Attention au respect des obligations légales et règlementaires de conformité imposées aux entreprises !

Le 27 septembre dernier, la Cour de cassation juge que le non-respect d’obligations légales ou règlementaires confère nécessairement un avantage concurrentiel indu à l’entreprise défaillante qui fait l’économie des coûts de la mise en conformité.
Cette absence de mise en conformité peut constituer une faute de concurrence déloyale qui ouvre la porte à des actions en réparation par des opérateurs concurrents.

En l’espèce, une entreprise de distribution de cartes prépayées s’estimait victime de concurrence déloyale du fait du non-respect par une concurrente de la règlementation en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (« LCB-FT »).
Elle a demandé, dans le cadre d’une procédure en référé, la communication de documents comptables qu’elle estimait nécessaire au chiffrage de son préjudice pour une future action en réparation d’actes de concurrence déloyale.
La question au cœur du litige était la suivante : le non-respect d’une règlementation peut-il constituer une faute susceptible d’engager la responsabilité civile de son auteur ?
La Cour d’appel répond à cette question par l’affirmative, confirmée sur ce point par la Cour de cassation :
« Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L.561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires.
Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale. »
C’est-à-dire que le non-respect d’une règlementation octroie forcément un avantage indu. Cet avantage peut s’analyser en un acte de concurrence déloyale vis-à-vis d’une autre entreprise, mais n’en est pas nécessairement un. Il revient au juge d’apprécier, au cas par cas, s’il est en présence d’une telle faute de concurrence déloyale ou non.
Cette solution n’a pas toujours été évidente.

En effet, les règles de LCB-FT protègent avant tout l’intérêt général et à l’intégrité du système bancaire et financier. Elles ont pour but premier de prévenir la survenance d’un préjudice collectif (préjudice objectif). C’est d’ailleurs cette dimension collective qui justifie la compétence des autorités administratives, représentantes de l’intérêt général, en matière de sanctions et/ou d’édiction de règles impératives.
La Cour de cassation nous dit ici que le non-respect d’obligations légales ou règlementaires créé également et nécessairement un avantage concurrentiel indu à l’opérateur économique défaillant en ce qu’il peut économise les coûts de sa mise en conformité. Cet avantage concurrentiel peut causer un préjudice personnel à ses concurrents (préjudice subjectif) en plus du préjudice causé à la collectivité. C’est ici la dichotomie traditionnelle entre préjudice objectif et préjudice subjectif qui est brouillée : le dommage causé à l’intérêt collectif n’exclut pas l’existence d’un dommage individuel subi par les concurrents.
Cette décision importante s’inscrit dans la continuité d’une jurisprudence initiée par un arrêt de 2010 dans lequel la Cour de cassation avait commencé par admettre qu’il était possible que le non-respect d’une règlementation (en matière de sécurité des vélos) puisse placer une entreprise dans une situation anormalement favorable par rapport à ses concurrentes, et ainsi justifier que soit engagée sa responsabilité civile¹. Depuis ce premier arrêt, la Cour de cassation a eu l’occasion de reconnaître que le non-respect d’une règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale confère nécessairement un avantage concurrentiel indu constitutif d’un acte de concurrence déloyale².
La solution de la Cour de cassation dans l’arrêt du 27 septembre ne se limite donc pas aux règles LCB-FT. Tout manquement à des obligations impératives de mise en conformité est susceptible de constituer un acte de concurrence déloyal.
La Cour de cassation et la Cour d’appel de Paris ont d’ailleurs eu l’occasion de retenir la même solution en matière de procédures collectives³ ou de règlementation sur la protection des données personnelles⁴.
Nous rappellerons (L’ACTU by NMCG, avril 2023), d’ailleurs, que la Cour d’appel de Grenoble a pu considérer que le non-respect de la règlementation relative à la protection des données personnelles pouvait être un motif d’annulation du contrat conclu entre un prestataire informatique et son client5.
L’entreprise qui ne se met pas en conformité s’expose non seulement à des sanctions administratives mais aussi à des actions privées par ses concurrents sur le fondement de la concurrence déloyale ou par des partenaires commerciaux sur le fondement de la nullité contractuelle.
La solution érigée par la Cour de cassation est d’autant plus importante que le contexte législatif général est à l’augmentation des règles de conformité imposées aux entreprises. On pense évidemment à la protection des données personnelles mais aussi aux obligations en matière environnementale et de transition écologique qui focalisent l’attention.
Enfin, nous soulignerons que la décision du 27 septembre dernier intervient dans le cadre d’une procédure en référé. C’est-à-dire que des mesures d’instructions (telles que la communication de pièces par exemple) peuvent être ordonnées et justifiées par le seul constat d’un manquement à des textes règlementaires, avant même que ne soit tranchée par le juge du fond la question de savoir si le comportement reproché doit effectivement être qualifié de concurrence déloyale.

1Cass., com., 28 septembre 2010, n°09-69.272
2Cass., com., 12 février 2020, n°17-31.614
3Cass., com., 17 mars 2021, n°19-10.414
4CA Paris, 9 novembre 2022, n°21-00180
5CA Grenoble, 12 janvier 2023, n°21/03701 commenté dans L’ACTU by NMCG, n°91, avril 2023.

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