SAS : le régime des clauses d’exclusion conforme à la constitution
1 décembre 2022
Conseil constitutionnel, Décision n° 2022-1029, QPC du 9 décembre 2022
Par un arrêt du 12 octobre 2022, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a décidé de renvoyer plusieurs questions prioritaires de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, concernant les clauses d’exclusion statutaire de SAS adoptées en application des articles L. 227-16 et L. 227-19 du code de commerce.
Par une décision du 9 décembre 2022, le Conseil constitutionnel considère ces dispositions conformes à la Constitution.
I. Les dispositions du Code de commerce
L’article L.227-16 du Code de commerce dispose que :
« Dans les conditions qu’ils déterminent, les statuts peuvent prévoir qu’un associé peut être tenu de céder ses actions. »
L’article L. 227-19 du Code de commerce dispose que :
« Les clauses statutaires visées aux articles L. 227-13 et L. 227-17 ne peuvent être adoptées ou modifiées qu’à l’unanimité des associés.
Les clauses statutaires mentionnées aux articles L. 227-14 et L. 227-16 ne peuvent être adoptées ou modifiées que par une décision prise collectivement par les associés dans les conditions et formes prévues par les statuts. »
II. La constitutionnalité des clauses d’exclusion incluses dans les statuts de SAS
- Les faits
En l’espèce, un associé de SAS, également salarié de celle-ci, a démissionné de ses fonctions.
Puis, par application d’une clause statutaire (selon laquelle la qualité d’associé est réservée aux personnes ayant la qualité de salarié et/ou de mandataire social de la société) prévoyant qu’en cas de perte de cette qualité par l’associé, , une décision d’exclusion pouvait être prise par l’assemblée générale extraordinaire, cet associé a été exclu à l’issue d’un vote d’une assemblée générale.
C’est dans ce contexte que l’ancien salarié / associé exclu a assigné la SAS en nullité d’une part de la décision l’excluant, et d’autre part de la cession forcée de ses actions.
Il a également posé quatre Questions Prioritaires de Constitutionnalité (QPC) au Tribunal de commerce de Paris.
Deux grandes problématiques relatives à l’atteinte au droit de propriété de l’associé sur ses droits sociaux par le mécanisme de l’exclusion statutaire sont ici soulevées :
- L’article L. 227-16, qui autorise l’insertion de clauses d’exclusion dans une SAS (i) porte-t-il atteinte au droit de propriété de l’associé sans nécessité publique et (ii) porte-t-il une atteinte disproportionnée au droit de propriété de l’associé sans que cette atteinte soit justifiée par un motif d’intérêt général ?
- L’application combinée des articles L. 227-16 et L. 227-19, alinéa 2, du code de commerce, qui autorisent l’insertion ou la modification d’une clause d’exclusion aux conditions prévues par les statuts, c’est-à-dire sans que chaque associé y ait forcément consenti, est-elle conforme aux articles 2 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) ?
La Cour de cassation, saisie par le Tribunal de commerce de Paris, a considéré que les questions posées par l’ancien associé exclu étaient inédites et suffisamment sérieuses pour être renvoyées pour examen au Conseil constitutionnel (Cass. Com., 12 octobre 2022, n° 22-40.013).
La Cour de cassation a également profité de cet arrêt de renvoi d’une QPC au Conseil constitutionnel pour affirmer que les dispositions de l’article L.227-19 du Code de commerce ( dans leur version créée par la loi n° 2019-744 du 19 juillet 2019), étaient applicables à l’ensemble des sociétés par actions simplifiées, et non pas seulement à celle créées à compter de cette date.
Cette confirmation était attendue de longue date.
- L’avis du Conseil Constitutionnel
Après avoir énoncé les griefs de l’ancien associé à l’encontre des dispositions précitées du Code de commerce au regard du droit de propriété, le Conseil constitutionnel rappelle qu’aux termes de son article 17, la DDHC dispose que : « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité » et qu’aux termes de l’article 2 de cette même Déclaration, les atteintes portées à ce droit doivent être justifiées par un « motif d’intérêt général et proportionnées à l’objectif poursuivi ».
Par suite, le Conseil constitutionnel explique le contenu des dispositions contestées et leurs conséquences effectives sur le droit de propriété.
En effet, il indique qu’en « application des dispositions contestées de l’article L. 227-16 du même code, les statuts de la société peuvent prévoir que, dans certaines conditions, un associé peut être tenu de céder ses actions ». Puis que selon les dispositions contestées du second alinéa de l’article L. 227-19 de ce code, « une telle clause statutaire d’exclusion peut être adoptée ou modifiée sans recueillir l’unanimité des associés ».
Il en tire la conclusion générale suivante : « il en résulte qu’un associé peut se voir exclu de la société et contraint de céder ses actions, le cas échéant, en application d’une clause d’exclusion à laquelle il n’aurait pas consenti ».
Au regard des textes constitutionnels, le Conseil Constitutionnel considère que :
- les dispositions du Code du commerce ont pour seul objet de permettre à une société par actions simplifiée d’exclure un associé en application d’une clause statutaire.
Aussi, « s’il en résulte qu’un associé peut être contraint de céder ses actions, elles n’entraînent donc pas une privation de propriété au sens de l’article 17 de la Déclaration de 1789. »
- les dispositions précitées reflètent la volonté du législateur, lequel a entendu garantir la cohésion de l’actionnariat et assurer la poursuite de l’activité des sociétés par action simplifiées.
Sur ce point, le Conseil constitutionnel s’appuie sur les travaux préparatoires de la loi du 19 juillet 2019, ayant modifié l’article L.227-19 du Code de commerce, et considère qu’en prévoyant que l’adoption ou la modification d’une clause d’exclusion puisse être décidée sans recueillir l’unanimité des associés, le législateur a entendu éviter les situations de blocage pouvant résulter de l’opposition de l’associé concerné à une telle clause.
- la jurisprudence constante de la Cour de cassation prévoit que la décision d’exclure un associé ne peut être prise qu’à la suite d’une procédure prévue par les statuts. Cette exclusion doit reposer sur un motif, expressément stipulé par les statuts, conforme à l’intérêt social et à l’ordre public, et ne pas être abusive.
- l’exclusion de l’associé donne lieu au rachat de ses actions à un prix de cession fixé, soit selon les modalités statutaires, ou, à défaut, par un accord entre les parties, ou par un expert (cf. article 1843-4 du code civil).
- Enfin, la décision d’exclusion peut en tout état de cause être contestée par l’associé exclu devant le juge judiciaire, auquel il revient alors de s’assurer de la réalité et de la gravité du motif retenu. Il en va de même en cas de contestation du prix de rachat proposé.
Le Conseil constitutionnel considère, compte tenu de l’ensemble des éléments ci-avant évoqués que « les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété. »
En conséquence, elles doivent déclarées conformes à la Constitution.
Le Conseil constitutionnel tranche donc le débat de la constitutionnalité des clauses d’exclusions prévues dans les statuts de SAS, et considère ces dernières comme pleinement valides.
En conclusion, de telles clauses d’exclusion peuvent être ajoutées / modifiées / retirées des statuts d’une SAS, sans l’accord unanime des associés sans que cela ne porte atteinte aux droits constitutionnels de l’un ou l’autre des associés.