Un CSE, signataire d’un accord collectif, n’est pas recevable à invoquer, par voie d’exception, l’illégalité d’une clause de cet accord

Cass. Soc. 19 octobre 2022, n°21-15.270, Publié au bulletin

 

  • Les faits de l’affaire 

Le 24 juin 2013, une société indienne conclue avec le comité d’entreprise de sa filiale française un accord de participation.

En 2016, le comité faisait un malheureux constat, à savoir que le montant global de la réserve spéciale de participation baissait fortement au fil des années, passant ainsi de 212 382 € en 2013 à … 0 € en 2016.

Il décidait donc de faire procéder à un audit des comptes par un cabinet d’experts-comptables.

Le 19 mai 2016, ce dernier remettait aux représentants du personnel un rapport concluant que le montant de la réserve spéciale de participation calculée selon l’accord de 2013, aboutissait à un montant inférieur à celui devant résulter de la formule prévue par la loi, en se fondant sur la notion de capitaux propres telle qu’explicitée par un guide juridique établi par la DGT en 2014.

Deux années après ce rapport, et vraisemblablement après de nombreuses discussions internes entre la société et le comité d’entreprise, ce dernier faisait assigner la société devant le tribunal de grande instance de Nanterre (devenu depuis le Tribunal judiciaire) afin d’obtenir le versement d’un complément de la réserve spéciale de participation pour les exercices 2014/2015 à 2016/2017.

Les compléments demandés étaient significatifs puisqu’au total, ils représentaient environ 1,4 millions d’euros, soit un enjeu financier particulièrement important.

 

Le Tribunal a décidé de faire droit aux demandes du comité d’entreprise (devenu CSE en cours de procédure) en s’appuyant essentiellement sur le rapport établi par le cabinet d’experts-comptables, et a condamné la société à devoir régler cette addition salée, au surplus assortie d’une astreinte de 150 € par jour de retard.

La société a naturellement interjeté appel de cette décision devant la Cour d’appel de Versailles, sollicitant du juge qu’il assure le respect de l’accord tel que signé entre les partenaires sociaux. Elle faisait ainsi valoir qu’appliquer la nouvelle règle de calcul revendiquée par le CSE revenait à modifier les termes de l’accord.

Le CSE s’évertuait, de son côté, à soutenir que ce dernier n’appliquait pas la formule légale alors qu’un accord dérogatoire ne peut pas être moins avantageux pour les salariés que la formule légale définie par le guide de la DGT de 2014.

La Cour d’appel de Versailles ne suit pas le raisonnement du Tribunal et du CSE, estimant notamment que ce dernier ne démontrait pas que le calcul de la réserve spéciale de participation tel qu’il résulte de l’accord de 2013 n’est pas conforme à la formule légale. Il existait, selon elle, un vide juridique s’agissant de la notion de capitaux propres à prendre en compte en l’espèce pour le calcul de la réserve spéciale.

Le CSE décidait toutefois de ne pas en rester là, et de se pourvoir en cassation.

 

  • La Cour de cassation s’épargne un débat juridique complexe sur la notion de capitaux propres et considère tout simplement que l’action du CSE est irrecevable

Si la société avait invoqué l’irrecevabilité de l’action du CSE, force est de constater qu’elle ne l’avait manifestement pas fait sur le bon terrain juridique.

En effet, elle soutenait, devant la Cour d’appel de Versailles, que le CSE ne disposait d’aucun intérêt à agir, en ce qu’il ne démontrait pas une atteinte à ses intérêts personnels ni un préjudice direct, et a fortiori parce que le comité avait validé à l’unanimité l’accord de participation.

La cour d’appel avait rejeté cet argument : plus de peur que de mal puisque la société a eu gain de cause devant la cour de cassation.

Étonnamment, la société ne soutenait pas que l’action du CSE était irrecevable car prescrite au regard des dispositions de l’article L. 2262-14 du Code du travail qui enserre les actions en nullité d’un accord collectif dans un délai de 2 mois. En l’occurrence, tel était bien le cas puisque l’accord a été conclu en 2013, et l’action intentée 5 ans plus tard.

Peut-être avait-elle décidé de ne pas soutenir un tel raisonnement, estimant que l’action du CSE était justifiée par la possibilité d’invoquer l’exception d’illégalité, laquelle n’est encadrée par aucun délai spécifique.

Ce mécanisme juridique – issu du droit administratif – consiste à contester la validité d’un acte règlementaire aux fins d’écarter la mesure d’application individuelle qui a été prise sur son fondement.

Il permet ainsi aux syndicats et représentants du personnel de contourner ce délai de 2 mois pour invoquer l’illégalité d’un texte conventionnel.

 

La Cour de cassation estime, toutefois, et c’est en cela que cet arrêt est particulièrement intéressant, que si le CSE est bien fondé à utiliser cette technique juridique pour invoquer l’illégalité d’un accord collectif, il ne peut, en revanche, le faire s’il est signataire de cet accord.

Par conséquent, la possibilité d’invoquer l’exception d’illégalité est réservée aux syndicats et CSE non-signataires d’un accord collectif.

La position de la Cour de cassation ressortait déjà en filigrane d’un arrêt du 2 mars dernier aux termes duquel elle avait jugé utile de préciser que l’organisation, se prévalant d’une exception d’illégalité, était « non signataire d’un accord collectif » (Cass. Soc. 2 mars 2022, n°20-18.442, Publié au bulletin).

Cette solution suit finalement le raisonnement adopté par la Haute juridiction en matière de droit électoral. En effet, elle considère que le syndicat qui a signé, sans réserve, le protocole préélectoral ayant recueilli la double majorité et a présenté des candidats aux élections sans émettre de réserves n’est pas recevable à invoquer par voie d’exception une proportion d’hommes et de femmes composant le corps électoral différente de celle figurant dans le protocole préélectoral (Cass. Soc. 11 décembre 2019, n°18-20.841, Publié au bulletin).

La position de la Cour de cassation est, en outre, parfaitement cohérente dès lors que l’exception d’illégalité permet avant tout d’éviter qu’un syndicat ou un CSE ne soit injustement lésé par un accord collectif auquel il n’aurait pas été partie et qu’il n’aurait pas eu l’occasion de remettre en cause dans le délai légal de 2 mois.

La Cour de cassation nous offre ainsi une décision confirmant juridiquement ce qui relève tout simplement du bon sens : il aurait en effet été absurde que le CSE puisse obtenir un complément au titre de la participation non prévu par cet accord qu’il a négocié et signé sans réserve !

Elle permet surtout de garantir une certaine sécurité juridique pour les employeurs dans la mesure où les signataires d’un accord collectif ne pourront plus remettre en cause sa légalité à l’issue du délai de 2 mois ; seuls les tiers ayant la faculté de le faire.

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