Vigilance sur les délais ! – En cas de découverte de nouveaux faits fautifs en cours de procédure disciplinaire
31 mars 2024
Dans un arrêt inédit du 14 février 2024, qui s’inscrit dans la lignée de précédentes décisions rendues dans le même sens (Cass. Soc. 20 octobre 2009, n°08-42.499 ; Cass. Soc. 23 mars 2022, n°20-19.963), la Cour de cassation nous rappelle qu’en cas de découverte de nouveaux faits fautifs au cours d’une procédure disciplinaire, la convocation à un nouvel entretien préalable doit intervenir dans le mois suivant le premier entretien lorsque celui-ci s’est déjà tenu.
Rappelons à titre introductif qu’en matière de procédure disciplinaire :
- le délai de prescription des faits fautifs, règle essentielle du droit disciplinaire, s’oppose à l’engagement de poursuites envers un salarié plus de 2 mois après que l’employeur en a eu connaissance (article L. 1332-4 du Code du travail).
- l’acte d’engagement des poursuites, le plus souvent constitué par la convocation à l’entretien préalable à une éventuelle sanction, interrompt ce délai de 2 mois et en fait courir un nouveau d’une durée d’un mois pour notifier la décision retenue (article L. 1332-2 du Code du travail).
Pour mieux saisir la portée de cette décision, revenons maintenant sur les faits de l’espèce.
Suite à une enquête interne réalisée au mois de septembre 2015, un employeur a constaté qu’une de ses salariées – embauchée en qualité de médecin généraliste – s’adressait régulièrement de manière irrespectueuse, dénigrante et agressive à l’égard de ses collègues, créant ainsi un véritable climat de stress et de forte anxiété auprès d’eux.
La salariée n’en faisait de plus que selon son bon vouloir, imposant ainsi ses règles à ses collègues de travail (changements d’organisation interne, de plannings…) sans se soucier des éventuelles conséquences.
Conformément aux dispositions conventionnelles applicables, l’employeur avait donc convoqué la salariée le 21 septembre 2015 à un pré entretien fixé au 1er octobre suivant.
À son issue, il l’avait cette fois convoquée, par lettre remise en main propre, à un entretien préalable à une mesure de licenciement fixé au 14 octobre 2015, lui confirmant par ailleurs sa mise à pied conservatoire notifiée verbalement le même jour.
En parallèle de cette procédure, la CPAM alertait l’employeur au sujet de l’établissement de fausses factures émises par la salariée ; lui remettant à cette occasion l’ensemble des justificatifs démontrant la matérialité de celles-ci.
Compte tenu de l’existence de ces nouveaux faits fautifs, l’employeur convoquait, le 18 novembre 2015, la salariée à un nouvel entretien préalable fixé le 27 novembre suivant.
Son licenciement lui a enfin été notifié le 1er décembre 2015.
Estimant avoir été victime de harcèlement moral, la salariée saisissait le Conseil de prud’hommes d’Alès le 15 décembre 2015 afin de voir :
- dire son licenciement nul ou à tout le moins sans cause réelle et sérieuse ;
- condamner l’employeur à lui payer plusieurs sommes à caractère salarial et indemnitaire.
Par jugement du 14 décembre 2018, le Conseil de prud’hommes avait estimé que le licenciement pour faute grave était bien fondé et ainsi débouté la salariée de l’intégralité de ses demandes.
Appel étant interjeté, la Cour d’appel de Nîmes confirmait le jugement après avoir relevé que :
- les faits exposés par l’appelante – tels qu’ils sont établis – ne permettent pas de présumer l’existence d’un harcèlement moral ;
- le licenciement est justifié par une faute grave et ne saurait dès lors être remis en cause.
Déboutée à deux reprises, la salariée s’était pourvue en cassation et faisait valoir devant la Cour de cassation :
» qu’aucune sanction, y compris un licenciement disciplinaire, ne peut intervenir plus d’un mois après le jour fixé pour l’entretien préalable à la sanction, le report de la date d’entretien qui résulte de la seule initiative de l’employeur ne faisant pas courir un nouveau délai pour notifier le licenciement disciplinaire.
