Prolongation provisoire du statut collectif antérieur à une fusion : une simple continuité et non un accord de transition

Par un arrêt du 27 novembre 2024 (Cass. soc., 27 nov. 2024, n° 22-20.886 FS-B), la Cour de cassation apporte une clarification importante quant à la qualification d’un accord prolongeant temporairement les dispositions conventionnelles antérieures à une opération de fusion. Cet arrêt, promis à une large diffusion, précise les conditions permettant de considérer un tel accord comme un « accord de substitution de transition » au sens de l’article L. 2261-14-2 du Code du travail.

Rappels législatifs : le cadre des négociations après une mise en cause des accords collectifs

Lorsqu’une fusion, cession, scission ou toute autre modification juridique modifie la situation de l’employeur, les accords collectifs applicables auparavant sont « mis en cause ». Conformément aux dispositions du Code du travail (C. trav. art. L. 2261-14), ces accords continuent de produire effet pendant un an à compter de l’expiration du délai de préavis, à défaut d’un nouvel accord, tout en garantissant aux salariés concernés une rémunération minimale égale à celle perçue au cours des 12 derniers mois.

Le législateur invite ainsi les parties (employeur et organisations syndicales représentatives) à engager dans les trois mois suivant la mise en cause des négociations visant soit à adapter les anciens accords aux nouvelles dispositions applicables, soit à conclure de nouvelles conventions. Une négociation dite « anticipée » est également possible, avant même la réalisation de la mise en cause, afin de préparer la transition. Deux types d’accords peuvent alors être conclus :

  1. Les accords « de transition » : conclus avant la mise en cause, ils visent à accompagner les seuls salariés transférés vers le nouveau statut collectif. D’une durée maximale de trois ans, ils entrent en vigueur à la date de l’événement ayant mis en cause les accords antérieurs et s’appliquent aux salariés issus de l’entité transférée, en excluant les dispositions similaires de l’entreprise d’accueil pendant cette période transitoire.
  2. Les accords « d’adaptation » : également anticipés, mais destinés à s’appliquer à l’ensemble des salariés, qu’ils soient transférés ou non, dans l’entreprise d’accueil.

La décision de la Cour de cassation : pas d’accord « de transition » sans mesures transitoires spécifiques aux salariés transférés

Dans l’affaire portée devant la Cour de cassation, un groupe avait entrepris une fusion impliquant plusieurs entités. Afin de gérer la période post-fusion, un accord conclu début 2021 prolongeait jusqu’à fin 2022 les dispositions conventionnelles antérieures, en attendant l’aboutissement des négociations d’harmonisation des statuts collectifs. Cet accord s’appliquait à l’ensemble des salariés des établissements issus de la fusion, y compris ceux embauchés après l’opération.

Une organisation syndicale non-signataire estimait qu’il s’agissait d’un accord de substitution « de transition » prolongeant indûment le statut antérieur au-delà du délai légal de trois ans fixé par l’article L. 2261-14-2. La Cour de cassation rejette cette interprétation et approuve les juges du fond : l’accord en question, visant simplement à organiser la poursuite des négociations et à étendre temporairement le statut préexistant à tous les salariés, ne constitue pas un accord de substitution « de transition ». Il ne met pas en place de dispositif transitoire spécifiquement destiné aux seuls salariés transférés. Par conséquent, il n’est pas soumis à la durée maximale de trois ans, propre aux accords « de transition ».

Conséquences pratiques pour les employeurs et les partenaires sociaux
Cet arrêt clarifie la portée des accords conclus dans le contexte de restructurations et de fusions. Un « accord de transition » doit répondre à un objectif précis et limité, consistant à accompagner uniquement les salariés transférés vers le nouveau statut collectif de l’entreprise d’accueil, pour une durée maximale de trois ans.

À défaut, un accord qui prolonge globalement les dispositions antérieures à l’opération, sans distinguer la situation des salariés transférés, demeure un accord de droit commun. Il n’est pas soumis aux contraintes spécifiques des accords de transition, notamment en termes de durée.

La Cour de cassation affirme ainsi que seule la mise en place de mesures transitoires ciblées sur les salariés transférés permet de caractériser un accord de substitution « de transition ». Un accord prolongé sans viser spécifiquement ce public n’échappe donc pas au régime de droit commun. Les employeurs doivent, lors de fusions et restructurations, veiller à la nature et la finalité des accords conclus, afin de respecter tant l’esprit que la lettre des dispositions du Code du travail en matière de transition sociale.

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