjeté appel de cette décision. Or, avant que la juridiction ne statue, ce dernier a décidé d’abandonner, dans ses toutes dernières conclusions d’appel, sa demande de résiliation judiciaire.
La Cour d’appel, va alors déclarer le licenciement nul, mais débouter le salarié de ses demandes de réintégration et de paiement d’une indemnité d’éviction motivant sa décision comme suit :
« force est de relever que le salarié a sollicité dès le 27 juin 2016 la résiliation judiciaire du contrat de travail aux torts de l’employeur et ce jusqu’à son troisième jeu de conclusions notifiées en cause d’appel, ne renonçant à cette prétention qu’à ses ultimes écritures en date du 3 mai 2021, et que le salarié ayant demandé la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur et maintenu cette demande après que celui-ci l’a licencié en cours de procédure, la poursuite du contrat de travail ne peut être ordonnée entre deux parties qui ont, chacune pour sa part, manifesté irréductiblement leur volonté de le rompre »
A l’évidence, pour les juges d’appel, la renonciation, même tardive, à la demande de résiliation judiciaire n’écartait pas le fait que le salarié ait partagé avec son employeur une volonté de rompre le contrat de travail, qui était en soi incompatible avec le droit de demander sa réintégration.
Toutefois, telle ne sera pas la position de la Haute juridiction !
2. La position de la Haute Cour
En effet, la Cour de cassation va dans un premier temps rappeler que :
« Lorsqu’un salarié demande la résiliation judiciaire de son contrat de travail et la nullité de son licenciement au cours d’une même instance, puis abandonne en cours d’instance la demande de résiliation judiciaire, le juge, qui constate la nullité du licenciement, doit examiner la demande de réintégration. »
Ainsi, raisonnant à l’inverse des juges d’appel, la juridiction suprême va estimer que la Cour d’appel:
« En statuant ainsi, alors qu’elle avait constaté que le salarié avait abandonné sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail dans ses dernières écritures, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés »
La solution est claire, selon la Haute Cour, peu importe le moment où intervient l’abandon de la demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail par le salarié, le juge qui constate la nullité du licenciement, doit examiner la demande de réintégration.
3. La portée de cet arrêt
Si par le passé, la Cour de cassation a pu clairement exclure toute forme de réintégration lorsqu’un salarié demande au cours d’une même instance la résiliation judiciaire et la nullité de son licenciement, elle modère désormais sa position, en permettant au salarié de demander sa réintégration en cas de licenciement nul, à la condition qu’il renonce à sa demande préalable de résiliation judiciaire en cours d’instance.
Il s’agit là d’une décision critiquable, puisqu’en principe, si le salarié a saisi la juridiction d’une demande en résiliation judiciaire, c’est bien qu’il reprochait des manquements à son employeur suffisamment importants, selon lui, pour ne plus vouloir, voire même pouvoir, poursuivre la relation de travail. Aussi, comment expliquer que lui soit néanmoins offerte la possibilité de finalement solliciter sa réintégration dans cette entreprise qu’il voulait quitter ?
Encore une fois, comme nous le répétons hélas trop souvent, la Cour de cassation fait du juridisme pur.
Au détriment de tout bon sens. Et quitte à se prendre les pieds dans le tapis de la bonne foi et de la commune intention des parties, qu’elle utilise de manière inintelligible. Pour l’employeur en tout cas.
On voudrait continuer à alimenter un contentieux de masse qu’on ne ferait pas mieux.