Ainsi, si en raison de la révélation de faits fautifs nouveaux postérieurement à cet entretien préalable l’employeur peut convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable, en sorte que le délai d’un mois qui lui est imparti pour notifier la sanction court à compter de la date de ce dernier entretien, c’est à la condition qu’il ait adressé au salarié la convocation à ce second entretien disciplinaire dans le délai d’un mois à compter du premier entretien.
Au cas présent, la seconde convocation à entretien préalable (à savoir celle du 18 novembre 2015) – adressée plus d’un mois après la date du premier entretien qui s’était tenu le 1er octobre 2015 et du premier entretien préalable du 14 octobre 2015 – était donc tardive ; celle-ci n’emportant pas report du point de départ du délai d’un mois prévu par l’article L. 1332- 2 du Code du travail.
Le licenciement a donc de ce fait été prononcé postérieurement à l’expiration du délai d’un mois imparti pour prononcer la sanction en violation de la disposition susvisée. C’est donc à tort que la Cour d’appel a considéré que le licenciement pour faute grave avait valablement été notifié dans le délai d’un mois à compter du second entretien nécessité par la découverte de faits nouveaux.
» que le délai d’un mois prévu par l’article L. 1332-2 du Code du travail pour notifier la sanction retenue est une règle de fond et que l’expiration de ce délai interdit à l’employeur aussi bien de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable pour les mêmes faits que de sanctionner disciplinairement ces faits, sauf si dans l’intervalle une procédure imposée par une disposition conventionnelle a été mise en œuvre.
Ainsi, si l’employeur abandonne une première procédure disciplinaire pour sanctionner des faits qui ont été portés à sa connaissance postérieurement à l’entretien préalable, la convocation au nouvel entretien préalable n’a pas à intervenir dans un délai spécifique par rapport à la procédure abandonnée, le licenciement ne peut toutefois sanctionner que des faits distincts de ceux initialement envisagés.
La salariée estimait donc que la Cour d’appel n’avait pas recherché si le seul manquement fautif qu’elle tenait pour établi, à savoir le grief lié au comportement de la salariée envers ses collègues, n’était pas le seul grief initialement envisagé dans la première procédure disciplinaire, voire la deuxième, lesquelles n’avaient pas donné lieu à sanction dans le délai d’un mois suivant l’entretien préalable.
La Haute juridiction approuve le raisonnement de la salariée et rappelle :
- qu’il résulte de l’article L. 1332-2 du Code du travail que le licenciement disciplinaire doit intervenir dans le délai d’un mois à compter de la date de l’entretien préalable mais surtout que l’expiration de ce délai interdit à l’employeur de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable pour les mêmes faits.
- que – et là réside l’apport de cet arrêt – lorsqu’en raison de la révélation de faits fautifs nouveaux postérieurement à cet entretien préalable, l’employeur adresse au salarié, dans le délai d’un mois à compter du premier entretien, une convocation à un nouvel entretien préalable, c’est à compter de la date de ce dernier que court le délai d’un mois qui lui est imparti pour notifier la sanction.
Au vu de ces principes et des faits de l’espèce, la Cour de cassation considère en définitive que l’employeur ne pouvait s’en tenir qu’aux nouveaux faits de fausse facturation découverts en cours de procédure dès lors que la convocation au second entretien préalable est intervenue plus d’un mois après le premier entretien préalable.
Du fait de la tardiveté de cette convocation, l’employeur ne pouvait plus, tel qu’il l’a fait, fonder la mesure de licenciement sur l’attitude de dénigrement de la salariée à l’égard de ses collègues, grief ayant fait l’objet du premier entretien préalable.
On ne peut que regretter cette position de la Cour de cassation qui ne fait que complexifier davantage une procédure disciplinaire déjà très encadrée par le Code du travail.
Quoi qu’il en soit, on peut retenir qu’en cas de connaissance de nouveaux faits fautifs au cours de la procédure disciplinaire il convient soit :
» de faire masse des faits fautifs initiaux et des faits découverts ultérieurement. Dans ce cas, il sera impératif de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable dans le mois suivant le premier entretien préalable ;
» de renoncer à la procédure initiale et d’initier une nouvelle procédure reposant sur les seuls faits fautifs découverts dans un second temps. Cette nouvelle procédure étant totalement indépendante de la première, il ne sera pas nécessaire de respecter le délai d’un mois entre le premier entretien préalable et la nouvelle convocation.
Il s’agit ici de lignes directrices qui peuvent être adaptées selon la situation donnée.