Portrait d’avocat : Cyril Chabert

Écrit le
28 février 2023
  1. Pourquoi avoir poursuivi vos études jusqu’au doctorat ?

Paradoxalement, parce qu’au sortir du lycée, je n’avais pas de vocation affirmée d’avocat.

Je m’explique. Je ne comptais pas de juriste dans ma famille et en sortant du bac j’étais parti dans un parcours commercial. Puis, à la fin de ce parcours, j’avais à l’idée de rejoindre le CELSA, mais sans anticipation, si bien que j’avais omis de postuler à la session d’intégration de février. Plutôt que de perdre une année, je me suis inscrit en droit, le double cursus « commerce-droit » étant assez courant. J’ai donc commencé mon Droit à la Faculté d’Aix-en-Provence et cela a vraiment été une révélation. Je m’y suis immédiatement plu. Arrivé en licence, il n’était plus du tout question de CELSA, mon horizon était marqué par le droit des affaires et spécialement la matière de droit international privé. Passé la maitrise, je rentre en DEA (aujourd’hui on dirait Master II Recherche) de droit économique et j’en sors avec la proposition de faire une thèse d’Etat, dans la matière que je souhaite, sur un sujet validé par le Ministère.

Ce sera donc une thèse en droit international privé (matière qui gère les différentes questions qui s’imposent au débat pour tous les litiges non exclusivement franco-français).

Le doctorat est une phase d’étude exigeante. Je le recommanderai sans hésitation à tout étudiant (pour le recul qu’il offre sur la science juridique, la maitrise qu’il apporte sur les différentes techniques d’argumentation), mais en soulignant que c’est aussi un exercice éprouvant car on vit pendant près de 5 ans avec son sujet. On va en douter. On va en rêver. On va s’en enthousiasmer et certains jours en maudire la complexité. Ce sujet va rythmer les jours et écourter de nombreuses nuits.  Cet exercice demande de s’imprégner totalement du sujet, pour le maitriser … et, par voie de conséquence, il isole aussi, surtout quand d’anciens camarades d’école de commerce viennent vous voir… C’est un exercice solitaire, de réflexion et d’écriture, mais c’est un exercice terriblement formateur.   Parallèlement à cette phase de préparation, j’étais intégré dans un centre de recherche de la faculté où, outre l’enseignement, une de mes activités consistait à répondre à des demandes de consultation d’avocats sur mes domaines de prédilection. C’est cette activité là qui a été le véritable facteur déclencheur de mon orientation vers le métier d’avocat.

Comme pour un travail de thèse, il m’était demandé de mettre en pratique un sens de la recherche, une appréhension du sujet, la construction d’une argumentation dans un but offensif ou défensif. Mais à la différence d’un travail de thèse, les problématiques se renouvelaient, les questions variaient, les contextes étaient toujours singuliers et en prise avec la réalité du quotidien.

 

  1. Pourquoi vous êtes-vous tourné vers une activité dans le e-commerce ?

C’est un hasard et je l’ai toujours signalé à mes étudiants (j’ai enseigné pendant 15 ans). Une des clefs d’une carrière épanouissante consiste naturellement à prendre plaisir dans son métier, à savoir ce que l’on veut, mais tout en se montrant suffisamment ouvert, sans idée préconçue, avec un grand sens de l’adaptation. Dans tout cheminement, on arrive parfois à des points d’intersection, des voies qui s’ouvrent et que l’on doit se sentir libre d’emprunter et de saisir sans excessive rigidité.

