PSE, un tir groupé du Conseil d’état
5 mars 2024
Par plusieurs arrêts des 4ème et 1ère chambres réunies du 19 décembre 2023, le Conseil d’Etat a apporté son lot de rappels et précisions en matière de Plan de Sauvegarde de l’Emploi (PSE) :
- Quelle est la teneur du contrôle de l’administration s’agissant du respect par l’employeur de ses obligations en matière de protection de la santé physique et mentale des salariés, plus particulièrement lorsque l’identification et le traitement des risques afférents (communément désignés comme « RPS », pour « risques psychosociaux ») figurent dans un accord majoritaire portant PSE ? (1) ;
- Lorsqu’une restructuration est décidée au niveau d’une Unité Economique et Sociale (UES) et concerne deux entités la composant, un PSE commun doit-il nécessairement être établi ? (2) ;
- Existe-t-il un lien entre la régularité de la procédure d’information-consultation du Comité social et économique (CSE) et la consultation de cette même instance sur les orientations stratégiques ? En cas de cessation de l’activité de l’entreprise, y a-t-il lieu de définir les catégories professionnelles ? (3).
(1) PSE et RPS (CE, 19 décembre 2023, 458434)
Dans cette espèce, saisie d’une demande de validation d’un PSE établi par voie d’un accord collectif majoritaire, la DRIEETS avait sollicité des informations complémentaires sur l’identification des risques générés par la réorganisation et les mesures de prévention prévues par ledit PSE.
Après que ces informations lui ont été transmises (et présentées au CSE), la DRIEETS avait validé le PSE.
Sur saisine du syndicat CFDT et de 4 salariés, le tribunal administratif de Paris avait, quant à lui, décidé d’annuler cette décision.
Puis, la Cour administrative d’appel de Paris avait annulé ce jugement, confirmant ainsi la validité de la décision de validation de la DRIEETS.
Ces mêmes syndicat et salariés ont alors formé un pourvoi, rejeté par le Conseil d’Etat, lequel s’est, à cette occasion, prononcé sur deux points :
- Il incombe à l’administration, dans le cadre de son contrôle global de la régularité de la procédure d’information et de consultation, de vérifier que l’employeur a adressé au CSE l’ensemble des éléments utiles pour qu’il émette ses deux avis en toute connaissance de cause, tant sur le projet de réorganisation que sur celui de licenciement collectif conformément à l’article L.1233-30 I du Code du travail, et notamment les informations suivantes :
- L’identification et l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé et la sécurité des travailleurs ;
- Et, en présence de telles conséquences, les actions projetées pour les prévenir et en protéger les travailleurs, de façon à assurer leur sécurité et protéger leur santé physique et mentale.
L’arrêt du Conseil d’Etat précise à cet égard que lorsque l’accord collectif majoritaire fixant le PSE soumis à validation porte notamment sur les conséquences de la réorganisation sur la santé et la sécurité des travailleurs (dispositions que les partenaires sociaux sont, toujours selon le Conseil d’Etat, admis à adopter eu égard à la liberté contractuelle découlant des 6ème et 8ème alinéas du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère celui de la Constitution du 4 octobre 1958), alors l’administration doit seulement vérifier la régularité de l’information du CSE sur ces éléments, et non de sa consultation, en application de l’article L.1233-30 I précité.
- Il appartient également à l’administration de vérifier, dès lors qu’il a été retenu que la réorganisation présente des risques pour la santé et la sécurité, si l’employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes au nombre de celles prévues par les articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail, qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs.
Le Conseil d’Etat précise à ce second égard que l’administration, pour apprécier si ces exigences sont satisfaites, doit accorder une importance particulière à la circonstance que de telles mesures figurent dans l’accord majoritaire portant PSE.
Ce faisant, la Haute juridiction administrative incite les employeurs tout d’abord à négocier et ensuite à inclure dans l’accord collectif fixant le contenu du PSE le constat des RPS et les mesures prises pour leur prévention ; le contrôle de l’administration sur ces dernières s’avère en effet moins « poussé » lorsque ces points sont ainsi traités par accord collectif (et non pas de manière unilatérale), portant davantage sur leur existence que sur leur consistance/pertinence.
(2) PSE et UES (CE, 19 décembre 2023, 463794)
Dans cette autre espèce, la DRIEETS avait homologué le document unilatéral fixant le contenu du PSE de la société l’Equipe, appartenant à l’UES L’Equipe, Presse Sport Investissement (dite PSI) et Presse Sports.
Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise avait rejeté la demande tendant à l’annulation de cette décision formée par le CSE de l’UES.
Par deux pourvois joints, les société l’Equipe et PSI, ainsi que le ministre chargé du travail avaient demandé au Conseil d’Etat d’annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Versailles qui, sur appel du CSE de l’UES, avait annulé le jugement du tribunal administratif et, partant, la décision de la DRIEETS, au motif que, dès lors que la restructuration avait été décidée au niveau de l’UES, le PSE devait être commun aux deux sociétés concernées.
Ce raisonnement a été écarté par le Conseil d’Etat qui retient que l’existence d’une UES ne faisait pas obstacle à ce que des projets de réorganisation de chacune des sociétés, PSI et l’Equipe, motivés, pour le premier, par une cessation anticipée d’activité, pour le second, par la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l’entreprise, soient conduits de manière concomitante et donnent lieu à l’établissement de documents unilatéraux portant PSE distincts et propres à chaque société.
