Taux d’intérêt intra-groupe conforme au taux du marché…

Écrit le
3 juillet 2024

Le problème, c’est la preuve !

 

Au fur et à mesure des décisions publiées, on voit se dessiner peu à peu une méthodologie permettant d’établir la preuve d’un taux de pleine concurrence, permettant un peu de visibilité et de sécurité juridique et fiscale, dans un domaine jusque-là systématiquement remis en cause par l’administration fiscale.

 

  • Le principe : taux fiscal ou taux de marché

La déduction des intérêts versés par une société soumise à l’impôt sur les sociétés aux associés ou entreprises qui lui sont liées est limitée au taux de référence prévu pour les comptes-courants d’associés (article 39,1-3° du Code général des impôts (« CGI »)) ou au taux du marché s’il est supérieur (article 212,1.a. du CGI).

Pour mémoire le taux de référence prévu pour les comptes-courants d’associés correspond à la moyenne des taux effectifs moyens pratiqués par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des prêts à taux variable aux entreprises, d’une durée initiale supérieure à deux ans.

 

  • L’entreprise emprunteuse supporte la charge de la preuve

En cas de contrôle fiscal, si les intérêts versés sont supérieurs à ceux calculés d’après le taux de référence maximum (taux « fiscal »), la société française emprunteuse supporte la charge de la preuve, qu’elle peut apporter par tout moyen. La société emprunteuse doit apporter la preuve du caractère normal du taux d’intérêt appliqué en se fondant sur le taux qu’elle aurait pu obtenir d’établissements financiers indépendants dans des conditions analogues. Il s’agit du taux qu’un tel établissement lui aurait consenti, compte tenu de ses caractéristiques propres, en particulier de son profil de risque.

 

  • Une approche initialement très restrictive par l’administration fiscale

Face à une approche initialement très restrictive des modes de preuve considérés comme admissibles par l’administration fiscale, qui n’admettait qu’une offre de prêt bancaire contemporaine du prêt intra-groupe, la jurisprudence apporte toujours plus de flexibilité au contribuable, en admettant des modes de preuve refusés par l’administration dans le cadre de ses contrôles.

 

  • Les modes de preuve admis en jurisprudence après avoir été refusés par l’administration fiscale lors de ses contrôles

Le Conseil d’État a déjà considéré que peuvent constituer des éléments de preuve :

– La comparaison avec les taux pratiqués sur les marchés obligataires par des sociétés tierces se trouvant dans des conditions économiques comparables (CE 10 juillet 2019, n°429426 ; CE 10 décembre 2020, n°428522) ;

– Le recours au logiciel Riskcalc développé par l’agence de notation Moody’s (CE 11 décembre 2020, n°433723 ; CE 22 décembre 2022, n°446669) ;

– La possibilité de s’appuyer sur les taux d’emprunts bancaires accordés dans des conditions de pleine concurrence, des sociétés relevant du secteur non financier, ayant obtenu des notes de crédit voisines de celle qui peut être déterminée pour la société emprunteuse (CE 29 décembre 2021, n°441357).

Dans une décision du 5 avril 2024 (CE, 8è et 3è ch., 5 avril 2024, n°471139, SAS GEII Rivoli Holding), le Conseil d’Etat censure à nouveau une approche trop restrictive quant aux modalités selon lesquelles le contribuable peut démontrer que le taux d’intérêt appliqué à l’emprunt intra groupe est conforme au principe de pleine concurrence.

Le Conseil apporte des précisions sur les modalités de détermination du taux de marché et notamment sur le recours aux données du marché obligataire.

Dans cette affaire, une société membre d’un groupe a bénéficié d’un apport en compte-courant de la part de sa société mère afin d’acquérir un immeuble, avec un taux d’intérêt de 5,08%. À la suite d’une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2013 et 2014, l’administration fiscale a remis en question la déductibilité des intérêts versés à la société mère au motif qu’ils excédaient le taux « fiscal » fixé à 2,79% (taux prévu à l’article 39,1-3° du CGI). Le Tribunal administratif et la cour administrative d’appel de Paris ayant rejeté la demande en décharge des cotisations supplémentaires d’IS, la société a formé un recours devant le Conseil d’État.

1er apport de la décision : le Conseil d’État confirme la nécessité de prendre en compte le secteur d’activité d’une société emprunteuse pour établir sa note de crédit.

Au cas présent, la société emprunteuse avait produit une note de risque issue du logiciel Riskcalc, établie sans renseigner le secteur d’activité de la société dans l’outil. Le Conseil a pour cette raison écarté cette notation, la considérant comme non probante, dès lors qu’elle ne permettait pas de tenir compte de la situation économique particulière de la société.

2ème apport de la décision : contrairement à ce qu’avait retenu la cour d’appel, le Conseil d’État indique que l’emprunt dont le taux est sous examen doit être pris en compte pour établir la note de crédit de la société (à laquelle il participe).

3ème apport de la décision : une comparaison fondée sur les taux pratiqués sur le marché obligataires de sociétés plus importantes est admise.

Pour justifier que le taux de 5,08% servi à sa société mère était un taux de pleine concurrence, la société s’était fondée sur les données relatives au marché obligataire issues de la base de données financières Standard et Poor’s Capital IQ, qui donnaient un taux de 5,21%. La cour d’appel a écarté ce taux, considérant qu’il concernait des sociétés immobilières plus importantes et déjà présentes sur le marché obligataire, et que la société ne démontrait pas qu’un emprunt obligataire aurait constitué, pour elle, une alternative réaliste à un prêt intragroupe.

Le Conseil d’État réfute cette analyse et juge que :

– La taille d’une société n’est pas à elle seule de nature à faire obstacle à l’accès au marché obligataire ;

– Le caractère réaliste, pour une société ayant recours à un prêt intragroupe, de l’hypothèse alternative d’un prêt obligataire ne s’apprécie qu’au regard des caractéristiques propres de cette société et de l’opération ;

– Les taux constatés sur le marché obligataire doivent, le cas échéant, être ajustés pour tenir compte des spécificités de la société.

4ème apport de la décision : le Conseil d’État admet l’exploitation d’une base de données publique (courbes de taux) sans identifier un comparable particulier.

La cour administrative d’appel avait rejeté l’utilisation des courbes de taux publiées par Standard et Poor’s Capital IQ utilisées pour établir un intervalle de pleine concurrence, au motif que la société n’avait pas fourni un comparable particulier dont la cour aurait pu apprécier la pertinence.

Le Conseil d’État relève ici une erreur de droit, et juge que le taux de pleine concurrence avancé par la société comme correspondant à son niveau de risque, reposant sur l’exploitation de courbes de taux établies sur la base de l’ensemble des transactions recensées, pour des emprunts de même durée contractés par des sociétés de même profil de risque, issues de données relatives au marché obligataire d’une base de données financières, était susceptible de constituer un comparable pertinent, même en l’absence de référence aux taux consentis à une entreprise précisément identifiée.

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