Comme je vous l’ai indiqué, la matière de ma thèse était le droit international privé et j’ai commencé à travailler en droit maritime (avec des bateaux venant de divers endroits, des questions alambiquées de juridictions compétentes, de droit applicable au sort de la cargaison qui germe en cale, du fait d’un navire saisi en raison du non-paiement des frais de « surestaries ») et en droit des transports. Je sortais donc de ma thèse et comme je l’ai laissé transparaitre, je voulais me confronter aux cas concrets. Mon entrée au barreau de Paris date précisément de janvier 2002, soit juste après l’éclatement de la bulle internet.  Autant dire que les sites de commerce électronique n’intéressaient aucun cabinet installé, si ce n’est quelques intervenants en droit de l’informatique. L’activité des sites de commerce électronique était alors regardée comme marginale, pour ne pas dire douteuse.

Or, ces sites bousculaient le pré-carré des circuits de distribution qui continuaient à perpétuer un contingentement tarifaire national contraire à la libre circulation des marchandises en Europe. Concrètement, si le niveau de vie moyen en Belgique était de 70, là où il était en France de 100, les fabricants continuaient à proposer un téléviseur « SFX-80 » à 70 en Belgique, là où leur filiale française le mettait sur le marché à 100. Les pionniers du commerce électronique ont simplement repéré ce hiatus en allant se fournir dans un pays européen où un produit était mis en circulation à un coût moindre, pour le revendre en France. C’était l’application première de ce pilier du droit européen, mais qui naturellement a été très mal vécu par les fabricants dont ces sites bousculaient l’organisation de leur réseau. Cela donna lieu, vous vous en doutez, à d’épiques bras de fer, les fabricants d’alors multipliant les tracasseries sur la provenance des produits vendus en France, en termes de garantie internationale des produits, d’approvisionnement hors réseau, de conditions de revente sur le marché français. C’est tout naturellement que, débutant avec une formation en droit international, j’ai été sollicité par des acteurs du commerce électronique pour les aider et ce qui devint très vite ma pratique dominante. Puis il y a eu le tournant de 2005, où le canal du commerce électronique s’est affirmé pour devenir incontournable.

Mon activité actuelle est donc un peu le résultat de ma pratique initiale, m’inscrivant dans toute la chaine du commerce électronique partant du régime du site (ou de l’appli aujourd’hui), à la maitrise de la chaine logistique, la gestion du transport, jusqu’à l’administration de la relation client, avec des problématiques plus classiques de droit de la concurrence, de la distribution ou de la consommation.

 

  1. Quels types de relation privilégiez-vous avec vos clients ?

Précisément, je n’ai pas de type.

En conseil, nous essayons de nous inscrire dans une relation d’assistance (car, dans ce secteur, le juriste interne a longtemps été le dernier des recrutements). Il faut comprendre la volonté du projet ou du développement, s’efforcer de répondre à l’objectif en expliquant les contraintes, en réfléchissant au cadre le plus adapté, mais ne surtout pas être un censeur, un monsieur « oui ou non », contre-image trop souvent accolée au juriste.

En contentieux, la relation est différente et dépend de l’impact de la procédure sur la vie de la société. Parfois, un entrepreneur déporte un dossier de concurrence déloyale sur son avocat, en lui donnant carte blanche en interne, pour ne pas être personnellement mobilisé dans une période où justement il a besoin d’être totalement concentré sur des enjeux autres. D’autres fois, parce qu’il en a le temps, parce que le conflit à un impact sur certains de ses projets, parce qu’il était particulièrement engagé dans une relation, il souhaite être impliqué dans toutes les étapes de la représentation. Nous nous adaptons au besoin exprimé.

 

  1. Quel livre recommanderiez-vous absolument ?

La question est très large.

Je n’ai pas un livre spécifique à recommander, j’en aurai plutôt de nombreux.

J’aime beaucoup lire et je pense que c’est le cas de nombreux avocats, car notre métier nous invite à se tenir constamment informés des évolutions de pensée, des belles joutes doctrinales, des rebondissements de jurisprudence. Après comme chacun, j’ai mes périodes historiques favorites, mes genres de prédilection (j’aime beaucoup les biographies ou autobiographies, ces récits de vie où l’auteur dévoile plus ou moins sans fard les epreuves auxquelles il a été confronté, les fruits de son expérience, ses leçons) et puis j’ai des centres d’intérêts qui varient au fil des ans.

