Une transaction formulée dans des termes généraux peut empêcher le salarié d’engager toute réclamation ultérieure

A travers un nouvel arrêt du 6 novembre dernier, la chambre sociale de la Cour de cassation nous rappelle une nouvelle fois l’importance de prêter une attention toute particulière à la rédaction des transactions (Cass. soc. 23 octobre 2024, n°23-17.699).

Avant d’examiner les faits du litige, il est utile de rappeler les principes encadrant la rédaction d’un protocole transactionnel.

1. Rappel des principes généraux

La transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître (article 2044 du Code civil). Elle n’est pas un mode de rupture du contrat de travail.

Elle est souvent conclue à l’occasion de celle-ci, étant précisé qu’une transaction peut également être conclue pendant l’exécution du contrat de travail.
En principe, sa rédaction en détermine la portée.

En effet, le Code civil prévoit expressément que les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s’entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu (article 2048 du Code civil).

2. Les transactions ne règlent ainsi que les différends qui s’y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l’on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui exprimé (article 2049 du Code civil).
3. La transaction fait obstacle à la poursuite entre les parties d’une action en justice ayant le même objet (article 2052 du Code civil).
4. Les parties peuvent toutefois élargir volontairement la portée de la transaction en y insérant une clause générale de renonciation à tout recours, passée ou future, concernant l’exécution ou la rupture du contrat de travail.
5. Cette dernière doit alors indiquer que la transaction est « forfaitaire et définitive » et que le salarié renonce « à toutes réclamations de quelque nature qu’elles soient à l’encontre de l’employeur relatives tant à l’exécution qu’à la rupture de son contrat de travail » (Cass. ass. plén. 4 juillet 1997, n°93-43.375). Le salarié ne pourra alors plus saisir le juge d’aucune de ses demandes (Cass. soc. 20 février 2019, n°17-19.676).
6. Le litige en question
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt de la Cour de cassation du 6 novembre 2024, une salariée a été engagée en 1968 par une société en qualité de gestionnaire administrative dans le service comptabilité.

Le 20 janvier 2009, la salariée et la société ont régularisé une transaction à l’occasion de la rupture du contrat de travail intervenue le 24 décembre 2008 suite à la notification d’un licenciement (dont le motif ne figure pas dans la décision).

En 2016, la société a été inscrite sur la liste des établissements ouvrant droit à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante (ACAATA) pour la période allant de l’année 1964 à 1996.

Le 2 mai 2017, la salariée a saisi le Conseil de prud’hommes de Lyon aux fins de voir juger qu’elle a été exposée à l’inhalation de fibres d’amiante dans des conditions constitutives d’un manquement à l’obligation de sécurité de résultat, et de voir condamner la société à lui verser une indemnisation à titre de réparation du préjudice d’anxiété.

Par un jugement de départage du 8 avril 2021, la juridiction prud’homale a débouté la salariée de ses demandes, estimant que celles-ci étaient irrecevables du fait de l’existence d’une transaction souscrite avec la société défenderesse au mois de janvier 2009.

Elle a donc interjeté appel le 27 avril 2021.

En cause d’appel, elle faisait notamment valoir que le conseil de prud’hommes ne pouvait déclarer ses demandes irrecevables dès lors que la transaction a été signée pour régler les litiges afférents à la rupture de son contrat de travail et ne pouvait de ce fait inclure le préjudice d’anxiété qu’elle a subi, a fortiori compte tenu du fait que le protocole transactionnel est antérieur à l’arrêté de classement en ACAATA de l’établissement en date du 25 octobre 2016.

La société défenderesse faisait quant à elle valoir qu’aux termes de la transaction, la salariée s’est déclarée remplie de tous ses droits et a admis que plus aucune contestation ne l’opposait à son employeur, celle-ci ayant mis fin à tout différend.

Par un arrêt du 28 février 2023, la Cour d’appel de Lyon confirme le jugement de première instance.

Elle constate sur l’extrait fragmentaire versé aux débats (la salariée ne produisant pas l’intégralité de l’exemplaire de la transaction) que celui-ci :

  • est signé par la salariée sous la mention manuscrite « sans réserve, ni contrainte, bon pour transaction et renonciation à toutes instances et actions » ;
  • prévoit expressément que sous réserve du versement effectif des sommes visées aux paragraphes 2 à 5, la salariée déclare renoncer irrévocablement à toute instance ou action née ou à naître au titre de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail avec la société et se déclare remplie de ses droits, admettant que plus aucune contestation ne l’oppose à son employeur et qu’il est mis fin à leur différend.

Elle estime que s’il est constant que la transaction a été signée à l’occasion de la rupture du contrat de travail et que le fondement de l’action de la salariée s’est révélé postérieurement à la conclusion de la transaction, il demeure que la clause de la transaction, formulée en des termes généraux, telle que précitée, rend irrecevable sa demande en réparation du préjudice d’anxiété en raison de l’autorité de la chose jugée attachée à cette dernière.

La salariée a formé un pourvoi en cassation à l’encontre de cette décision.

La chambre sociale, par un arrêt du 6 novembre 2024 publié au bulletin, confirme l’analyse des deux précédentes juridictions.

7. La portée de cette décision

Il est en premier lieu à noter que la Haute juridiction avait déjà eu l’occasion de retenir une solution identique dans l’hypothèse où la transaction avait été signée antérieurement à l’arrêté portant inscription de l’entreprise sur la liste ACAATA (Cass. soc. 21 février 2017, n°15-28.720 et autres ; Cass. soc. 6 octobre 2017, n°16-23.896).
Comme l’indique l’avocate générale dans son rapport, « les termes généraux d’une transaction ne font pas obstacle à ce que celle-ci produise plein effet et opère extinction des droits des parties.

Et, ce n’est qu’en présence de stipulations précises, qui circonscrivent l’objet de la transaction, que la chambre a pu décider que celle-ci ne s’opposait pas à ce qu’une partie agisse en justice pour solliciter le paiement de certaines sommes non comprises dans cet objet ».

Elle ajoute que lorsque la transaction est conclue en parallèle de la rupture du contrat de travail, les parties s’engagent nécessairement, sauf stipulations contraires, à solder définitivement leurs comptes, rappelant que « l’extinction de toute possibilité de contentieux ultérieur est l’un des attraits de la transaction ».

Cette décision – qui assure le respect du principe de sécurité juridique – nous rappelle ainsi l’importance de rédiger la transaction conclue dans le cadre de la rupture du contrat de travail en des termes généraux, afin de mettre fin à tout litige existant ou futur.

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