Aussi, le régime juridique du PSE en présence d’une UES se dessine de la manière suivante :
- Lorsque les projets de licenciement sont décidés au niveau d’une UES, c’est à ce niveau – et non à celui de l’entreprise concernée – qu’il faut se placer pour vérifier si les conditions d’effectif et de nombre de licenciements imposant la mise en œuvre d’un PSE sont remplies (Cass. soc., 16 nov. 2010, n°09-69.485) ; dans cette hypothèse, l’employeur est alors tenu de mettre en place un PSE pour les salariés licenciés (Cass. soc., 30 nov. 2017, n°15-14.303).
- L’absence de personnalité morale de l’UES ne fait pas obstacle à la conclusion d’un accord portant PSE à ce niveau, bien que l’UES ne se substitue pas aux entités qui la composent (i.e. chacune des entreprises demeurant l’employeur de ses salariés); dans ce cas, ledit accord doit être signé, outre par une ou plusieurs organisations syndicales de salariés représentatives au niveau de l’UES, soit par chacune des entreprises composant l’UES, soit par l’une d’entre elles, sur mandat exprès et préalable desdites entreprises (CE, 2 mars 2022, n°n°438136).
- Cependant, il ne s’agit pas là d’une obligation, mais uniquement d’une possibilité, chaque entreprise – en tant qu’entité dotée de la personnalité morale et employeur – conservant le droit de se doter de son propre PSE.
(3) PSE et définition des catégories professionnelles/orientations stratégiques (CE, 19 décembre 2023, n°465656)
Tout d’abord, par cet arrêt, le Conseil d’Etat rappelle notamment que :
- En vertu de l’article L.1233-57-3 du Code du travail, en l’absence d’accord collectif, l’administration homologue le document unilatéral établi par l’employeur après avoir vérifié la conformité de son contenu aux dispositions législatives et aux stipulations conventionnelles relatives aux éléments mentionnés aux 1° à 5° de l’article L.1233-24-2, le 4° de cet article étant relatif au nombre des suppressions d’emploi et aux catégories professionnelles concernées ;
- La définition de telles catégories n’a d’objet que si l’employeur doit faire un choix parmi les salariés à licencier et que tel n’est pas le cas lorsque tous les emplois d’une entreprise sont supprimés, en raison de la cessation totale et définitive de l’activité de celle-ci.
Aussi, au cas d’espèce, le projet de cessation totale et définitive de l’activité de la société conduisant à la suppression de la totalité des 208 postes de son unique établissement, il ne pouvait être soutenu que la décision d’homologation de la DRIEETS était entachée d’illégalité au motif que les catégories professionnelles retenues par l’employeur n’auraient pas été définies dans le document unilatéral portant PSE.
Ensuite, la Haute juridiction administrative précise que – s’agissant cette fois du contrôle de la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE, et après avoir relevé que l’expert-comptable reprochait principalement à l’employeur de ne pas lui avoir communiqué des informations sur les orientations stratégiques de l’entreprise – la procédure d’information et de consultation du CSE sur lesdites orientations, dont le contrôle relève de la compétence du juge judiciaire, est distincte de la procédure d’information et de consultation de cette instance dans le cadre d’un projet de licenciement collectif pour motif économique impliquant l’adoption d’un PSE, et est, par ailleurs, sans incidence sur la régularité de celle-ci.
Cette indépendance de la consultation sur les orientations stratégiques et de la consultation ponctuelle sur la modification de l’organisation économique ou juridique de l’entreprise, ou en cas de restructuration et compression d’effectifs, avait d’ailleurs déjà été consacrée par la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc. 21 septembre 2022, n° 20-23.660).
(4) PSE et article L.1224-1 du Code du travail (CE, 19 décembre 2023, n°467283)
Pour mémoire, l’article L.1224-1 du Code du travail prévoit que les contrats de travail en cours au jour d’une modification dans la situation juridique de l’employeur subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l’entreprise.
En l’espèce, le syndicat FO soutenait que les salariés de la société pour lesquels l’activité avait été transférée vers d’autres sociétés du groupe auraient dû voir leur contrat de travail repris par ces différentes entités sur le fondement des dispositions de cet article et que l’administration avait omis d’exercer son contrôle sur ce point.
En appel, cette argumentation avait été rejetée, au motif qu’il n’appartient pas à l’administration, dans le cadre de l’examen de la demande d’homologation, d’apprécier la nécessité, la régularité ou l’opportunité de la mise en œuvre de l’article L. 1224-1 du Code du travail, et ce alors même que l’application de ces dispositions serait susceptible de réduire le nombre de licenciements résultant du PSE.
Par son arrêt, le Conseil d’Etat confirme l’analyse de la Cour administrative d’appel de Versailles et décide qu’il n’appartient pas à l’autorité administrative, statuant sur une demande d’homologation d’un document unilatéral portant PSE, de vérifier la bonne application de l’article L. 1224-1 précité. Aussi, le moyen tiré de sa prétendue méconnaissance est inopérant à l’appui de la contestation de la décision d’homologation de la DRIEETS.