Sécurité des salariés – Pour la Cour de cassation l’employeur demeure responsable même lorsqu’il confie celle-ci à un tiers

Le 9 mars 2015, un drame est survenu sur le tournage du programme « Dropped » ; celui-ci consistant à faire s’affronter deux équipes de quatre participants dans une aventure inédite après que ces derniers aient été déposés par hélicoptère « au milieu de nulle part, dans un univers hostile ».

Lors d’un vol rapproché à basse altitude dans la province argentine de la Rioja, deux hélicoptères – l’un étant utilisé pour filmer l’autre – étaient entrés en collision.

Dix personnes avaient péri lors de ce tragique accident : la navigatrice Florence Arthaud, la championne olympique de natation Camille Muffat, le boxeur médaillé olympique Alexis Vastine, cinq membres français de la production et deux pilotes argentins.

Suite à ce terrible évènement, la mère et la veuve de l’un des cadreurs de la société ayant produit ce programme ont saisi la justice aux fins de faire reconnaître la faute inexcusable de l’employeur.

Dans un arrêt du 16 novembre 2023 destiné à une large publication (n°21-20.740), la 2ème chambre civile de la Cour de cassation va faire droit à leur demande puisqu’elle va juger que la société a commis une faute inexcusable.

Elle confirme ainsi le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre et l’arrêt de la Cour d’appel de Versailles, lesquels avaient également retenu l’existence d’une telle faute.

Elle va ajouter – et là réside l’apport de cette décision – que l’employeur ne pouvait s’exonérer de sa responsabilité en concluant un contrat prévoyant la gestion de la sécurité des salariés par un tiers.

Il s’agissait effectivement de l’un des arguments développés au soutien de sa défense.

Rappelons sur ce point que selon la jurisprudence applicable en la matière, la faute inexcusable de l’employeur est caractérisée lorsque celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était soumis le salarié et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver (Cass. 2ème civ, 8 octobre 2020, n°18-25.021 et 18-26.677).

C’est sur ce fondement que la société soutenait devant la Cour d’appel de Versailles puis devant la Cour de cassation que la conscience du danger et le caractère suffisant des mesures prises par l’employeur pour préserver la sécurité de ses salariés s’apprécient au regard du comportement d’un employeur normalement diligent.

Au cas présent, elle faisait notamment valoir :

  • L’aviation civile et que – n’étant pas en mesure d’appréhender elle-même les risques liés à l’utilisation d’hélicoptères – elle s’était précisément entourée de professionnels compétents ;
  • Qu’elle avait conclu un contrat avec une importante société de production audiovisuelle argentine, confiant à cette dernière la réalisation de prestations techniques locales dans le respect de la réglementation en matière de sécurité ;
  • Que, surtout, pour l’ensemble des aspects tenant à la sécurité des salariés et des participants au programme et notamment les vols en hélicoptère, elle avait confié à un professionnel hautement spécialisé et expérimenté une mission complète afin d’assurer la sécurité du tournage impliquant notamment de s’assurer de l’application des bonnes procédures pour chaque expédition, particulièrement l’organisation de la sécurité des vols.

La société argumentait ainsi avoir pris toutes les mesures possibles, au regard de ses connaissances, pour s’assurer d’une sécurité au norme, ce dont la Cour d’appel de Versailles n’a toutefois pas tenu compte puisque finalement cette dernière :

  • S’est refusée à examiner précisément les mesures prises par la société ;
  • S’est contentée de retenir que les sociétés tierces – auxquelles l’employeur initial a eu recours – demeuraient sous la supervision, la direction et le contrôle de ce dernier.

À l’instar de la Cour d’appel de Versailles, la Cour de cassation rejette cette argumentation, relevant – pour caractériser l’existence d’une faute inexcusable – que l’employeur :

  • A choisi de son propre chef de prendre le risque à l’origine directe et certaine de la collision entre les appareils ayant entrainé le décès du salarié, à savoir avoir organisé un vol correspondant à un scénario défini par ses soins et consistant à réaliser des prises de vues de ce vol dans le cadre du tournage de l’émission ;
  • N’avait pas pris les mesures pour préserver les passagers de l’accident, ni les précautions qui s’imposaient, comme par exemple s’assurer de l’existence d’un moyen de communication entre les aéronefs ou encore organiser un vol d’essai sans passagers.

Surtout, elle approuve la Cour d’appel de Versailles qui a retenu que les sociétés tierces qui sont intervenues pour assurer les prestations relatives à la sécurité demeuraient sous la supervision, la direction et le contrôle de l’employeur.

La solution n’est pas nouvelle puisque la chambre sociale de la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se positionner dans le même sens (Cass. soc. 13 juin 1991, n°89-13.616).

Dans cette affaire désormais ancienne, une société ayant comme activité la construction et l’entretien d’infrastructures de transport avait donné délégation à deux prestataires, dont l’un devait assurer toutes les prestations relatives à l’hygiène et à la sécurité du chantier sur lequel un salarié a été victime d’une chute mortelle.

Ces décisions nous semblent discutables sur le plan juridique : dans ces deux affaires, les employeurs avaient recouru à des tiers pour assurer précisément la sécurité de leurs salariés, sans pour autant se dessaisir totalement de la gestion de cette dernière.

Cela démontre donc qu’en ayant recouru à d’autres professionnels, elles ont été particulièrement soucieuses d’assurer une sécurité maximale pour leurs salariés.

À défaut, l’on pourrait en conclure qu’une société se voit confrontée à une double difficulté : soit elle refuse une mission, car elle ne peut en assurer la sécurité elle-même, soit elle l’accepte, mais elle devient alors automatiquement responsable de tout incident ou accident survenu, quand bien même, il serait démontré que le tiers intervenu à sa demande aurait accompli sa mission avec toutes les diligences requises.

Ainsi, cette nouvelle décision de la Cour de cassation invite à la vigilance en cas de recours à un prestataire en charge d’assurer la sécurité des salariés : il conviendra en effet de prêter une attention toute particulière à la rédaction du contrat commercial et précisément à la clause relative au partage ou non de responsabilité en cas de dommage.

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