Alors pour être concret, j’ai dévoré nombre de biographies sur la période de la Révolution, le Consulat et l’Empire et je ne peux que recommander « Les Mémoires d’Outre-Tombe » de Châteaubriand, d’une richesse stylistique inégalée à mes yeux. J’ai été marqué, comme beaucoup, par « Voyage au bout de la Nuit » de Céline. J’ai dévoré « Belle du Seigneur » d’Albert Cohen, pas seulement pour suivre le fil de la passion d’Ariane et Solal, mais aussi pour la description si drôle des us et coutumes diplomatiques à la SDN. Je crois avoir lu tous les romans que Max Gallo a publié jusqu’au début des années 1990 au travers desquels, à mots couverts, après avoir occupé des fonctions gouvernementales, il livrait son sentiment sur son parcours, ses expériences et déceptions.

Mais j’aime aussi découvrir des auteurs, d’autres littératures un peu au hasard des rayons de librairies et en ce moment j’ai commencé « Une saison à Hydra » d’Elisabeth Jane Howard un tome de sa saga des Cazalet décrivant la société anglaise sur trois générations.

 

  1. Si vous pouviez avoir un dîner avec une personne de votre choix (vivante ou morte), qui serait-ce ? Et pourquoi ?

Je n’ai pas de liste particulière, j’aime bien échanger.

Bien sûr, il y a un grand nombre de femmes et d’hommes marquantes avec lesquels j’aurai aimé partager, comprendre, les interroger. Mais par exemple, il y a quelques jours j’écoutais l’émission l’Invité de France Info dans laquelle était invitée la philosophe Julia de Funès. J’ai été impressionné par son intervention, la clarté et la finesse de son opinion, sa perspective dépassant largement le sujet d’actualité des retraites sur lequel elle était interrogé. Alors, pour vous répondre, je suis convaincu qu’un diner serait avec elle passionnant.

 

  1. Quel sentiment vous procure le fait de travailler dans le même Cabinet que votre ancien camarade de Fac, Arnaud Blanc de la Naulte ?

Une de mes assistantes a eu ce mot drôle : « Comme je vous comprends, moi aussi j’avais une amie de fac avec laquelle je répétais les week-ends, alors c’est un peu le groupe mythique que l’on s’était promis de monter que vous réalisez ».

Avec Arnaud, on ne s’est jamais quitté depuis la première année en TD d’histoire du droit et des institutions publiques. On a chacun nos matières, nos parcours et on se promettait souvent qu’un jour on se rapprocherait. J’ai toujours fait appel à lui dans son domaine et inversement, mais parfois l’occasion ne se présentait pas ou le timing de nos ouvertures n’était pas en phase. 2022 le fut et, que vous dire, si ce n’est que j’en suis forcément très heureux.

 

  1. Comment voyez-vous la fusion entre le cabinet Chain et NMCG ?

Si notre relation a été le déclencheur de l’idée de fusion, elle ne fut en aucun cas le facteur décisif. D’abord, parce que nous ne sommes pas seuls décisionnaires. Ensuite, parce que nous avons précisément examiné l’intérêt commun. Et cette fois-ci le timing était parfait.

NMCG Paris avait deux pôles dominant, droit social et M&A, là où Chain avait un cœur d’activité marqué, de droit des contrats et de la concurrence. Cela ne veut pas dire que ces pôles étaient exclusifs dans les deux structures (le droit commercial n’était pas inconnu des équipes de NMCG, comme le droit des sociétés et de la propriété intellectuelle pas ignoré des équipes de Chain). Mais le rapprochement dans le spectre du droit des affaires s’est présenté comme une évidence aux yeux de tous.

Alors, tout simplement, je regarde cette fusion comme naturelle.

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