Quel régime pour la publicité en faveur de l’alcool ?

Cour d’appel de Paris, pôle 5, 11e ch., 14 avril 2023, n° 21/07299

Ne souriez pas, ils font une publicité pour de l’alcool. Dans un arrêt du 14 avril 2023, la cour d’appel de Paris rappelle le régime applicable à la publicité de boissons alcoolisées, reprenant une jurisprudence désormais bien établie de la Cour de cassation qui se montre plus exigeante que la loi.

Les faits étaient les suivants : voulant promouvoir sa bouteille de rhum, la marque Havana Club fit publier dans un magazine et afficher dans les bouches du métro parisien des visuels montrant un barman de La Havane (Cuba) derrière son bar, le visage grave, préparant un cocktail à base de rhum.

L’association nationale de prévention en alcoologie et addictologie (ANPAA), jugeant que ce visuel, par ses couleurs chaudes, incitait à la consommation d’alcool et violait le cadre de la Loi Evin en présentant des informations étrangères à celles limitativement autorisées, fit assigner la marque devant le tribunal judiciaire de Paris afin de voir constater le caractère illicite de la publicité et obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice subi.

Le tribunal judiciaire de Paris, en 2021, débouta l’ANPAA de l’ensemble de ses demandes. Non contente de cette décision, cette dernière interjeta appel. La cour d’appel de Paris eut donc à apprécier la légalité du visuel litigieux.

Dans un premier temps, les juges ont rappelé les exigences de la Loi Evin en matière de publicité qui sont de trois natures :

  • Les supports de diffusion de publicité d’alcool sont limitativement listés : la presse écrite, la radio, les affiches, catalogues commerciaux, véhicules publicitaires, services de communication en ligne ou encore dans le cadre de visites de domaines de production, de foires et musées spécialisés[1].
  • Le contenu de la publicité, qu’il soit textuel, visuel ou sonore, se limite aux informations suivantes : le degré volumique d’alcool, l’origine, la dénomination, la composition du produit, le nom et l’adresse du fabricant, des agents et des dépositaires, le mode d’élaboration, les modalités de vente et le mode de consommation du produit[2]. Peuvent également être ajoutées des références relatives aux terroirs de production, aux distinctions obtenues, aux appellations d’origine ou aux indications géographiques ainsi que des références objectives relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit[3].
  • La mention sanitaire « L’abus d’alcool est dangereux pour la santé » doit être visible.

Ces restrictions ont pour objet d’anéantir toute incitation à consommer de boissons alcoolisées et ainsi lutter contre les maladies qui y sont liées, l’alcool étant la deuxième cause de mortalité évitable en France après le tabac[4].

En sus, la Cour de cassation, de jurisprudence constante, exige que l’ensemble des informations fournies au titre d’une publicité en faveur de l’alcool soient objectives[5], alors même que la Loi Evin ne précise cette objectivité que pour les seules références relatives à la couleur et aux caractéristiques olfactives et gustatives du produit, ce qui devrait a contrario ne pas s’appliquer aux autres éléments[6].

A la lumière de ce cadre législatif et jurisprudentiel, la cour d’appel de Paris a, après avoir noté que le mode de diffusion était légal et que la mention sanitaire était visible, constaté que l’affiche litigieuse présentait des informations objectives autorisées. En effet, le barman exerçait véritablement dans le bar à La Havane où l’image a été capturée. Cet élément était relatif à l’origine géographique de la boisson et permettait de la distinguer des autres rhums produits dans d’autres pays. En outre, l’image du bar et d’un cocktail présente à la fois un mode de consommation et une modalité de vente du produit, ce qui fait de l’image une présentation informative et descriptive.

Enfin, le principal argument de l’association appelante, relatif à l’usage de couleurs chaudes prétendument incitatives à la consommation, est balayé par les juges. Ces derniers relèvent que l’impression générale qui se dégage de la publicité n’est ni chaleureuse, ni attractive, ni festive, le barman ne souriant pas, n’étant pas en mouvement et arborant « un visage grave qui ne peut être qualifié d’avenant ».

Les juges, en conséquence, constatent que la publicité est licite, confirment le jugement et condamnent l’association appelante aux dépens.

Bien que cette décision soit en apparence favorable à un contrôle moins strict de la publicité en faveur de l’alcool, sa référence à la jurisprudence restrictive de la Cour de cassation indique en réalité une perpétration de cette dernière. Aussi, le cadre normatif reste inchangé mais cette décision atteste d’une certaine adaptabilité des critères très stricts imposés aux annonceurs en matière de produits alcooliques.

[1] CSP, art. L. 3323-2.

[2] CSP, art. L. 3323-4, al. 1.

[3] CSP, art. L. 3323-4, al. 2.

[4] Inserm, Alcool et santé, Paris, 2016.

[5] Cour de cassation, 1re chambre civile, 20 Mai 2020 – n° 19-12.278.

[6] Friant-Perrot, M., Garde, A. (2022), « The Regulation of Alcohol Marketing in France: The Loi Evin at Thirty », Journal of Law, Medicine & Ethics, 50(2), 312-316. doi:10.1017/jme.2022.57.

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